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Les effets de la promulgation de la loi du pays sur les actes réglementaires dérivés

§ 2 – Assemblée locale et assemblée parlementaire

SCHÉMA DE LA PROCÉDURE D'ADOPTION D'UNE PROPOSITION OU D'UN PROJET DE LOI DU PAYS

2/ Les effets de la promulgation de la loi du pays sur les actes réglementaires dérivés

Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie présente la particularité d'être détenteur à la fois d'un pouvoir législatif et d'un pouvoir réglementaire, parfois dans les mêmes domaines. En effet, toutes les compétences dévolues

à la Nouvelle-Calédonie219 qui ne relèvent pas du domaine matériel de la loi

du pays ou du domaine d'attribution du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ou de son Président, ressortissent en principe au Congrès, en sa qualité d'assemblée délibérante. En d'autres termes, le Congrès dispose, dans le cadre de son pouvoir réglementaire, de la compétence de droit commun s'agissant des compétences de la Nouvelle-Calédonie.

Bien qu'une telle construction apparaisse quelque peu iconoclaste, il en ressort que l'assemblée locale dispose, par exemple en droit du travail, du pouvoir d'adopter les principes fondamentaux par lois du pays et les modalités de mise en œuvre par délibération, sauf à déléguer cette possibilité au Gouvernement dans le cadre de l'article 126 de la loi organique.

Une telle dualité de compétences ne semblait pas poser de problème jusqu'à ce qu'un jugement de la Cour administrative d'appel de Paris du 20 décembre 2002220 vienne remettre en cause la pratique établie. Dans cette affaire, dite de la taxe sur le fret aérien, la juridiction d'appel donne des indications précieuses relatives à l'articulation entre loi du pays et réglementation dérivée, remettant en cause la pratique établie jusqu'alors. Cette position a été confirmée par le Conseil d'Etat221.

Afin de pallier l'annulation de fonds de concours par le Tribunal administratif, le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie avait décidé de la création de nouvelles taxes pour les affecter à des établissements publics en charge de certains intérêts : Agence pour la desserte aérienne de la Nouvelle-Calédonie (A.D.A.N.C.), Chambre d'agriculture, ou encore l'E.R.P.A, établissement public de soutien à la production agricole.

La loi du pays du 22 décembre 2000222 a créé une taxe sur le fret aérien

(T.F.A.) dont le produit était affecté à l'A.D.A.N.C., pour le désenclavement du territoire à travers le développement d'une desserte aérienne pérenne afin de répondre aux exigences des marchés commerciaux et touristiques. Une taxe de soutien aux productions agricoles et alimentaires (T.S.P.A.) a

219 Elles sont énumérées à l'article 22 de la loi organique, préc.

220 CAA Paris, 20 décembre 2002, aff. n° 02PA00451.

221

C.E., 12 janvier 2005, Congrès de la Nouvelle-Calédonie, A.J.D.A., 14 mars 2005, p. 552.

222 Loi du pays n° 2000-005 du 22 décembre 2000 portant diverses mesures fiscales

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également été créée pour combler le gouffre financier généré par l'annulation de l'affectation de la taxe conjoncturelle agricole à l'E.R.P.A.

Une délibération accompagnait cette loi du pays pour fixer le taux des

nouvelles taxes et édicter certaines mesures d'application223. Cette

délibération a fait l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

À l’appui de leur demande d’annulation, les requérants224 ont soulevé des

moyens de légalité interne et de légalité externe. Tout d’abord, les requérants ont invoqué un moyen tiré de l’illégalité de la création des taxes dont la délibération litigieuse ne faisait que fixer les taux. Or, la création des taxes ayant été réalisée par la loi du pays, elle ne pouvait être utilement contestée devant le juge administratif.

Les requérants ont ensuite soulevé un moyen tendant à démontrer que la délibération litigieuse serait viciée du fait de son antériorité par rapport à la loi du pays qui en constitue le support. Bien qu'il soit indéniable que la loi du pays est datée du 22 décembre 2000 et la délibération du 19 décembre 2000, il ne pouvait, selon le Président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, être soutenu que la délibération était antérieure à la loi du pays.

En effet, la loi du pays a été délibérée et adoptée en séance publique du Congrès de la Nouvelle-Calédonie le 4 décembre 2000. La délibération, quant à elle, a été adoptée le 19 décembre 2000, soit quinze jours plus

tard225. Selon le Président de l'assemblée, il n’y avait donc pas antériorité de

la délibération par rapport à la loi du pays. Cette confusion était simplement due au délai de quinze jours existant entre l’adoption et la promulgation de la loi du pays afin de permettre une demande de nouvelle délibération du texte, en application de l’article 103 de la loi organique du 19 mars 1999.

La publication des deux textes a été concomitante : la loi du pays du 22 décembre 2000 précède en effet la délibération contestée dans le Journal Officiel de la Nouvelle-Calédonie du 27 décembre 2000.

Le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, dans un jugement du

13 décembre 2001226, a fait sienne l'argumentation du défendeur et a rejeté le

recours en annulation. Le juge administratif a estimé que la loi du pays et la délibération ayant fait l'objet d'une publication simultanée au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie du 27 décembre 2000, « les moyens tirés de

223

Délibération n° 144 du 19 décembre 2000 portant modification du tarif des douanes de Nouvelle-Calédonie, J.O.N.C. du 27 décembre 2000, p. 7096.

224 Parmi les requérants, figurait Monsieur Gérald CORTOT, membre du

Gouvernement chargé du secteur des transports. 225

On notera cependant que le délai de demande de seconde lecture n'était pas encore écoulé au moment de l'adoption de la délibération puisque celui-ci courait jusqu'au 19 décembre à minuit.

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l'incompétence dans le temps et de l'irrégularité de l'antériorité de la délibération du 19 décembre doivent être écartés comme manquant en fait ».

Les demandeurs ont fait appel de la décision et dans un arrêt 20 décembre 2002227, la Cour administrative d'appel de Paris a annulé partiellement le jugement de première instance.

Cette décision de la Cour administrative d'appel de Paris est la première dans laquelle le juge du second degré est appelé à décliner sa compétence en matière d'appréciation de la légalité d'une loi du pays. En effet, comme en première instance, les requérants contestaient, en réalité, sous couvert de la délibération, un certain nombre de dispositions de la loi du pays. Les juges de première instance avaient logiquement rejeté de telles prétentions, se déclarant incompétents. De même, la Cour administrative d'appel de Paris rejette les moyens consistant en une critique de la légalité de la loi du pays228.

S'agissant de l'antériorité de la délibération d'application de la loi du pays, la Cour administrative d'appel de Paris a réformé le jugement de première instance. Elle a décidé « que le Congrès de la Nouvelle-Calédonie ne pouvait

légalement adopter les mesures d'application d'une loi du pays avant qu'elle ne fût promulguée ; que, par suite, les trois dispositions susmentionnées sont dépourvues de base légale ».

227 CAA de Paris, 20 décembre 2002, préc.

228 La Cour administrative d'appel de Paris aura l'occasion de se prononcer à nouveau sur la question puisque trois requêtes d'appel ont été déposées à cet effet le 2 janvier 2003. La première (n° 03PA00009) tend à l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du 19 septembre 2002 (affaire n° 01-658) refusant de se prononcer sur la validité du scrutin du 23 novembre 2001 relatif à la loi du pays instituant une taxe de solidarité sur les services. La deuxième requête (n° 03PA000010) a pour objet la réformation d'un jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du 25 juillet 2002 (affaire n° 02-135) par lequel les juges de première instance ont rejeté la demande de Mme N. WAIA tendant à l'annulation de certaines dispositions de la note du 10 janvier 2002 du Président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. La plupart des dispositions litigieuses sont relatives aux modalités de vote des lois du pays. Il convient de noter que cette requête sera certainement jugée irrecevable, le délai d'appel (4 mois) étant écoulé. Enfin, une troisième requête d'appel (n° 03PA000011) tend à l'annulation d'un autre jugement du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du 25 juillet 2002 (affaire n° 02-039) qui a rejeté une demande d'annulation d'une lettre du Président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie refusant la transmission et la diffusion de trois propositions de loi du pays et une injonction au Président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie de procéder aux diffusions et transmissions de ces trois propositions. Dans toutes ces affaires, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a, en effet, refusé de se prononcer sur les aspects de procédure relatifs aux lois du pays.

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Pourtant, le défendeur faisait valoir une jurisprudence du Conseil d'Etat qu'il estimait contraire. Dans l'arrêt Daunizeau et autres du 27 janvier

1961229, la Haute juridiction avait, en effet, eu à se pencher sur une question

similaire. En l'espèce, les requérants contestaient le fait que les décrets d'application d'une ordonnance ayant force de loi aient été pris alors que cette ordonnance n'était pas encore publiée et n'était donc pas exécutoire. Le Conseil d'Etat avait alors estimé que « si l'ordonnance du 22 décembre 1958,

publiée au Journal officiel du même jour, n'est, conformément à son article 18, entrée en vigueur que le 2 mars 1959, le fait qu'elle n'était pas exécutoire à la date à laquelle sont intervenus les décrets attaqués n'a pu avoir par lui-même aucune influence sur la validité desdits décrets et a seulement eu pour conséquence que ceux-ci n'ont pu entrer en vigueur qu'après l'entrée en vigueur de l'ordonnance elle-même ; qu'il résulte d'ailleurs expressément desdits décrets que ceux-ci ne sont entrés en application que le 2 mars 1959 ». Pour le défendeur, cette jurisprudence paraissait tout à fait

transposable au cas d'espèce.

Or, il existe deux différences entre ces situations, chacune permettant de conclure à l'inverse du défendeur. Tout d'abord, en 1961, les requérants contestaient la légalité des décrets d'application du fait du défaut de publication de l'ordonnance à la date de leur adoption, alors qu'en 2002, le débat portait sur le défaut de promulgation. Ensuite, l'ordonnance était insusceptible de recours au moment de l'adoption des décrets, ce qui n'était pas, au plan constitutionnel, le cas de la loi du pays.

S'agissant de la première différence, le Commissaire du Gouvernement, Monsieur Francis Donnat, s'est prononcé en faveur d'une différenciation entre les deux situations. Le conseiller d'Etat a estimé fort logiquement que publication et promulgation ne pouvaient être assimilées. En effet, il souligne que « la seule sanction du défaut de publication d'un texte est son

inopposabilité », alors que la promulgation de l'acte législatif « est en quelque sorte nécessaire pour parfaire la loi »230. Le Conseil d'Etat a suivi les conclusions du Commissaire du Gouvernement, affirmant implicitement que la promulgation des lois du pays est une condition de leur existence. En conséquence, une loi du pays non promulguée ne peut pas servir de base légale à une délibération dérivée dans la mesure où elle n'a aucune existence juridique231.

229 CE, section, 27 janvier 1961, Sieurs Daunizeau et autres, Rec., p. 58. 230 Conclusions sous C.E., 12 janvier 2005, op. cit.

231

Par ailleurs, le Conseil d'Etat a également écarté l'application de la jurisprudence « Barre et Honnet » (Conseil d'Etat, Assemblée, 10 mai 1974, Rec., p. 276). En l'espèce, le Conseil d'Etat avait en effet admis que le Gouvernement pouvait prendre et publier des dispositions réglementaires en subordonnant leur application à

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En tout état de cause, il était également possible pour le juge administratif de se fonder sur la deuxième distinction entre les deux espèces : la délibération a été adoptée avant même que la loi du pays ne devienne définitive, c'est-à-dire que le délai de demande de seconde lecture ne soit écoulé. En effet, le Conseil d'Etat aurait pu confirmer l'annulation des dispositions litigieuses de la délibération, puisque, à la différence de l'ordonnance de 1958 dans l'affaire Daunizeau, la loi du pays du 22 décembre 2000 n'était pas insusceptible de recours au moment de l'adoption des textes réglementaires d'application.

Quoi qu'il en soit, l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat a un intérêt pratique d'une importance particulière. En effet, il était de plus en plus courant que la délibération d'application de la loi du pays soit adoptée lors de la même séance que la loi du pays. En décidant que la délibération d'application ne peut être adoptée qu'après promulgation de la loi du pays, le Conseil d'Etat impose au Congrès de la Nouvelle-Calédonie de ne désormais prévoir la discussion du texte réglementaire qu'après promulgation de la loi du pays.

L’existence d’un mécanisme de promulgation de la loi du pays est un élément supplémentaire en faveur de la reconnaissance d’une nature législative de la loi du pays. Cela semble être également l’opinion du Commissaire du Gouvernement Francis Donnat, lequel prône une assimilation entre les conséquences juridiques de la promulgation de la loi et de la loi du pays. Il préconise à cet égard que « les mêmes effets nous semble

donc devoir s'attacher, toutes choses égales par ailleurs, à la promulgation de la loi du pays par le Haut-commissaire et à la promulgation de la loi par le chef de l'Etat »232.

l'intervention d'une loi qui n'était pas encore votée : « Considérant que le

Gouvernement a pu, sans méconnaître l'étendue de ses pouvoirs, subordonner l'entrée en vigueur des nouvelles règles de procédure applicables devant le Tribunal de grande instance à l'intervention d'un texte législatif unifiant les professions d'avocat et d'avoué ». Il en ressort donc que l'autorité réglementaire peut légalement

prendre des actes d'application d'une loi alors même que celle-ci n'a pas encore été votée mais à condition que ces actes d'application n'entrent en vigueur qu'avec la loi ou à sa suite. Toutefois, cette solution ne peut pas être transposée au cas où un acte réglementaire est pris pour l'application d'un acte législatif, les dispositions réglementaires manquant de base légale. Cette hypothèse avait d'ailleurs expressément été écartée par le Commissaire du Gouvernement dans l'affaire « Barre et Honnet ».

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§ 2 – Des règles fixées par le règlement intérieur de

l’assemblée globalement conformes aux usages législatifs

Devant le peu d'obligations imposées par les textes de référence (Accord de Nouméa, Titre XIII de la Constitution et loi organique du 19 mars 1999), beaucoup de règles relatives à la procédure d’adoption de la loi du pays sont, en application du principe d’autonomie des assemblées parlementaires, issues du règlement intérieur dont le Congrès s’est lui-même doté. Cet élément est essentiel pour la compréhension de la procédure et des difficultés qu'elle engendre.

En effet, il apparaît que les conseillers de la Nouvelle-Calédonie ont eu des difficultés pour inventer la procédure législative locale, indépendamment de celle applicable aux délibérations. En conséquence, le règlement intérieur du Congrès s'avère quelquefois être une compilation mal articulée des dispositions applicables aux délibérations et des règles imposées par la loi organique pour l’adoption des lois du pays. Il en résulte parfois une certaine confusion dans la procédure tant la transposition des prescriptions du législateur organique dans les dispositions préexistantes du règlement intérieur a été appréhendée sans vision d'ensemble du cheminement procédural du texte.

Il est certain qu'une autre technique d'élaboration de la procédure aurait permis d'éviter bien des écueils. Il aurait pour cela été nécessaire de concevoir une procédure propre à la loi du pays.

Pour autant, il n’apparaît pas que ces difficultés de gestation suffisent à nier toute nature législative aux lois du pays. Cette analyse est confirmée par le fait que la réécriture d’une partie du règlement intérieur233 suite à une annulation partielle du juge administratif234 a été menée à la lumière de la procédure parlementaire nationale, dans la mesure où les nouvelles dispositions ont été largement inspirées des règlements intérieurs de l’Assemblée nationale et du Sénat, tant s’agissant du droit d’amendement (A), que des modalités de discussion et de vote (B).

233 Délibération n° 107 du 9 août 2000 modifiant la délibération n° 009 du 13 juillet 1999 portant règlement intérieur du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, J.O.N.C. du 24 août 2000, p. 4265.

234 T.A. de Nouvelle-Calédonie, 20 avril 2000, « Monsieur D. Leroux », n° 99-347 et 99-349, inédit.

Loi du pays et procédure législative A - Le droit d'amendement

Les règles relatives au droit d'amendement sont précisées au Chapitre XVI du règlement intérieur du Congrès. Les articles 74 et suivants établissent un schéma dont la cohérence peut parfois paraître incertaine tant du point de vue de la recevabilité, que de la discussion des amendements.