• Aucun résultat trouvé

4.3 Opérationnalisation des limites juridiques endogènes à la Cour pénale

4.3.1 Les solutions de compromis adoptées lors de la Conférence diplomatique de

Les discussions sur les questions de nature plus politique abordées lors de la Conférence de Rome ont débouché sur l‘adoption de solutions de compromis (Roy, 1999, 21), soit par exemple la possibilité du renvoi selon l‘article 13b), mais aussi sur la possibilité d‘un blocage

de l‘action du procureur par le Conseil de sécurité en vertu de l‘article 16. En outre, les États ont accepté le principe selon lequel tout État, en devenant partie au Statut, reconnaît la compétence de la Cour à l‘égard des quatre crimes les plus graves : le crime de génocide, les crimes contre l‘humanité, les crimes de guerre et les actes d‘agression. La Cour peut donc exercer sa compétence si l‘État sur le territoire duquel ont eu lieu les actes ou l‘État dont est ressortissante la personne mise en examen ou poursuivie est lié par le Statut ou a reconnu la compétence de la Cour. Toutefois, si une situation est déférée au procureur en application du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies par le Conseil de sécurité (c‘est le cas du Darfour, tel qui l‘a abondamment été exposé précédemment dans ce travail), aucun consentement de l‘État concerné n‘est requis. Le Conseil de sécurité peut également demander, à travers une résolution adoptée sous le Chapitre VII, qu‘aucune enquête ne soit ouverte ou qu‘aucune procédure ne soit engagée pendant une période de douze mois renouvelables selon l‘article 16 du Statut (Triffterer, 2008).

Le rôle du procureur a aussi été débattu lors de la Conférence de Rome. Nous avons déjà dit quelques mots sur le point de vue des États-Unis qui s‘opposaient à un procureur trop indépendant et qui, de leur avis, pouvait être laissé libre d‘ouvrir des enquêtes sans contrôle (Conso, 2005; Heyder, 2006). Toutefois, sous la pression des « pays pilotes », les négociations de la Conférence de Rome ont permis l‘action proprio motu (c‘est-à-dire de sa propre initiative) du Procureur. Il peut donc faire des enquêtes au sujet des quatre crimes les plus graves, mais avec certaines limites. En effet, une fois qu‘il a conclu qu‘il y a de bonnes raisons d‘ouvrir une enquête, le Procureur doit présenter à la Chambre préliminaire (Pre-Trial Chamber) une demande d‘autorisation en ce sens. Si celle-ci décide d‘autoriser l‘ouverture de l‘enquête, le Procureur doit le notifier à tous les États parties ainsi qu‘aux États concernés. Sur la base du principe de la complémentarité à la base du mécanisme de la Cour pénale internationale, ceux-ci ont un mois pour informer le Procureur si une enquête ou une procédure concernant l‘affaire en question est déjà en cours sur le plan national (Bakker, 2008 ; Franceschet, 2012). Si tel est le cas, le procureur doit placer les poursuites sous l‘autorité de l‘État concerné. Le procureur peut toutefois décider de demander à la Cour de statuer sur une question de compétence ou de recevabilité86. La solution trouvée à Rome quant au pouvoir du Procureur d‘engager des poursuites constitue un compromis entre les États qui, d‘une part, redoutaient de se retrouver avec un procureur surchargé et « politisé », et ceux qui, d‘autre part, espéraient qu‘un procureur indépendant serait la garantie d‘une Cour

efficace et non politique (Roberge, 1998). Cela dit, selon certains auteurs (Cohen, 2005) le Statut de la CPI est marqué par le principe de la non-ingérence et reste tributaire de la bonne volonté des États (Cohen, 2005, 6). Tous ces débats qui ont eu lieu au moment de la naissance de la Cour pénale internationale et les compromis survenus (cf. Tableau 18) sont importants pour le développement de la question de recherche. En effet, il s‘agit de débats qui se sont reproduits au moment de l‘application au Darfour du mécanisme du renvoi.

Tableau 18 : Les négociations à la Conférence diplomatique de Rome − Les trois

blocs de pays aux idées divergentes

Les trois blocs

Position

face à la

CPI

Essence des principales

requêtes

Résultat

de

compromi

s

Les pays pilotes

(au nombre de 80 et comptant les États européens

à l‘exception de la France, le Royaume-Uni, le Canada, l‘Australie, la Corée du Sud, Singapour, les États d‘Afrique et les États d‘Amérique latine)

Favorable aboutissement rapide des négociations;

OUI

compétence rationae materiae exhaustive;

OUI

action proprio motu du Procureur; OUI

indépendance totale de la CPI face au CDS et aux États;

NON

mise en place de mécanismes pour obtenir : la coopération des États et prendre des mesures provisoires en matière

d‘investigation et d‘exécution des décisions.

NON

Les pays P-5

États-Unis Réfractaire la CPI devait être contrôlée par le CDS;

la non-remise des nationaux; NON opposition à la compétence

universelle;

OUI

opposition à la compétence de la CPI envers les pays tiers;

OUI

le Procureur devait être contrôlé. Il est trop indépendant.

NON

Russie Réfractaire — —

Inde Réfractaire dénonciation d‘un rôle illégal du CDS dans la coopération avec la CPI (art. 13 b et 16);

NON

déséquilibre de pouvoir dans le cadre de la coopération CPI-CDS.

NON

Chine Réfractaire — —

France Place

intermédiaire

équilibre entre le volet juridique et le volet politique;

Sans objet

éviter les hypothèses de plaintes politiques infondées;

Sans objet

présentation d‘un projet de Statut alternatif très technique :

compétence de la Cour au cas par

cas et introduction de l‘art. 124.

Les pays non alignés (MNA)

Y compris quelques délégations qui appartenaient aux pays pilotes

inclure le crime d‘agression dans le Statut de Rome.

OUI

Southern African

Development Community

Favorable définition plus ample de droits de l‘homme.

NON

Groupe d‘États arabes Favorable inclure la prohibition des armes nucléaires ;

NON

inclure la peine de mort ; NON Autre délégation du MNA Favorable inclure le trafic de stupéfiants ; NON

inclure le terrorisme. NON

Source : Compilation de l‘auteure à partir des différentes données

En conclusion, nous pouvons affirmer que les discussions entourant le renvoi de la situation politique du Darfour à la Cour pénale internationale indiquent globalement – et en principe – que la coopération entre la Cour et le Conseil constitue un passage positif du processus de paix. Cependant, ce mécanisme, qui fonctionne très bien dans la Charte du Statut de Rome, c‘est-à-dire en théorie, pourrait ne pas fonctionner aussi bien dans son application à la réalité. Sans aucun doute, le Darfour représente un banc d‘essai pour la Cour pénale internationale qui doit démontrer son efficacité et sa capacité de favoriser l‘établissement de la paix par le biais de la justice (Chung, 2008 ; Stoett, 2010 19).

4.3.2 La possibilité de négocier des accords bilatéraux d’immunité (article 98 de

Outline

Documents relatifs