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2.2 Recension des écrits

2.2.4 Le concept de justice universelle à la base de la CPI : sa genèse et son

Il nous semble opportun de donner au lecteur un aperçu du concept de justice universelle et de son évolution, afin qu‘il puisse mieux saisir notre problématique de recherche. À cet égard, nous étudierons dans cette section la définition de la justice universelle, pour ensuite analyser brièvement son évolution, jusqu‘à la création de la Cour pénale internationale. Le principe d‘universalité, qui est à la base de la notion de justice universelle, permet en théorie aux tribunaux d‘un État d‘exercer leur juridiction sur des personnes et des faits en l‘absence de tout lien avec leur propre système juridique (O‘Keefe, 2004; Zappalà, 2007, 91). À cet égard, une intéressante étude menée par Marc Henzelin (Henzelin, 2000) définit le principe d‘universalité en droit pénal international. Cependant, le principe d‘universalité demeure ardu à définir, car il recouvre des faits et des logiques juridiques très différents14.

Nous avons dès lors renoncé dans notre étude à examiner en détail le principe de l‘universalité unilatérale et le principe de l‘universalité déléguée (Henzelin, 2000), pour concentrer notre analyse sur le principe de l‘universalité absolue.

Le principe de l‘universalité absolue s‘affirme au cours du XXe siècle alors que un certain

nombre d‘États profitent de la dynamique nouvelle créée par les tribunaux ad hoc mis sur pied par le Conseil de sécurité des Nations Unies pour introduire des dispositions pénales en cas de violation du droit international matériel et pour réfléchir à l‘actualisation du principe de l‘universalité pour juger les infractions de droit international. En effet, l‘un des grands espoirs de la doctrine universaliste absolue était la création de la Cour pénale internationale. L‘affirmation du concept de justice universelle ou de justice pénale supranationale est considérée par de nombreux auteurs comme l‘un des grands événements politiques de la seconde partie du XXe siècle (Bourdon, 2003; Cottereau, 2002; Garapon, 1999; Gattini, 2004;

Ruiz Fabri, 2000). Cependant, force est de souligner que pour certains autres auteurs, le concept de justice absolue se révèle être « illusoire et nuisible » et bien distinct du concept de paix publique (Todorov, 2004, 714-715). Toutefois ces importantes réserves sont mitigées par la reconnaissance du fait que la justice est nécessaire à l‘humanité. Il doit s‘agir d‘une justice qui n‘est pas imposée. En ce sens, Torodov, dans son étude (Torodov, 2004) affirme que : « Dreaming of absolute justice is both illusory and injurious. Human existence is an ―imperfect garden‖, as Montagne once wrote, and we should not forget it: moralistic drifting

can prove dangerous. However, a life without justice is less than human. We would do well to avoid the two extremes: there is no shame in choosing the middle ground » (Torodov, 2004, 715). L‘affirmation d‘une justice pénale universelle se fait donc de manière lente et hésitante (Bourdon, 2003, 189). En effet, l‘idée de constituer une juridiction universelle pour juger les crimes les plus graves à l‘encontre de l‘humanité, c‘est-à-dire ceux qui seront progressivement qualifiés comme crimes internationaux en droit international public ou crimes de nature universelle, est « une vieille lune » (Bourdon, 2000, 13). Le premier à en avoir évoqué la perspective, en 1872, est Gustave Moynier, l‘un des fondateurs de la Croix- Rouge. Une première tentative d‘établir une juridiction internationale va résulter de la constitution, en 1919, d‘une commission d‘enquête sur la responsabilité des auteurs des crimes commis au cours de la Première Guerre mondiale. Trois articles du Traité de Versailles du 28 juin 1919, soit les articles 227, 228, et 229, prévoyaient l‘instauration d‘une justice pénale internationale destinée à juger l‘ancien Kaiser d‘Allemagne, Guillaume II, pour « offense suprême contre la morale internationale et l‘autorité sacrée des traités ». Ce tribunal ne verra jamais le jour, les Pays-Bas ayant refusé de livrer Guillaume II qui avait trouvé refuge sur leur territoire. Toutefois, il est important de souligner que cette disposition affirmait l‘existence d‘une morale internationale, première allusion à l‘existence d‘une norme de nature universelle transcendant les frontières et les souverainetés (Bourdon, 2000; Gattini, 2004; Zappalà, 2007). Dès cette époque s‘amorce l‘ébauche d‘une codification de l‘un des trois crimes de nature universelle figurant dans le Statut de la Cour pénale internationale, soit les crimes de guerre (Levi et Hagan, 2008).

En 1920, la Société des Nations désigne un comité consultatif des juristes pour préparer un projet de Cour permanente de justice internationale. Ce comité d‘experts devait élaborer deux projets de convention, l‘un relatif à la prévention et à la répression du terrorisme, l‘autre relatif à la création d‘une Cour pénale internationale en vue de juger des individus auteurs de crimes de terrorisme. Les deux conventions issues de ces propositions furent signées le 16 novembre 1937, mais elles ne sont jamais entrées en vigueur, faute de ratification nécessaire. Les atrocités des exactions commises pendant la Deuxième Guerre mondiale ont ensuite amené les Nations Unies à établir la Commission des crimes de guerre des Nations Unies. Il s‘agit alors d‘un nouveau pas vers une justice internationale. Seuls les crimes de guerre étaient visés, puisque ce n‘est qu‘à partir de 1944 que s‘imposa la nécessité de conceptualiser une autre catégorie de crimes, soit les crimes contre l‘humanité. Avec l‘institution du

Tribunal militaire international de Nuremberg (Accord de Londres du 8 août 1945)15 et du Tribunal militaire international pour l‘Extrême-Orient ou Tribunal de Tokyo (19 janvier 1946)16 pour juger les criminels nazis, les travaux de la Commission de droit international et

le développement des doctrines des droits de l‘homme, la doctrine de l‘universalité absolue défendue par certains pénalistes du siècle précédent allait naturellement trouver une nouvelle jeunesse.

Quelques auteurs se réfèrent ainsi à la seule qualité « internationale » de certaines infractions afin qu‘elles puissent être jugées selon le principe de l‘universalité. Selon cette doctrine, il suffit que des crimes soient reconnus comme étant des crimes de portée internationale, à savoir qu‘ils deviennent un sujet de préoccupation pour la communauté internationale, afin que tout État puisse poursuivre et juger leurs auteurs (Meron, 1995, 576; Reyadms, 1996, 23). Cette école de pensée fut notamment représentée dans l‘immédiat après-guerre par des auteurs comme Glaser, Pella ou Saldana. La doctrine de l‘universalité absolue a enfin trouvé une nouvelle justification avec le principe de jus cogens établi par l‘article 64 du Traité de Vienne sur le droit des Traités (23 mai 1969) combiné avec la notion d‘obligation erga omnes développée par la Cour internationale de Justice. En effet, selon Bassiouni, il y a un lien direct entre les crimes de droit international qui relèvent de jus cogens et leur répression universelle erga omnes. Pour Bassiouni et Wise, par exemple (en Heinzelin, 2000) : « Le fait de reconnaitre certains crimes internationaux comme relevant du jus cogens entraîne le devoir de poursuivre ou d‘extrader […] et l‘universalité de la compétence sur ces crimes, quel que soit le lieu où ils ont été commis. […] [L]e fait de reconnaitre un crime comme jus

cogens impose aux États une obligation erga omnes de ne pas accorder l‘impunité aux

auteurs de tels crimes » (Bassiouni, Wise en Henzelin, 2000, 402).

En 1947, l‘Assemblée générale des Nations Unies (ci-après désignée AGNU ou l‘Assemblée générale) amorce l‘élaboration d‘un « code de crimes contre la paix et la sécurité de l‘humanité ». De plus, en 1948, l‘Assemblée générale a invité la Commission de droit international (ci- après appelée CDI) à examiner l‘opportunité de créer un organe judiciaire pénal, soit « une chambre pénale de la Cour internationale de Justice » (Document officiel AGNU A/Rés. 260 (III) B). En effet, une juridiction internationale était prévue aussi à

15 La Charte de Londres du Tribunal militaire international fait l‘objet de l‘accord de Londres. Elle a été conçue

pour le Procès de Nuremberg.

16 Le 19 janvier 1946 la Charte du Tribunal militaire international pour l‘Extrême-Orient est promulguée par le

l‘article VI de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide (10 décembre 1948). Toutefois, la guerre froide et les rapports de force existant au sein du Conseil de sécurité ont retardé le cheminement d‘un tel projet. En 1954, l‘Assemblée générale des Nations Unies décide de mettre à jour la question d‘une cour pénale internationale. Sa création sera liée au projet d‘un code des crimes contre la paix et la sécurité de l‘humanité et à la définition de l‘agression. Pendant vingt ans, ce projet restera lettre morte. En 1973, le projet refait surface à l‘occasion de l‘adoption, par l‘Assemblée générale, d‘une Convention sur l‘élimination et la répression du crime d‘apartheid prévoyant à l‘article V la possibilité de déférer les personnes accusées d‘un tel crime devant un tribunal pénal international. Les travaux de la Commission de droit international reprennent en 1980, mais c‘est seulement en 1994 qu‘elle approuvera un projet de statut et recommandera à l‘Assemblée générale la tenue d‘une conférence internationale pour conclure une convention relative à la création d‘une cour pénale internationale. En effet, l‘Assemblée décida, en 1995, de créer une commission préparatoire pour la rédaction d‘un texte de synthèse pour l‘adoption de la convention internationale. La forte accélération des travaux découle de la création par le Conseil de sécurité d‘un tribunal international ad hoc (Levi et Schoenfeld, 2008) pour juger les personnes responsables de violations graves du droit humanitaire international commises sur le territoire de l‘ex-Yougoslavie depuis 199117. En outre, à la

suite des massacres commis au Rwanda, le CDS créait un autre tribunal international ad hoc chargé de juger uniquement les personnes présumées responsables des actes de génocide ou d‘autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda18. Le contexte international, c‘est-à-dire la fin de la guerre froide et le nouveau

consensus politique au sein du CDS, de même que les violences contre les populations civiles constatées sur le territoire de l‘ex-Yougoslavie et au Rwanda permettront la constitution de ces deux tribunaux ad hoc ainsi que la reprise des travaux pour établir une juridiction internationale permanente (Zolo, 2004). Ainsi, de 1996 à 1998, six comités préparatoires se sont tenus à New York. Enfin, la Conférence internationale a pu s‘ouvrir le 15 juin 1998 à

17 Résolution 827 (1993) adoptée par le Conseil de sécurité lors de sa 3217e séance, le 25 mai 1993. [sur la

création du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie]. S/RES/827 (1993).

18 Résolution 955 (1994) adoptée par le Conseil de sécurité lors de sa 3453e séance, le 8 novembre 1994. [sur la

Rome où, le 17 juillet suivant, les États adoptaient le Statut instituant la Cour pénale internationale, connu sous le nom de Statut de Rome19.

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