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4.1 Les indicateurs de recherche

4.1.1 L‘efficacité du mécanisme de coopération entre le CDS et la CPI et ses

4.1.1.1 La cessation et la prévention des actes de violence contre la population

Afin d‘évaluer l‘atteinte de l‘objectif 1 du mécanisme de coopération, nous avons cherché à observer la présence d‘une variation, positive ou négative, du nombre de morts civils et du nombre d‘attaques contre les civils perpétrées par le gouvernement du Soudan après la période d‘application de la mesure de coopération entre le CDS et la CPI, soit après le 31

37 Professeur, INRS – Urbanisation. Colloque 1996 : La Recherche universitaire en période de restriction

mars 2005. Pour ce faire, nous avons interrogé la banque de données du Département de Recherche sur la paix et les conflits de l‘Université d‘Uppsala (UCDP Datasets)38 au sujet des

données ultérieures à 2005. Les données antérieures à la saisine de la CPI par le CDS ont quant à elles été recueillies par l‘analyse de plusieurs sources. À ce titre, nous avons consulté le Rapport de la commission d‘enquête de l‘ONU (S/2005/60) de même que les données fournies par le Bureau of Intelligence and Research du département d‘État américain39 et par

des rapports émis par des ONG telles que Amnesty International, Human Rights Watch, International Crisis Group et Global Security. Cela dit, il est important de souligner que les données que nous avons collectées peuvent être biaisées, soit en raison des difficultés liées au contexte de conflit intra étatique en cours dans le pays, soit en raison de l‘approche peu collaborative du gouvernement soudanais dans le dévoilement des statistiques.

En ce qui concerne la période 2003-2005, le rapport très étoffé que remettait la Commission d‘enquête au Secrétaire général (S/2005/60) le 25 janvier 2005 mettait à l‘avant-plan les responsabilités du gouvernement du Soudan et de ses milices dans la violation des instruments internationaux relatifs aux droits de l‘homme et du droit international humanitaire qui, en droit international, constituent des crimes. En ce sens, le rapport précise ce qui suit :

La Commission a établi en particulier que, sur tout le territoire du Darfour, les forces gouvernementales et les milices s‘étaient livrées à des attaques aveugles, tuant des civils, commettant des actes de torture, procédant à des enlèvements, détruisant des villages, commettant des viols et autres actes de violence sexuelle, se livrant au pillage et procédant à des transferts forcés de populations. Généralisés et systématiques, ces actes peuvent être considérés comme des crimes contre l‘humanité. Vu l‘ampleur des destructions et des transferts de populations, d‘innombrables femmes, hommes et enfants se trouvent à tel point dépourvus de moyens de subsistance que leur survie est compromise. Aux attaques de grande envergure s‘ajoute le fait que de nombreuses personnes ont été arrêtées et mises en détention, et que nombre d‘entre elles ont été tenues pendant de longues périodes et torturées. Dans leur grande majorité, les victimes de ces violations sont des membres des tribus dites « africaines » du Darfour, notamment les tribus Four, Zaghawa, Massalit, Djebel et Aranga. (S/2005/60, 3)

38 La Banque de données est consultable à l‘adresse: http://www.pcr.uu.se/research/ucdp/datasets/. Page consultée

le 10 mai 2013.

Bien que le Rapport soit très révélateur en ce qui concerne la description de la stratégie du Soudan et de la coordination de ses milices au cours des attaques lancées entre 2003-2004, le rapport ne fournit pas le nombre exact de meurtres commis par les forces gouvernementales ou les milices, qui représente la donnée de base pour l‘évaluation de l‘objectif 1. En effet, les allégations rapportées pour définir la situation du Darfour, faisant référence à des études de cas sur les attaques contre la population civile, ne sont pas chiffrées avec précision :

La Commission a eu accès à de nombreux éléments d‘information d‘origines diverses, qui attestent que nombre de massacres de civils ont été perpétrés dans tout le Darfour, du début de 2003 à la date de publication du présent rapport. La grande majorité de ces massacres auraient été commis par des personnes que les témoins décrivent comme étant des Janjaouid, souvent en uniforme et se déplaçant à cheval ou à dos de chameau. Utilisant surtout des armes à feu, les assaillants auraient généralement perpétré ces massacres lors d‘attaques lancées contre des villages ou des hameaux. (S/2005/60, 85)

Le nombre de civils morts pendant les attaques du gouvernement de 2003 jusqu‘à 2005 doit donc être estimé à la lumière d‘autres sources. Or, les nombreux rapports et études des principaux groupes de défense des droits humains consultés rapportent des données statistiques très divergentes. Par exemple, dans un rapport de Global Security on affirme que « Human rights groups described the situation in Darfur as a genocide. The United Nations said up to 300,000 people died over six years of fighting between rebel groups and government forces40 ». Ce chiffre ne fait toutefois pas l‘unanimité et, en tout cas, un nombre

exact de morts n‘est jamais établi de manière absolument fiable. Ainsi, nous avons retenu, parmi toutes les données repérées, celles de l‘étude effectuée par le Bureau of Intelligence and Research du département d‘État américain41, lesquelles, pour la démarche sur laquelle

elles reposent, nous apparaissent crédibles. Cette étude cherche à établir le nombre de victimes civiles engendrées par le conflit entre le mois de mars 2003 et le début de l‘année 2005 en excluant les morts causées par maladie ou par famine dues à la sécheresse et en considérant le taux de mortalité « naturel » pour la population du Darfour. De cette manière, l‘étude estime que, pendant la période considérée, entre 98 et 181 000 personnes sont mortes

40Le document peut être consulté en ligne à l‘adresse :

http://www.globalsecurity.org/military/world/para/darfur.htm

dans les zones affectées par le conflit, soit le Darfour et la partie est du Tchad. En outre, entre 63 et 146 000 morts doivent être attribuées à la violence, à la maladie et à la malnutrition occasionnées par le conflit.

De façon détaillée, l‘étude relate que le nombre de morts au cours de la période allant de mars à septembre 2003, soit au tout début du conflit, est estimé entre 4 100 et 8 800, un nombre surtout concentré dans les régions du Darfour Nord et du Darfour Ouest. Cette période initiale correspond à l‘éclatement du conflit entre les forces gouvernementales et deux groupes rebelles du Darfour à la suite de la première attaque contre l‘aéroport d‘El- Fasher contrôlé par le gouvernement. Ensuite, entre la période s‘étendant d‘octobre 2003 à mars 2004, cette dernière période correspondant au premier cessez-le-feu, l‘étude estime qu‘il y a eu entre 32 et 68 000 victimes, toujours concentrées dans le nord et l‘ouest du Darfour. Ces morts seraient imputables à une escalade de la violence sans précédent perpétrée par les

Janjawids et les troupes gouvernementales contre les villages des civils. La période comprise

entre les mois d‘avril et juin 2004, correspondant au deuxième cessez-le-feu et à une diminution de la violence, laisse toutefois enregistrer un nombre de morts estimé entre 6 300 et 24 000. Enfin, la période allant de juillet 2004 à janvier 2005 fait entre 21 et 45 000 morts avec une recrudescence de la violence et de l‘insécurité dans tout le Darfour. Le tableau et la figure suivants schématisent le nombre total de morts.

Tableau 5 : Nombre demorts au Darfour et au Tchad (mars 2003-janvier 2005)

Source: U.S. Department of State. Bureau of Intelligence and Research (25 mars 2005). En ligne: http://2001-

2009.state.gov/s/inr/rls/fs/2005/45105.htm

Figure 4 : Nombre demorts au Darfour et au Tchad (mars 2003-janvier 2005)

Source: U.S. Department of State. Bureau of Intelligence and Research (25 mars 2005). En ligne: http://2001-

En somme, la donnée de départ pour notre évaluation de l‘efficacité de la coopération ne serait pas significativement éloignée des statistiques fournies par les Nations Unies, qui estiment le nombre de morts civils à 200 000. Les chiffres issus de la banque des données de l‘Université d‘Uppsala42 rapportent pour leur part de façon précise le nombre de civils morts

pendant les violences unidirectionnelles (one-sided violence) perpétrées par le gouvernement, les milices Janjawids, et les groupes rebelles (JEM; SLM/A; SLM/A-MM; SPLM/A) contre les civils. Ainsi, au cours de la période successive à la saisine de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité, soit la période débutant en mars 2005 et s‘étendant jusqu‘à l‘année 2012, le nombre de civils morts à cause du conflit semble avoir diminué par rapport à la donnée de départ, même si les attaques et les exactions commises à l‘endroit de population civile sont toujours présentes. En ce qui concerne précisément les morts causées par les attaques gouvernementales contre la population civile, la Conflict Encyclopedia de l‘Université d‘Uppsala relève ce qui suit :

The government of Sudan has carried out various types of one-sided killings. Almost all of these one-sided killings have taken place in relation to war but occasionally the one-sided killings have also taken place under other circumstances as for instance police shooting at peaceful demonstrations. One- sided killings by the army in relation to warfare have for instance included: extrajudicial executions, burning of villages and deliberate attack of civilians with helicopters. In addition to this mass executions of civilians have been used to clear certain areas as for examples the oil-rich areas in western Upper Nile. This type of warfare conducted by the regular army has been outspread but the bulk of government one-sided killings have been conducted by pro-government militias.43

Or, comme on peut le voir dans le tableau ci-après, les chiffres relatifs au nombre des civils tués dans ce contexte diminuent dans la période considérée, soit entre mars 2005 et l‘an 2012.

42 Données consultables à l‘adresse : http://www.ucdp.uu.se/gpdatabase/gpcountry.php?id=145#

Tableau 6 : Évaluation du nombre de morts civils pendant les attaques

gouvernementales – one sided violence gouvernement-civils

Scénario

Année Faible Référence Fort

2012 53 53 65 2011 174 174 387 2009-2010 — — — 2008 186 186 357 2007 88 88 134 2006 252 252 362 2005 303 403 707 2004 2 429 2 593 15 408 2003 1 776 1 776 12 470

Source : Database-Uppsala Conflict Data Program (UCDP)

Les données que nous avons recueillies montrent qu‘après l‘année 2004, où il y a eu une augmentation de la violence et des exactions commises par le gouvernement à l‘encontre de la population civile, le nombre des civils morts diminue graduellement. De plus, cette étude souligne que les violences et les attaques contre les civils ont été dirigées par le gouvernement et ses milices suivant aussi un critère géographique. Plus précisément, le gouvernement du Soudan aurait visé les populations qui vivaient dans les régions du Soudan considérées à plus haute importance géostratégique, dont le Darfour. À cet égard, l‘étude affirme que :

The one-sided attacks conducted by the Government of Sudan have much geographically spread and the region of highest strategically importance at the time has been most targeted. In the beginning of the 90s the Nuba Mountains was the most affected area due to area was much contested in the fighting between SPLM/A and the Government. A few years later many massacres took place in the much contested Abyei area on the border between Northern and

Southern Sudan. The Nuba Mountains and the Abyei area remained the most affected areas for government one-sided attacks throughout the 90s but attacks also took place in the states of: White Nile, Eastern Equatoria, Jonglei, Bahr El Ghazal, state of Lakes (also known as Buhayrat) and West Darfur. From 2000 until 2002 the one-sided killing by the Sudanese government and its affiliated militias concentrated to the oil-fields in the western part of the Upper Nile state and from 2003 until 2007 the majority of atrocities have been carried out in Darfur.44

Comme nous l‘avons déjà souligné, les violences contre la population civile ont également été perpétrées par le gouvernement de Khartoum par le biais des milices Janjawids (Raleigh, 2012, 463). À ce titre, ces milices ont eu un rôle important dans le conflit au Darfour, et ce, surtout à partir de l‘année 2003. En ce sens, la Conflict Encyclopedia de l‘Université d‘Uppsala relève ce qui suit :

It is often said that the war in Darfur started in 2003 when the rebel groups SLM/A and JEM took up weapon against the Government of Sudan. However, closer to the true is that this was the start of one type of warfare but other conflicts have been going on for a long time in Darfur. Both as an important area in the war between Libya and Chad in 70s, and 80s and large sized communal conflicts between different tribes most often divided after an Arab-African dichotomy. (see actor description of Janjaweed for further details). These different types of violence highly influence the foundation and organisation of Janjaweed. However, it is foremost since 2003 that Janjaweed have been an important actor in the Darfur conflict.45

En ce qui concerne les civils tués à cause des attaques des milices Janjawids, les données indiquent que leur nombre diminue à partir de l‘année 2005, et ce, jusqu‘à l‘année 2010. C‘est ce que montre le tableau qui suit.

44 Le document est disponible en ligne à l‘adresse http://www.ucdp.uu.se/gpdatabase/gpcountry.php?id=145# 45 Document disponible en ligne à la page : http://www.ucdp.uu.se/gpdatabase/gpcountry.php?id=145#

Tableau 7 : Évaluation du nombre de morts civils pendant les attaques

gouvernementales – one sided violence Janjawids-civils

Scénario

Année Faible Référence Fort

2010 41 41 70 2008 60 60 99 2007 267 267 276 2006 895 899 1 473 2005 350 350 705 2004 693 693 15 415 2003 1 064 1 064 12 733

Source : Database-Uppsala Conflict Data Program (UCDP)

Comme nous l‘avons souligné, les milices Janjawids ont conduit plusieurs attaques, soit avec l‘armée régulière du gouvernement du Soudan, soit par eux-mêmes. En particulier, les attaques au sol prévoyaient une stratégie très précise comme le Rapport de la Commission d‘enquête le révèle :

Dans le cas des attaques au sol, les soldats arrivaient souvent dans des véhicules Land Cruisers et d‘autres véhicules, et étaient suivis par un groupe important de Janjaouid à cheval et à dos de chameau, tous équipés d‘AK-47, de G-3 et de roquettes. Au cours d‘un grand nombre de ces attaques, des civils, notamment des femmes et des enfants, ont été tués, des maisons, écoles et autres structures civiles incendiées, et les puits, hôpitaux et magasins détruits. Les attaques ont invariablement été suivies par le pillage et le vol de biens civils, en particulier du bétail, et dans de nombreux cas, tous les biens meubles, jusqu‘au dernier, étaient soit volés soit détruits par les attaquants. Souvent, les civils étaient déplacés par la force à la suite de l‘attaque. (Rapport de la Commission d‘enquête S/2005/60, 74)

De plus, l‘intention génocidaire de ces attaques transparaît de façon évidente à travers les communiqués des Janjawids. Par exemple, la Conflict Encyclopedia de l‘Université d‘Uppsala relève ce qui suit: « The background to this ethnical cleansing can be found in different statements. For example in August 2004 a directive from the Janjaweed headquarter stated that the purpose of their warfare was to ―change the demography of Darfur and empty it of African tribes‖46».

En ce qui concerne le nombre des morts civils pendant les attaques des groupes rebelles (JEM; SLM/A; SLM/A-MM; SPLM/A), le tableau ci-après donne un aperçu de la variation des chiffres.

Tableau 8 : Nombre de morts civils pendant les attaques des groupes rebelles

(2003-2006)

Groupes rebelles

Année JEM SLM/A SLM/A-MM SPLM/A

2006 — — 76 - 100 —

2005 — 63 - 87 — —

2004 — — — 33 - 36

2003 69 — — —

Source : Compilation de l‘auteure à partir des données de l‘UCDP

Comme le caractère fragmentaire du tableau le montre, les données statistiques relatives aux attaques des groupes rebelles sont manquantes pour plusieurs des années couvertes par notre étude et ne sont pas disponibles au-delà de 2006. Cela dit, nous pensons que ces informations sont peu utiles à l‘évaluation de l‘efficacité de la coopération entre le CDS et la CPI, puisque le nombre des morts dérive essentiellement des attaques inter ethniques. Au contraire, l‘évaluation du nombre de morts civils au cours des attaques unilatérales du gouvernement de

Khartoum et des milices Janjawids nous aide dans l‘appréciation du concept d‘efficacité de la coopération.

Ceci étant, nous avons à la lumière de nos compilations, dégagé une estimation du nombre de morts civils pendant les attaques unilatérales effectuées par Khartoum et par ses milices Janjawids depuis l‘année 2003 jusqu‘à 2012 en considérant le chiffre le plus élevé de morts, soit les données des scénarios « forts ».

Tableau 9 : Évaluation du nombre de victimes pendant les attaques unilatérales

de Khartoum et des Janjawids

Année Gouvernement Milices

Janjawids Total 2012 65 — 65 2011 387 — 387 2010 — 70 70 2009 — — — 2008 357 99 456 2007 134 276 310 2006 362 1 473 1 835 2005 707 705 1 412 2004 15 408 15 415 30 823 2003 12 470 12 733 25 203

Source : Compilation de l‘auteure à partir des données de l‘UCDP.

En général, comme nous le constatons les données compilées indiquent une diminution du nombre de morts après 2004, soit l‘année à partir de laquelle l‘ONU et les organisations non gouvernementales ont observé la perpétration de nombreuses violations des droits humains et de crimes à l‘encontre de la population civile au Darfour. En outre, les données enregistrées à

partir de l‘année 2005 et jusqu‘à l‘année 2012 – soit la période successive à la saisine de la CPI –, montrent une diminution considérable du nombre des morts. Toutefois, force est de souligner la recrudescence du nombre de victimes vécue en 2006. À cet égard, un document écrit par Grono et Mozersky publié par International Crisis Group (31 janvier 2007)47

souligne que : «[…] if the Sudanese regime is genuinely frightened of the ICC, it has a strange way of showing it. Since the ICC has started its investigation, Khartoum not only continued its campaign of atrocities, but escalated it − despite warnings from the then UN secretary-general Kofi Annan that those responsible would be held accountable» (International Crisis Group, 31 janvier 2007). Étant donnée l‘augmentation du nombre des victimes civiles après la saisine de la Cour et, de fait, l‘exacerbation des atrocités perpétrées par le gouvernement de Khartoum et ses milices, nous pouvons donc affirmer que, à court terme, la mesure de coopération a été inefficace, voire a eu un impact négatif sur le processus de paix aux Darfour, laquelle observation est soutenue par les travaux de Grono et Mozersky (2007). Enfin, les attaques incessantes prenant pour cible la population civile constituent également une violation de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité et sont susceptibles de constituer des crimes de guerre ou des crimes contre l‘humanité au regard du Statut de Rome.

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