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3.2 Approche théorique Les théories en études internationales

3.2.4 Principaux liens entre la théorie réaliste et notre question de recherche.

3.2.4.2 L‘intérêt national

Le concept d‘intérêt national dans la théorie réaliste relève de la question de ce qui motive les États dans leurs relations avec les autres États dans un contexte d‘anarchie internationale. Morgenthau, en effet, dans son deuxième principe du réalisme politique, explique que les États poursuivent leur intérêt national, défini en termes du maintien et de l‘expansion de leur puissance (et de leur pouvoir). Ainsi, selon les réalistes, agir pour défendre ou promouvoir l‘intérêt national est une action rationnelle. Cependant, les réalistes ne se trouvent pas tous d‘accord avec cette position. Pour Aron, par exemple, la notion d‘intérêt national conçue par Morgenthau est « une pseudo-théorie » (Mcleod et O‘Meara, 2007, 47). Une position réaliste

qui nous semble très intéressante pour la construction de notre cadre théorique est la position de Gilpin (1981) en ce qui concerne la façon dont les États prennent des décisions de politique étrangère. En effet, Gilpin souligne que, « […] les objectifs et les politiques étrangères des États sont décidées principalement par les intérêts de leurs membres dominants ou coalitions gouvernantes » et que, parmi ces objectifs, se trouvent ceux qu‘un État considère comme ses « intérêts vitaux et pour lesquels il est prêt à faire la guerre » (Gilpin, 1981, 19, 25). Cet auteur ne donne pas la définition du concept d‘intérêt vital, mais il soutient que chaque État considère la défense de certains intérêts primordiale pour sa sécurité. Les concepts de souveraineté étatique et d‘intérêt national sont nos clés pour interpréter le comportement de politique extérieure des États-Unis et de la Chine dans le cas du conflit au Darfour. Ainsi, nous pourrons mieux analyser leur position au sein du CDS lors du vote de la résolution 1593 (2005) qui établit le déferrage de la situation au Darfour à la Cour pénale internationale.

Nous soutenons que le comportement des États-Unis de s‘abstenir lors du vote de la résolution 1593 et leur réticence a priori face au concept de justice universelle et à la compétence de la CPI, est imputable à leur volonté de défendre leur souveraineté et leurs intérêts nationaux. Pour les États-Unis de l‘administration George W. Bush au lendemain des attaques du 11 septembre 2001, l‘impératif le plus pressant consistait à protéger les intérêts nationaux et la sécurité nationale du pays (Fake et Funk, 2009). Dans cet ordre d‘idées, la possibilité qu‘une juridiction internationale totalement indépendante du CDS des Nations Unies puisse juger des citoyens américains était exclue.

Le choix de politique extérieure de la Chine, au contraire, doit être interprété d‘une autre façon. La Chine décide de s‘abstenir du vote de la résolution 1593 (2005) pour des raisons de stratégie géopolitique en suivant aussi une approche particulière et adaptée aux États africains, où elle a des intérêts économiques.

À ce point de notre étude, il est de mise une brève remise en contexte historique sur l‘émergence de la « Chinafrique » afin de mieux saisir l‘enjeu majeur, représenté par l‘Afrique, pour toutes les grandes puissances économiques, y compris les puissances émergentes (BRICS)32, notamment en raison de ses matières premières (Tourré, 2012). La Chinafrique, selon l‘analyse historique proposée par Tourré (2012, 77), représente la

32 BRICS est l‘acronyme qui définit, depuis l‘année 2001, les pays émergeants sur la scène internationale, tels que

présence de plus en plus forte, depuis les années 90, du géant asiatique sur le continent noir. De plus, de nombreuses observations (Andrée, 2011; Cabestan, 2011; Courmont, 2011; Tourré, 2012) ont montré qu‘on assiste aujourd‘hui à un essor de la Chine dans le continent africain, face au déclin de la « Francafrique33 » et plus généralement de l‘influence

occidentale (Tourré, 2012). L‘Afrique a toujours joué un rôle important dans les relations économiques internationales, soit avant la période de la colonisation européenne soit depuis l‘année 1885, quand le continent noir devient l‘objet du partage entre les puissances coloniales de l‘époque. À cause de la domination occidentale, l‘Afrique cesse d‘être un acteur autonome et, pendant presque un siècle, son développement dans les relations économiques internationales sera empêché jusqu‘aux indépendances des années 50 et 60. Ensuite, dans la période post coloniale, les puissances occidentales, notamment la France, ont permis la mise en place des secteurs économiques modernes et encouragé le développement des infrastructures sur ce continent (Tourré, 2012). À cette première phase de la politique de coopération française en Afrique, dont la France maintient une influence sur ses ex-colonies notamment grâce à la persistance d‘une tutelle politique, des liens économiques privilégiés et de l‘influence culturelle et linguistique, suivra une montée en puissance de l‘Union Européenne et depuis les années 90 un intérêt de plus en plus croissant des États-Unis pour ce continent (Péan, 2010; Tourré 2012). Donc, plus que la France les nouveaux partenaires et concurrents sont aujourd‘hui les États-Unis, l‘Union Européenne, les pays émergents tels le Brésil, l‘Inde ou la Chine. Ils jouent en rôle de premier plan sur le continent africain et bouleversent la géopolitique de ce continent. De plus, le fait que l‘aide publique française au développement est aujourd‘hui un système critiqué par beaucoup (Tourré, 2012) et retenue être la politique responsable du sous-développement, de la pauvreté, de la corruption et de la présence de conflits en Afrique, a favorisé la présence croissante de la Chine sur ce continent. En effet, face à une présence coloniale occidentale ancienne, la Chine s‘installe en Afrique surtout à l‘aide d‘une stratégie d‘implantation à la fois complexe et ambitieuse visée à contrôler cette zone stratégique pour ses approvisionnements en matières premières du fait de son développement économique. La stratégie chinoise se différencie notamment de celle des puissances occidentales par l‘absence de l‘expérience coloniale, par l‘utilise d‘une politique étrangère active et volontariste, par un réseau d‘entreprises conquérantes soutenues par l‘État, par le rôle de la diaspora chinoise et par sa force économique de frappe (Tourré, 2012).

33 La Francafrique est un terme inventé en 1955 par l‘ancien président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, pour

désigner les bonnes relations tant politiques qu‘économiques entre la France et le continent noir depuis l‘ère des décolonisations mais ce terme a ensuite été repris par François-Xavier Verschave pour désigner la gestion occulte et parallèle des relations franco-africaines (Tourré, 2012, 17).

Comme les lecteurs le verront dans le détail au chapitre quatre de la présente étude, la Chine utilise des ressources de nature culturelle, historique et idéologique pour convaincre les diplomaties africaines. Aux yeux des Africains, cette stratégie est efficace puisque la Chine paraît plus crédible que la France dans la défense intérêts africains et des pays pauvres. La littérature étudiée à ce sujet, fait relever que la Chine instrumentalise l‘histoire pour servir ses intérêts présents dans le but de se rapprocher diplomatiquement au pays d‘Afrique. Le rappel historique consiste donc à démontrer aux États africains que la Chine a toujours été un allié pour leur développement contre l‘impérialisme occidental. Cependant, la politique menée par la Chine aux égards du continent africain n‘est pas uniquement au service du développement africain, mais il s‘agit d‘une politique offensive au service de ses propres intérêts politiques et économiques. La puissance asiatique est avant tout un pays en expansion économique qui tend à s‘affirmer sur la scène internationale et, sa présence sur le continent noir s‘explique pour la présence de matières premières et d‘un vaste marché à conquérir. En général, grâce à sa politique d‘aide, ses investissements et l‘action de ses entreprises, la Chine a replacé l‘Afrique au cœur des enjeux géostratégiques mondiaux. Toutefois, force est de constater que certains auteurs ont dévoilé ce qu‘on appelle la « face sombre » de la Chinafrique, en critiquant notamment le concept de coopération « gagnant-gagnant » qui produirait des conséquences négatives pour le développement des économies africaines. Comme nous l‘analyserons dans les prochains chapitres, la puissance chinoise est donc perçue à la fois comme une opportunité et comme une menace nouvelle.

Dans cet ordre d‘idées, le choix de politique extérieure de la Chine obéit à la nécessité de sauvegarder l‘intérêt national, entendu cette fois dans la perspective de l‘atteinte un bon niveau de sécurité énergétique intérieure par le biais des activités liées à la diplomatie du pétrole. En bref, les choix de politique extérieure de ces deux puissances trouvent leur explication au sein de la pensée réaliste. Plus précisément, Aron le premier, suivi d‘autres réalistes américains (Christensen, 1996; Rose, 1998; Schweller, 1998; Wohlforth, 1993; Zakaria, 1998), redécouvre le rôle des déterminants internes et analyse les comportements extérieurs des États comme étant le résultat des facteurs systémiques « tels que filtrés par de variables intermédiaires situées au niveau de l‘unité » (Rose, 1998, 144-172). À ce sujet, la pensée d‘Aron analyse le système international comme étant fonction de la nature interne des unités qui le composent. Comme Battistella (2006) l‘affirme :

Si par là même Aron établit une passerelle entre le paradigme réaliste et l‘approche libérale des relations internationales attribuant le comportement des États aux demandes sociétales telles qu‘elles se reflètent dans la nature de son régime interne, il s‘inscrit en faux par rapport à la troisième grande figure réaliste du XXe siècle, le néo-réaliste Kenneth Waltz, qui se propose, lui,

d‘établir une véritable théorie nomologico-déductive de la politique internationale à partir de son postulat de la structure du système international comme contrainte déterminant le comportement d‘unités fonctionnellement indifférenciées. (Battistella, 2006, 128-129)

Les conséquences que les choix de politique extérieure ont sur la mesure de coopération entre le CDS et la CPI dans le cas du conflit au Darfour, selon nous, peuvent être expliquées à l‘aide de la pensée de quelques tenants de la théorie réaliste et néoréaliste. À cet égard, Aron soutient que l‘anarchie du système international implique la pluralité des objectifs et des intérêts poursuivis par chaque État. Ce rapport entre système international et intérêts des États est différent chez Waltz. Comme Battistella l‘affirme, « […] le système international est défini abstraction faite des régimes internes des États qui le composent et, surtout, il a un effet structurant sur le comportement international des États » (Battistella, 2006, 132). Il en résulte que la coopération, dans ce contexte, est affectée par les comportements des États, y compris à l‘intérieur des organisations internationales. Le paradigme néoréaliste, en particulier à travers la pensée de Waltz à cet égard, illustre bien ce propos. Comme Mcleod et O‘Meara l‘affirment : « […] la question de l‘influence du système international sur le comportement des États n‘est pas complètement absente du réalisme classique, mais il a fallu atteindre les travaux de Kennet Waltz, père fondateur du néoréalisme, pour que la notion de système assume le rôle de facteur causal dominant pour expliquer le comportement des acteurs internationaux » (Mcleod et O‘Meara, 2007, 53-54). La coopération et l‘interdépendance sont des concepts que nous croyons utiles à la justification de nos propositions. Waltz part de la définition d‘interdépendance pour ensuite expliquer la possibilité des États de coopérer. Il affirme que l‘interdépendance signifie que les États sont, « mutuellement dépendants » et interdépendants si « le coût de rompre leurs relations ou de diminuer leurs échanges est à peu près égal pour chacun d‘eux » (Waltz, 1979, 143). Compte tenu de cette définition d‘interdépendance, Waltz n‘est pas optimiste quant à la possibilité des États de coopérer. Il affirme que, « les États vivent dans un système de self-help où les considérations de sécurité subordonnent le gain économique à l‘intérêt politique » (Waltz, 1979, 107). La coopération devient donc difficile. De plus, il se trouve à être d‘accord avec la pensée de Mearsheimer (1994) à ce sujet quand il affirme que, « les institutions sont un reflet

de la répartition de puissance dans le monde. Elles sont fondées sur les calculs égoïstes des grandes puissances et elles n‘ont aucun effet indépendant sur le comportement des États » (Mcleod et O‘Meara, 2007, 72). La pensée de Mearsheimer (2001) s‘insère aussi dans la recherche d‘une théorie générale de la politique internationale. Ce dernier se propose de combiner la théorie réaliste avec le néo-réalisme structuraliste de Waltz et le réalisme classique de Morgenthau. À ce titre, Mearsheimer, dans sa démarche logique, part des postulats relatifs à la contrainte exercée par la nature anarchique du système international qui explique le comportement des États. D‘après lui, les États, acteurs rationnels, cherchent d‘abord à survivre en maintenant leur intégrité territoriale et leur ordre politique interne et, ensuite, dans leurs rapports avec les autres États, ils cherchent à maximiser leur puissance. Selon Mearsheimer, « l‘objectif ultime des États est d‘être l‘hegemon du système » (Mearsheimer, 2001).

En conclusion, suite à l‘application de la théorie réaliste à notre recherche, nous pouvons affirmer que le choix du paradigme réaliste se justifie puisqu‘il explique bien les choix de politique étrangère des États-Unis et de la Chine aux égards de l‘établissement de la coopération entre le CDS et la CPI. Ainsi, parmi les théories en études internationales, le choix d‘appliquer à notre recherche les hypothèses et les concepts soulevés par la théorie réaliste et par après par la pensée néo-réaliste, nous semble la décision appropriée. Plus spécifiquement, les hypothèses à la base de la théorie réaliste nous supportent dans l‘objectif de montrer comment d‘abord la mise en place et, ensuite l‘efficacité de la mesure de coopération sont affectées par les choix de politiques étrangères des États-Unis et de la Chine. Les hypothèses réalistes de la protection de l‘intérêt national et de la réaffirmation de l‘État souverain, en tant que acteur principal des relations internationales, s‘appliquent bien et nous supportent dans l‘analyse de notre phénomène à l‘étude. Enfin, les hypothèses et les réflexions conduites notamment par Aron, Waltz et Batistella dans le cadre de la théorie néo- réaliste, à voir les difficultés liées à la coopération et à l‘interdépendance parmi les États et à l‘existence et effectivité du droit international, nous permettent d‘évaluer les possibilités qu‘une coopération parmi deux organisations internationales indépendantes se réalise et, qu‘elle soit efficace dans la poursuite des objectifs internationaux.

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