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2.2 Recension des écrits

2.2.7 L‘état de la recherche concernant la coopération entre l‘ONU et la CPI

Afin de justifier notre question spécifique de recherche, nous allons étudier dans cette section la nature de la coopération entre le Conseil de sécurité et la Cour pénale internationale qui se réalise pour la première fois au Darfour à travers l‘application de l‘article 13 b) du Statut de Rome (Coyer, 2005). Nous jugeons important de souligner que la coopération entre le CDS et la CPI est un nouveau mécanisme d‘application récente. Par conséquent, notre travail se fonde sur l‘analyse approfondie de la documentation déjà publiée à ce sujet.

D‘un point de vue juridique, la coopération a été négociée à la Conférence diplomatique de Rome en 1998 après un long débat de nature politique (Kirch et Robinson, 1999; Pfanner, 1998)27 entre les pays participants et elle est encadrée par l‘article 13 b) du Statut de Rome.

L‘article en question prévoit que le Conseil de sécurité puisse déférer une situation politique

27 Voir également : La voie vers la Cour pénale internationale : tous les chemins mènent à Rome, sous la direction

de Mme Hélène Dumont et Anne- Marie Boisvert, Les journées Maximilien Caron 2003, Université de Montréal, Les éditions Thémis, 2003.

à la Cour pénale internationale à travers une résolution adoptée sous l‘égide du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Ainsi, la Cour peut entamer une procédure au titre pénal contre les individus − et non contre les États − pour juger les personnes qui seront tenues responsables d‘avoir commis de graves crimes à l‘encontre de la population civile (Trifterer, 2008). Cette mesure du renvoi (referral) trouve sa première application en 2005 avec la résolution 1593 du Conseil de sécurité de l‘ONU, qualifiant le conflit au Darfour de menace à la paix et à la sécurité internationales et régionales, et soulignant la présence de violations graves des droits de l‘homme accompagnées d‘une situation humanitaire rendue de plus en plus difficile par le gouvernement du Soudan (Condorelli et Ciampi, 2005; Cryer, 2006). L‘élément innovateur est représenté par le fait que, dans le cadre de cette intervention de maintien de la paix, il a été fait usage du mécanisme de saisine de la Cour pénale internationale contenu dans l‘article 13 b) du Statut de Rome, document à la base d‘une justice universelle en pleine évolution. Cette disposition permet un mécanisme de coopération entre le Conseil de sécurité de l‘ONU et la Cour pénale internationale par le biais d‘une résolution adoptée sous le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies avec effet obligatoire d‘exécution. Cette décision inédite du Conseil de sécurité pourrait potentiellement représenter une évolution dans la démarche des opérations de maintien de la paix de l‘ONU. Cela constitue un point de recherche intéressant du fait que pour la première fois un organe politique − le CDS − fait appel à un organe judiciaire indépendant − la CPI − pour la résolution d‘un conflit qui est encore en cours. Ce que nous nous proposons d‘étudier, soit notre objet de recherche, est ce mécanisme novateur de coopération et son efficacité dans le processus de résolution des conflits en cours. Comme nous l‘avons exposé plus haut, auparavant, l‘intervention d‘un organe judiciaire se faisait une fois le conflit résolu et souvent, il s‘agissait d‘un tribunal crée sous l‘égide de l‘ONU.

Obligatoire du fait de son inscription au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,

la décision du CDS qui lance la coopération doit être acceptée et appliquée par tous

les États membres (selon les articles 25, 48 et 49 de la Charte de l‘ONU). Dans ce cas

spécifique d‘application du mécanisme de coopération, le Soudan est un État tiers qui

n‘a pas accepté la compétence de la Cour pénale internationale. En conclusion, les

résultats de cette coopération soulèvent aussi notre intérêt, puisqu‘il s‘agit de

l‘émission de deux mandats d‘arrêt contre un président en fonction, soit le président

du Soudan Omar Al-Bashir, toujours en fuite. Cette issue constitue aussi une

première dans l‘histoire. La Figure 1 ci-après représente la coopération entre le

Conseil de sécurité de l‘ONU et la Cour pénale internationale par le biais des

engrenages qui illustrent le mécanisme de saisine. Les flèches symbolisent

l‘activation des rouages du mécanisme de coopération par le CDS, l‘application du

Chapitre VII de la Charte de l‘ONU et, enfin, le renvoi de la situation à la Cour. En

bref, il s‘agit d‘un point de recherche intéressant, car il pourrait soit ouvrir de

nouvelles avenues solution à une crise similaire, soit, au contraire, montrer les

faiblesses de la Cour pénale internationale face aux enjeux politiques inhérents à un

tel conflit (Orentlicher, 1999).

Figure 1 : Schéma du mécanisme de coopération entre le CDS et la CPI

Source : Compilation de l‘auteure

Il nous apparait pertinent de souligner comment l‘instrument judiciaire a été appliqué par le Conseil de sécurité dans le cadre du maintien de la paix. La coopération avec la CPI devient

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une nouvelle mesure onusienne avec les objectifs de conduire à la paix politique et de prévenir d‘autres violences (Franceschet, 2012, 53-57; Grzyb, 2009, 280; Pontbriand, 2007). L‘action du Conseil de sécurité a affiché une certaine linéarité dans l‘application des mesures pour régler d‘autres conflits qui constituaient une menace à la paix et à la sécurité internationales. Toutefois, il faut souligner que la saisine de la Cour survient après une série de résolutions qui avaient prévu plusieurs mesures pour aboutir à la paix dans la région, comme les sanctions économiques et l‘embargo, mais qui ont eu comme seul résultat de laisser se perpétrer les actes de violence (voir l‘encadré suivant).

Encadré: Les racines de la crise au Darfour et les différents acteurs en jeu

LES RACINES DE LA CRISE AU DARFOUR ET LES DIFFÉRENTS ACTEURS EN JEU

La crise au Darfour en 2003, trouve ses causes profondes dans des raisons liées à l‘histoire et à la culture du Soudan mais aussi au partage des richesses (voir le coton, l‘occupation des terres et les matières premières du sous-sol), et à des facteurs climatiques.

D‘un point de vue historique, le Soudan est un État colonial de mitoyenneté, dont un Centre fort et organisé, fondé sur les vielles familles de commerçants arabes nomades – Jellāba - contrôle le Sud, l‘Ouest et l‘Est du pays, où sont présentes populations dites africaines et sédentaires. Dans ces périphéries le commerce du coton et des esclaves d‘autrefois, laisse aujourd‘hui la place au pillage des ressources minérales.

CHRONOLOGIE

À cause de cette nouvelle géographie de la richesse, depuis 1955 jusqu‘à 1972, une première guerre civile oppose le Sud du Soudan au gouvernement central.

En 1972, l‘accord d‘Addis Abbeba met fin à la guérilla, le Sud acquérant un statut d‘autonomie. En 1983, débute la rébellion de l‘Armée de libération des peuples du Soudan (SPLA), fondée par le colonel dissident John Garang. Cherchant des alliés auprès des Frères musulmans d‘Hassan al Tourabi, le maréchal Nemeyri fait promulguer une législation s‘appuyant sur la charia.

En 1983-1985, la sécheresse et la famine causent d‘importants déplacements de clans arabes nomadisant du Tchad vers le Darfour. Les déplacements ont lieu également à l‘intérieur du Darfour, opposant les nouvelles générations armées de nomades et de sédentaires non plus contrôlés par les Anciens. Dans ce contexte le gouvernement central prend parti pour les nomades.

En 1986, se forme un gouvernement de coalition civil dirigé par Sadeq al Mahadi.

En 1989, le Front national islamique, dirigé par Hassan al-Tourabi, soutient le coup d‘État du général Hassan Al-Bashir.

Depuis 1991, le pays est affecté par plusieurs événements : la scission du SPLA; les combats entre différentes factions rebelles sudistes; l‘accusation de l‘ONU de soutenir le terrorisme de Oussama ben Laden; la dissolution du Parlement par le président Al-Bashir.

Ensuite, en 2001, quand la perspective de profiter des bénéfices du pétrole s‘impose à tous, un processus de paix est entamé avec le soutien des États-Unis.

LE CONFLIT AU DARFOUR

La crise au Darfour, tardivement considérée par l‘ONU comme la plus grave crise humanitaire du moment, surgit en février 2003. La sécheresse et les disputes ancestrales pour le droit des uns à posséder la terre et de celui des autres à y faire pâturer les troupeaux, constituent la phase de pré conflit. Ensuite, après le processus de paix avec le Sud-Soudan, les populations de l‘Ouest ont pris les armes pour le partage des ressources, notamment le pétrole. De plus, deux rébellions s‘allient contre Khartoum, d‘une part le Sudan Liberation

Movement (SLM) et sa branche armée le Sudan Liberation Army (SLA); d‘autre part le Justice and Equality Movement (JEM), un mouvement marqué par ses accointances avec

l‘islam radical d‘Hassan al Tourabi. Le SLM réclame une répartition équitable des ressources et appelle au renversement du régime de Khartoum. Ainsi, le gouvernement enrôle des miliciens, les Janjawids, pour combattre les rebelles. S‘agissant de partager la rente, les vielles disputes se transforment en conflits opposant un centre spoliateur à une périphérie négligée.

De plus, dans ce contexte de conflit menaçant la paix et la sécurité internationales, le Soudan et ses richesses en matières premières se trouvent au centre d‘une zone d‘influence géopolitique, où les intérêts des États-Unis et de la Chine se touchent.

Source : Compilation de l‘auteure à partir de différentes données

L‘adoption de la résolution 1564 du 18 septembre 2004, dans laquelle le Conseil de sécurité priait le Secrétaire général de créer une commission d‘enquête pour vérifier les informations sur la situation humanitaire au Darfour, a été une étape importante dans le cadre de ce processus. La Commission internationale d‘enquête créée par le Secrétaire général avait rédigé un rapport, plus connu sous le nom de « rapport Cassese », qui, entre autres, fonde la saisine de la Cour pénale internationale sur la menace à la paix et à la sécurité internationales mentionnée par les résolutions 1556 (2004) et 1664 (2004), où le Conseil de sécurité soulignait l‘impératif pour la communauté internationale de lutter contre l‘impunité28. En

outre, la saisine de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité dans le cadre du conflit au Darfour est le premier cas où la justice est appliquée de façon obligatoire (article 13 b et sous le Chapitre VII de la Charte ONU), alors que le conflit est en cours, dans le but de prévenir d‘autres violences de la part d‘un État sur sa propre population. On doit se rappeler le cas de la Yougoslavie et du Rwanda dont les tribunaux ad hoc ont été créés après la fin du conflit pour rendre justice aux victimes, mais sans but préventif (Maogoto, 2004). Dans ces situations, la justice a été assurée a posteriori et ne faisait pas partie de la démarche

« classique » du Conseil de sécurité pour la réglementation ou pour la solution des conflits, contrairement au cas d‘étude qui fait l‘objet de notre travail de recherche.

À ce sujet, il faut mettre en évidence que surtout les faits liés à la gestion onusienne des conflits en Somalie et au Rwanda ont donné une impulsion importante à la création des mécanismes de prévention, tel que le mécanisme de coopération entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité. En Somalie, la chute de l‘État en 1991, le début d‘une guerre civile et le traumatisme des vaines tentatives de l‘ONU de restaurer la paix au cours des années 1990, constituent probablement la cause de l‘hésitation onusienne à intervenir à nouveau aujourd‘hui (Le Gouriellec, 2012). De plus, ce qui est significatif dans la situation somalienne, outre que la perte en vies humaines, c‘est la persistance d‘une situation de violence qui plonge toute la population dans une extrême pauvreté et insécurité quotidienne, face à laquelle plusieurs Somaliens ont formé des milices d‘autodéfense. Dans ce contexte, la mission de l‘Union africaine en Somalie (AMISOM), créée le 19 janvier 2007 par le Conseil de Paix et Sécurité de l‘UA et entérinée par la résolution 1744 du CDS de l‘ONU, n‘a pas atteint l‘objectif de supporter les institutions locales afin de stabiliser le pays, poursuivre un dialogue politique et entamer un processus de réconciliation a posteriori.

La crise au Rwanda débute avec les premiers affrontements, notamment à cause du partage du pouvoir, entre la population d‘ethnie Hutu et la population d‘ethnie Tutsi en 1994, dans un contexte de crise régionale qui touche tous les États de la région africaine des Grands Lacs depuis 1990. Ainsi, la crise rwandaise tombe dans une spirale de violence et de haine incitée par la Radio-télévision libre milles collines en 1993. D‘abord l‘intervention internationale de la part de la Belgique, de la France et du Zaïre, et ensuite de la part de la Mission des Nations unies pour l‘assistance au Rwanda (MINUAR), n‘a pas réussi à fermer les massacres en cours dans ce pays. Comme nous l‘avons souligné plus haut, le CDS instituera le Tribunal pénal international pour le Rwanda en 1994 afin de juger les personnes présumées responsables du génocide rwandais. Donc, l‘application d‘une mesure vouée à prévenir les crimes et arrêter les violences contre la population civile, déclenchant aussi un processus de réconciliation par le biais de la lutte à l‘impunité, pourrait constituer une évolution du système onusien de gestion des crises politiques.

Ainsi, la mesure du renvoi en tant que telle constitue un point de réflexion intéressant puisqu‘elle pose plusieurs questions sur le plan politique, soulevant de nombreuses réactions au moment de son application au cas du Darfour. Par exemple, des réactions positives et

négatives des pays concernés par la question du Darfour et membres du CDS ont été soulevées à l‘égard de la compétence de la Cour pénale internationale (Alden, Large et Soares de Oliveira, 2008; Shandy, 2007). À ce titre, sont à souligner, comme nous l‘avons annoncé, les pressions politico-diplomatiques de certains pays sur le Conseil de sécurité, notamment à travers les réticences des États-Unis et de la Chine (Stoett, 2010; Yakemtchouk, 2007).

Pour conclure l‘état des lieux de la coopération entre la CPI et le CDS, il faut mentionner le rôle joué par le CDS dans l‘application de ce mécanisme à la situation conflictuelle au Darfour. Le Conseil de sécurité, qui est un organe politico-diplomatique, autorise un organe judiciaire à intervenir dans un conflit intra étatique et le fait de surcroît à travers une résolution adoptée sous le Chapitre VII de la Charte dans le cadre du mécanisme de sécurité collective. Ce faisant, le Conseil de sécurité oblige le Soudan, qui n‘a pas ratifié le Statut de Rome et, donc, qui n‘a pas accepté la compétence de la Cour, à coopérer avec elle afin de lutter contre l‘impunité, de prévenir d‘autres actes de violence et de rétablir la paix au pays. On pourrait supposer que le Conseil de sécurité opère un acte de coercition (enforcement) vis-à-vis d‘un pays qui, selon le Statut de Rome, ne serait pas obligé d‘accepter la compétence de la Cour pénale, mais qui est ici au contraire forcé de s‘y soumettre à cause de la présence d‘une résolution contraignante du Conseil de sécurité.

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