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4.2 Opérationnalisation des intérêts économiques chinois et des limites politiques

4.2.2 Opérationnalisation des limites politiques potentielles : Les pressions

4.2.2.2 Les discours pendant la Conférence diplomatique de Rome instituant la

L‘adoption du Statut de Rome instituant la CPI a été le résultat d‘une négociation difficile lors de la Conférence diplomatique des plénipotentiaires de l‘ONU, qui s‘est déroulée à Rome en juillet 1998. La complexité des questions soulevées lors de la Conférence diplomatique de Rome s‘explique par le caractère politique des questions mêmes. Les pays présents étaient divisés en trois grands blocs aux idées divergentes (cf. Tableau 18) : les « pays pilotes » (like-minded), les membres permanents du Conseil de sécurité (P-5) et le mouvement des pays non alignés (MNA). De plus, les ONG ont eu un impact important sur les négociations du Statut de la Cour (Bassiouni, 1999; Kirch & Robinson, 1999). Il faut souligner le travail de pression ou de lobbying que les ONG ont effectué auprès des trois groupes. En ce sens, Bourdon (2000) soutient que : « [l]e lobbying acharné auprès de certaines délégations a provoqué bien souvent des avancées. Cette œuvre a été à l‘origine de la nouvelle fraternité entre les organisations humanitaires et les organisations de défense des droits de l‘homme, entre les sensibilités anglo-saxonnes et les autres plus latines » (Bourdon, 2000, 23). Dans une conférence de plénipotentiaires, les acteurs principaux demeurent, encore à ce jour, les États. Les idées divergentes des trois groupes de pays s‘étant côtoyées à la Conférence diplomatique de Rome, émanant de positions juridiques et politiques différentes, ont amené les États à adopter plusieurs solutions mitoyennes concernant des

75 Le document peut être consulté à l‘adresse : http://www.amicc.org/docs/US%20Chronology.pdf 76 http://www.amicc.org/docs/HRes726FinalOctober292007.pdf

dispositions importantes du Statut de Rome. Notre analyse prendra en considération certaines de ces voies d‘accommodement pour étudier et comprendre les limites juridiques de la CPI. À Rome se sont cristallisées les oppositions entre groupes d‘États, essentiellement sur la question politique de la souveraineté, mais également autour d‘enjeux strictement juridiques. Le texte définitif du Statut, adopté le 17 juillet 1998, doit donc avant tout être lu comme un texte de compromis (Berkovicz, 2005, 58). Or, comme Bourdon le souligne, « […] les États se sont livrés à d‘âpres et parfois bien peu transparentes négociations, pour l‘essentiel, les États identifiés comme maîtres du jeu passant les compromis utiles et nécessaires dans le cadre de groupes informels, dont en général était exclue la majorité des autres États. » (Bourdon, 2000, 23). Entre les pays les plus réfractaires à l‘établissement d‘une justice pénale internationale permanente à vocation universelle, comme les États-Unis et la Chine, et les États plus favorables à cette création, la France semble avoir tenu une place intermédiaire. Les « pays pilotes », c‘est-à-dire un groupe d‘États modérés ou like-minded, étaient composés de 80 pays dont la majorité des États européens (à l‘exception de la France), de nombreux pays du Sud, notamment d‘Afrique et d‘Amérique latine, ainsi que le Canada, l‘Australie, l‘Égypte, la Corée du Sud et Singapour (Dobelle, 1999). La Grande-Bretagne devait rejoindre ce groupe en août 1997 après la désignation de Tony Blair comme nouveau Premier ministre (Dobelle, 1999; Schiff, 2008). Ces États, appuyés fortement par les ONG intéressées, avaient comme objectifs principaux : l‘aboutissement rapide des négociations; la compétence rationae materiae quasiment exhaustive de la Cour; l‘intention de donner au Procureur le pouvoir d‘engager toute poursuite proprio motu et l‘indépendance totale de la Cour à tous les stades de la procédure vis-à-vis des États et du Conseil de sécurité. De plus, on relève aussi l‘ambition de créer des mécanismes permettant à la Cour d‘obtenir l‘entière coopération des États et de prendre des mesures provisoires en matière d‘investigation et d‘exécution des décisions. Ces pays voulaient aussi que la Cour soit une organisation très indépendante par rapport aux Nations Unies (Schiff, 2008, 70).

Le groupe des pays les plus réticents, mené notamment par les États-Unis, comprenaient la Chine, la Russie et l‘Inde. On retrouve aussi parmi ces pays la France, même si dès le départ elle se trouve dans une optique différente des États-Unis, ce qui mérite d‘être détaillé. En effet, l‘objectif principal de la France était d‘aboutir à un équilibre entre le volet judiciaire et le volet politique, en évitant les hypothèses de plaintes politiques infondées. La France présentera donc un projet alternatif de statut très technique qui comportait un système de consentement « au cas par cas » des États à la compétence de la Cour qui aurait conditionné

l‘efficacité de la Cour à l‘accord des États concernés. Berkovicz relève à ce sujet : « […] que la présentation d‘un projet alternatif ne constitue pas une démarche habituelle pour aboutir à ce résultat et a pu être perçue comme une volonté de retarder l‘aboutissement des négociations. » (Berkovicz, 2005, 64). Le principal point sur lequel l‘attitude de la France a suscité des critiques porte sur l‘introduction de l‘article 124 qui permet à tout État partie de décliner pendant sept ans la compétence de la Cour pour les crimes de guerre lorsqu‘il est allégué qu‘un tel crime a été commis sur son territoire ou par ses ressortissants. Cela dit, le groupe des pays les plus réticents s‘est très peu prononcé jusqu‘à une date avancée du processus. L‘objectif principal de ce groupe était de mettre en place une Cour qui pouvait être contrôlée par les Nations Unies. Il y avait l‘idée selon laquelle la nécessité pour la Cour d‘obtenir l‘aval du Conseil de sécurité constituait une garantie suffisante. Pour poursuivre ce but, la France accepta un compromis avec les « États pilotes » sur la base du pouvoir attribué au Conseil de sécurité de bloquer temporairement l‘action de la Cour. La question de la compétence automatique de la Cour à l‘égard des quatre crimes les plus graves (Roberge, 1998) doit être étudiée dans le cadre de notre recherche pour la compréhension de notre sujet. Un autre groupe influent (Schiff, 2008, 70) était présent à la Conférence de Rome, en le mouvement des pays non alignés (MNA). Ce groupe se composait de délégations qui, dans certains cas, participaient aussi aux discussions avec les « Pays-pilotes ». Par ailleurs, Kirsch relève qu‘« [i]l y avait de grandes divergences de vues au sein du MNA, mais ses membres se retrouvaient sur quelques points-clés » (Kirch et Robinson, 1999, 130). L‘un des principaux objectifs était d‘inclure le crime d‘agression dans le Statut en dépit des désaccords persistants sur la définition de ce crime. En outre, la Southern African Development Community faisait des pressions pour élargir la définition de droits de l‘homme. De plus, un groupe d‘États Arabes aurait voulu introduire la prohibition des armes nucléaires et la peine de mort (Schiff, 2008, 71). Enfin, certaines délégations du MNA voulaient que le trafic de stupéfiants et le terrorisme relèvent de la compétence de la Cour (Kirch et Robinson, 1999, 130).

Il faut souligner le poids des pressions des membres permanents du Conseil de sécurité à Rome. Un statut auquel quatre d‘entre eux n‘auraient pas souscrit – c‘était la situation au 15 juillet –, aurait été entaché d‘un défaut de crédibilité considérable. Enfin, le texte finalement adopté, malgré les nombreux compromis sur lesquels il repose marquera un tournant dans l‘édification de l‘ordre juridique international. Le Statut de la Cour pénale internationale fut approuvé à la suite d‘un vote demandé par les États-Unis à bulletins secrets par 120 pour et 7

voix contre et 21 abstentions. Le Statut devait entrer en vigueur 60 jours après que 60 États l‘aient ratifié, accepté, approuvé et aient adhéré à ses dispositions, ce qui fut.

La position des États-Unis

Au cours de la Conférence diplomatique de Rome pour l‘adoption d‘un Statut instituant la Cour pénale internationale, les États-Unis ont montré leur réticence aux égards de certaines mesures concernant notamment le rôle du CDS par rapport à la Cour et surtout la possibilité que des citoyens américains puissent être jugés par un organisme judiciaire indépendant, soit la CPI. En effet, les États-Unis n‘acceptaient pas la possibilité d‘une Cour trop indépendante dans son rapport avec le Conseil de sécurité des Nations Unies. En ceci, les États-Unis restèrent attachés à leur idée initiale d‘une Cour contrôlée par l‘ONU, et ce, tout au cours du processus de négociation du Statut (Berkovicz, 2005; Dobelle, 1999; Kirch et Robinson, 1999; Schiff, 2008). Jusqu‘au 8 juillet 1998, les délégations firent des efforts importants pour obtenir l‘adhésion des États-Unis, mais, le 9 juillet, ils présentèrent une très longue liste d‘exigences qui contenait encore la non-remise des nationaux. Les États-Unis laissèrent entendre qu‘ils ne se joindraient pas aux signataires. Les discussions ont été ardues surtout parce que les États-Unis s‘opposaient à la compétence universelle de la Cour pénale internationale à juger les individus coupables des crimes graves envers la population civile (Maogoto, 2004, 216-221). Les États-Unis n‘avaient en effet jamais envisagé de remettre des citoyens américains à une juridiction internationale (Dobelle, 1999, 13). Ainsi ils ont commencé à faire part de leur forte réserve à l‘égard du Statut en 1997 (Berkovicz, 2005). Le problème principal pour les États-Unis était : « […] la compétence donnée à la Cour de juger des ressortissants d'États non parties, y compris des officiels. Ce principe, qu'ils [les États- Unis] estimaient contraire au droit des traités, permettrait à la Cour de poursuivre des fonctionnaires ou des soldats américains. Il constituerait un obstacle à la participation des États-Unis à des actions militaires destinées à porter assistance à leurs alliés ou menées dans le cadre d'opérations de maintien de la paix » (Owen et McKey, 29 février 2012)77. Les États-

Unis s‘opposaient ainsi globalement à la compétence de la Cour quant à sa légitimité pour juger les citoyens d‘un État qui n‘a pas adhéré au principe de la Cour, mais s‘opposaient aussi à l‘absence d‘un mécanisme de contrôle sur le Procureur, trop indépendant à leur avis

77 Document en ligne à l‘adresse : http://lecercle.lesechos.fr/economie-

(Hiéramante, 2008). Enfin, ils se plaignaient également de l‘absence d‘un vrai pouvoir de contrôle du Conseil de sécurité sur la Cour pénale internationale (Conso, 2005, 314-322)78. Il

faut souligner que certains auteurs (Conso, 2005; Schabas, 2004) font référence de façon explicite à une vraie hostilité des États-Unis face à la Cour pénale internationale. Comme il a été exposé à la section 4.2 de ce travail de recherche, nous avons toutefois fait le choix méthodologique d‘employer le concept d‘opposition ou de réticence plutôt que de référer à l‘hostilité79, cette approche étant largement confortée par la littérature à ce propos. Ces

précisions étant faites, soulignons qu‘une opposition similaire a été témoignée par l‘Inde. Cependant, l‘Inde dénonçait, contrairement aux États-Unis, un rôle illégal du Conseil de sécurité de l‘ONU dans ses relations avec la Cour pénale internationale. Selon le point de vue de l‘Inde, la Cour constituait un élargissement des pouvoirs du Conseil établis par la Charte des Nations Unies. L‘Inde, pour soutenir sa thèse, faisait référence aux articles 13 b) et 16 du Statut de Rome, soit le renvoi d‘une question à la Cour par le Conseil et le pouvoir du Conseil de bloquer la Cour pendant 12 mois s‘il le jugeait nécessaire. En outre, l‘Inde soutenait que la Cour pénale internationale pourrait être contrôlée ou instrumentalisée par le Conseil de sécurité à travers le déséquilibre de pouvoir exercé par les cinq membres permanents (Kirch et Robinson, 1999). Les débats qui ont eu lieu au moment de la prise en considération de la saisine de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité dans le cas du Darfour constituent une illustration la réticence des États-Unis face à la compétence de la Cour (Sheffer, 1999, 533), et ce, surtout envers les citoyens de pays qui ne sont pas parties au Statut. Les États-Unis proposaient, au lieu d‘une saisine de la Cour pénale internationale, la constitution d‘un tribunal ad hoc. Les motivations au soutien de cette opposition sont nombreuses. En effet, les États-Unis se sont opposés à la Cour pénale internationale dès sa naissance et notamment dans le cas du Darfour, car ils prétendaient que la saisine de la Cour n‘aurait pas aidé le processus de paix (Lanbam, 2005).

78 Voir également : Dumont, H., Boisvert Anne- M., sous la direction de, La voie vers la Cour pénale

internationale : tous les chemins mènent à Rome, Les journées Maximilien Caron 2003, Université de Montréal,

Les éditions Thémis, 2003, (partie 3) : En dehors des sentiers battus. Section B, Balthazar, L., La CPI ce n’est pas

pour US, 375-388.

79 Selon notre source (Salmon, 2001, 550), l‘hostilité se définit comme suit: « A. Ensemble des actes offensifs ou

défensifs et des opérations militaires accomplis par un belligérant dans le cadre d‘un conflit armé. B. Le terme est aussi souvent employé pour désigner le conflit lui-même (ouverture des hostilités, suspension des hostilités, etc.).

4.2.2.3 L’American Service-Membrers’ Protection Act (ASPA) et les accords

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