• Aucun résultat trouvé

La solidarité sociale, fondement prépondérant du droit de l’aide sociale

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 45-50)

SECTION I. LE FONDEMENT THEORIQUE DU DROIT AUX ALIMENTS

B. La solidarité sociale

2/ La solidarité sociale, fondement prépondérant du droit de l’aide sociale

Sans doute est-il difficile d’assigner au droit de l’aide sociale un fondement unique161. Il n’en reste pas moins que la recherche d’un fondement juridique prépondérant apparaît nécessaire pour appréhender cette institution aussi bien dans sa construction actuelle que dans son avenir. Et il semble bien, de ce point de vue, que la justification dominante faisant du principe de solidarité sociale le fondement du droit de l’aide sociale soit la plus convaincante162.

Elle réalise, en effet, une sorte de synthèse des autres justifications avancées. Cette force tient à son postulat de départ qui réside dans l’existence d’un fait objectif : le fait

156 Voir, par exemple : M. BORGETTO, op. cit., pp. 379 et s.

157 Sur la notion de contrepartie, voir : La contrepartie : entre droits et créances, RFAS 1996-3, n° spécial. 158 P. ROSANVALLON, op. cit., pp. 164-193.

159 En ce sens : B. ENJOLRAS, op. cit., p. 62.

160 Sur la place de l'insertion dans le R.M.I., voir infra.

161 E. ALFANDARI, Action et aide sociales, op. cit., n°40, p. 71-72. 162 En dépit des critiques qui lui sont adressées.

indéniable et général d’interdépendance des membres du corps social. L’idée de solidarité sociale permet ainsi d’englober un certain nombre de considérations qui joue un rôle dans le processus de légitimation du droit de l’aide sociale163. Cela est vrai pour les motivations liées

au maintien de l’ordre public, comme pour le souci de prendre en compte l’intérêt général ou de rechercher une meilleure cohésion sociale164. A vrai dire, l’idée à la fois positive et éthique de solidarité sociale apparaît comme le principe fédérateur des différentes motivations ayant présidé à l’élaboration de l’œuvre législative en matière d’assistance et d’aide sociale165.

Ceci nous amène à évoquer un second argument qui, lui aussi, emporte la conviction. Il réside dans la potentialité de l’idée de solidarité sociale. En effet, comme le soulignent Messieurs Michel BORGETTO et Robert LAFORE, « si l’idée de solidarité sociale renvoie à un fait, c’est-à-dire à une situation, elle renvoie aussi à un principe ou à un devoir, c’est-à-dire à une prescription. Or, c’est bien évidemment à ce dernier titre, en l’occurrence en sa qualité de principe devant guider et inspirer l’action des pouvoirs publics, que la solidarité prend toute sa valeur »166. L’intervention de ces derniers se justifie donc par l’idée de solidarité,

laquelle n’est autre qu’un des principe de base de la société démocratique, telle qu’elle s’est constituée au fil des siècles. Cela révèle d’ailleurs le caractère éminemment politique du droit de l’aide sociale.

Cette justification convainc encore par son actualité et son potentiel prospectif. Il suffit, à ce sujet, de considérer la loi du 1er décembre 1988 ainsi que les travaux parlementaires ayant présidé à son élaboration pour s’en convaincre. Cette loi a en effet permis de concrétiser et de mettre en œuvre un droit qui était déjà proclamé dans le Préambule de la Constitution de 1946 : le droit d’obtenir de la société des moyens convenables d’existence167. C'est en ces termes que s'exprimait Monsieur Claude EVIN

devant l'Assemblée nationale : « L'exigence de solidarité s'impose à nous : exigence politique et morale, exigence économique également (...). Depuis quarante-deux ans, l'exigence de

163 M. BORGETTO et R. LAFORE, op. cit., n° 35, p. 29.

164 Voir supra. On remarquera l’intervention du Premier ministre Alain JUPPE lors de la discussion du projet de loi (avorté) relatif au renforcement de la cohésion sociale : « Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, sommes-nous décidés à tout faire pour que la France demeure une nation rassemblée en une communauté solidaire ? Sommes-nous décidés à nous engager de toute la force de notre volonté pour renouveler le pacte social qui unit chacun à tous ? (...) Voilà, me semble-t-il, les véritables enjeux du débat qui nous réunit aujourd’hui (...). J’ai la conviction que l’idéal républicain dessine le cadre qui nous permettra de restaurer notre cohésion sociale et nationale ». J.O. A.N., Débat, séance du 15 avril 1997, p. 2457.

165 Sur ce point, voir : Les applications sociales de la solidarité. Leçons professées à l’Ecole des Hautes Etudes

sociales, Alcan, Paris, 1904 ; M. BORGETTO, op. cit., pp. 425-429.

166 M. BORGETTO et R. LAFORE, op. cit., n° 35, p. 30.

167 Le Préambule de la Constitution de 1946 dispose : " Tout être humain qui en raison de son âge, de son état

physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ".

solidarité à l'égard des exclus est posée dans notre Constitution sans qu'on en ait tiré les conséquences . Aujourd'hui, à la veille du bicentenaire de la Déclaration des droits de l'homme, c'est à vous que revient l'honneur de faire passer cette exigence de la pétition de principe à la réalisation concrète »168.

C'est à un véritable renouveau de l'idée de solidarité sociale qu'invite le revenu minimum d'insertion. En réalité, une autre conception des rapports sociaux et une redéfinition du lien social se dégagent d'une vision renouvelée du fait d'interdépendance sociale. L'objectif de lutte contre l'exclusion participe en effet à « la mise en place d’un nouveau réseau de droits et d’obligations demandant à toutes les composantes de la société de jouer un rôle actif »169.

On peut, du reste, légitimement s’interroger sur la voie nouvelle ouverte par le revenu minimum d’insertion – et la solidarité telle qu’elle y est conçue – pour tracer les perspectives d’une conception modernisée de l’Etat providence.

Mais si cette justification théorique se révèle convaincante à bien des égards, elle n’en a pas moins dû faire face à certaines critiques, sans toutefois que celles-ci ne se montrent véritablement décisives.

Une première critique, tout d’abord, consiste à s’appuyer sur le fait que la solidarité peut revêtir plusieurs formes (locale, nationale, professionnelle...) et que, même en présence d’une collectivité déterminée, il n’est pas toujours exigé que le bénéficiaire de l’aide sociale soit un ressortissant de ce groupe170. En fait, cette objection ne vaut que par le qualificatif qui est accolé au terme « solidarité ». Elle ne s’avérerait pertinente que dans la mesure où la solidarité nationale serait invoquée, puisqu’en effet les étrangers ne sont pas exclus du bénéfice de l’aide sociale171. Mais dans la mesure où c’est la solidarité sociale qui est avancée

comme justification du droit de l’aide sociale, cette critique perd toute sa force172.

Une seconde critique, ensuite, revient à soutenir que, par l’idée de solidarité, « on laisse espérer à celui qui fournit l’effort qu’il peut un jour à son tour devenir bénéficiaire. Cette réciprocité [n’étant] pas sans rappeler l’exigence d’une contrepartie »173. Cette objection tient en l’idée qu’une égalité parfaite doit être garantie dans la réciprocité des prestations effectivement fournies. Or, classiquement, le droit de l’aide sociale révèle simplement une

168 Intervention de Monsieur C. EVIN, Ministre de la Solidarité, de la santé et de la protection sociale, J.O.A.N., Débat, séance du 4 octobre 1988, pp. 633-634.

169 Ibid.

170 En ce sens : E. ALFANDARI, Action et aide sociales, op. cit., n° 42, pp. 73-74. 171 Sur la situation des étrangers, voir infra.

172 M. BORGETTO et R. LAFORE, préc., p. 29, note 39. 173 E. ALFANDARI, Action et aide sociales, n° 42, p. 74.

« réciprocité potentielle » issue de l’engagement mutuel de venir en aide à une personne dans le besoin. On ne peut donc en déduire l’existence d’une contrepartie174. Cette critique qui

implique que les prestations ne doivent pas être assorties de contreparties est, d’autre part, quelque peu relativisée par la loi du 1er décembre 1988 instituant le revenu minimum d’insertion175.

Enfin, une dernière critique, plus grave que les précédentes par les dangers qu’elle tente de mettre en exergue, a été formulée par Monsieur Elie ALFANDARI. Selon cet auteur, « la thèse de la solidarité conduit à construire le droit, non à partir de l’intérêt de l’individu, mais à partir de l’intérêt du groupe. On pourrait en arriver à refuser l’assistance, à titre de

déchéance, à ceux qui auraient commis des fautes contre le groupe, aux individus asociaux ou

antisociaux ». Aussi ajoute-t-il, avant de réfuter la thèse qui présente la solidarité comme fondement du droit de l’aide sociale : « Certains systèmes étrangers, précisément fondés sur la solidarité, l’admettent logiquement, pas le système français »176.

Cette critique ne doit pas être sous-estimée, dans la mesure où l’idée de solidarité peut en effet conduire à exclure du bénéfice des prestations d’aide sociale certains individus, pour peu que l’on pose comme principe que seule l’appartenance au groupe ou l’adhésion au moins tacite à ce dernier fonde l’aide sociale177. Mais cette objection présente une conception

de l’idée de solidarité assez peu conforme à celle qui a été élaborée par la doctrine solidariste. Si l’on considère, en effet, que le fait d’interdépendance sociale implique que l’octroi de l’aide sociale à ceux qui en ont besoin contribue à lutter contre ce risque mutuel qu’est le mal social, voire même que la solidarité a créé un réseau très dense de droits et de devoirs entre les membres du groupe susceptibles de n’être réalisés qu’en cas d’accomplissement du devoir de secourir ceux qui en ont besoin, l’objection perd de sa pertinence. Tout dépend donc du contenu que l’on prête à l’idée de solidarité. Or, il apparaît que les considérations philosophiques tirées des idées de démocratie et de justice ont amené le législateur à privilégier cette seconde conception178. C’est la raison pour laquelle celui-ci n’a entendu exclure personne du bénéfice de l’aide sociale, quand bien même l’individu concerné serait considéré asocial ou antisocial. Car si la notion de cohésion sociale a un sens, elle ne saurait rester un vain mot.

174 M. BORGETTO et R. LAFORE, op. cit., p. 29, note 40. 175 Voir infra.

176 E. ALFANDARI, Action et aide sociales, op. cit., n° 42, pp. 74-75. 177 M. BORGETTO et R. LAFORE, op. cit., p. 29, note 41.

Le lien de solidarité sociale se présente, en définitive, comme le fondement prépondérant du droit de l’aide sociale. La lutte contre l’indigence est l’affaire de tous, comme le prouve le mode de financement (l’impôt) de l’aide sociale.

On a alors invoqué l’existence de « cercles concentriques de solidarité »179, de plus

en plus larges, qui irait de la famille restreinte à la collectivité publique, en passant par un cercle familial élargi. Une telle analyse permettrait, d’ailleurs, de justifier le caractère subsidiaire de l’aide sociale par rapport aux obligations alimentaires familiales180.

Or, l’étude des fondements respectifs des obligations alimentaires familiales et sociale montre que, s’ils s’appuient tous deux sur un lien de solidarité, le lien de solidarité familiale doit être distingué du lien de solidarité sociale. Deux conceptions différentes de l’idée de solidarité demeurent à l’œuvre. On ne peut donc considérer que le lien de solidarité sociale s’inspirerait du lien de solidarité familiale, tout en étant plus lâche compte tenu de l’étendue du groupe181.

En somme, l’idée de solidarité rapproche ces deux obligations alimentaires, sans pour autant confondre leur construction.

La vocation aux aliments en donnera, d’ailleurs, une bonne illustration.

En effet, quelle que soit sa forme, le droit aux aliments est un droit subjectif. Il se présente donc comme une prérogative attachée à la qualité du créancier. Et comme l’appartenance de l’individu au groupe familial – s’il existe – ou au groupe plus étendu que constitue la société l’unit à d’autres individus par un lien de solidarité, on peut dire que la vocation aux aliments incarne l’expression même de la solidarité à l’état latent.

S’il n’est pas en état de besoin, le titulaire du droit aux aliments a une vocation aux aliments mais son droit n’est pas exigible. En réalité, la solidarité existe mais ne s’exprime pas182. Par contre, lorsque l’aide s’avérera nécessaire, la solidarité se manifestera pleinement.

La question de savoir si la dualité des définitions du lien de solidarité affecte l’essence même de la vocation aux aliments, selon que l’on considère l’aide alimentaire familiale ou l’aide sociale, commande l’étude de cette vocation à l’entraide.

179 L’expression est empruntée au Professeur ALFANDARI, Action et aide sociales, op. cit., n° 42, p. 73. 180 Voir infra, Partie II.

181 J. PELISSIER estime, au contraire, que si l’aide sociale et l’aide familiale ne se confondent pas, leur fondement réside dans une même conception du lien de solidarité. Cet auteur précise qu’une différence – relativement mineure – existe entre ces deux aides, différence qui résulterait du fait que « le lien de solidarité est beaucoup plus fort dans un cas que dans l’autre » (Les obligations alimentaires. Unité ou diversité, Thèse préc., p. 15).

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 45-50)

Outline

Documents relatifs