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La genèse du principe de subsidiarité

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 109-113)

SECTION I. L’AFFIRMATION DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITE

B. La genèse du principe de subsidiarité

L’idée de subsidiarité a tout d’abord été développée chez les penseurs chrétiens, avant d’être progressivement laïcisée à partir du début du XVIIème siècle434.

431 Ibid., p. 69.

432 J-L. CLERGERIE, op. cit., pp. 31-39.

433 V. CONSTANTINESCO, « Le principe de subsidiarité : un passage obligé vers l’Union européenne ? », Mélanges en hommage à J. BOULOUIS, 1991, p. 38.

434 Sur les origines du principe de subsidiarité, voir : J-L. CLERGERIE, « Les origines du principe de subsidiarité », Les petites affiches, n° 97, 13 août 1993, pp. 34-39 ; J-L. CLERGERIE, Le principe de

C’est pourtant chez ARISTOTE (384-322 avant J-C.) qu’il semble possible de déceler les prémices de ce qui va devenir le principe de subsidiarité. La société qu’il décrit se compose de groupes emboîtés les uns aux autres, dont chacun accomplit des tâches spécifiques et pourvoit à ses besoins propres. Mais si l’individu et le groupe restreint sont capables de se survivre dans le domaine de leurs activités propres, ils se révèlent incapables d’une totale suffisance435. C’est pourquoi chaque groupe tente de répondre aux besoins

insatisfaits de la sphère immédiatement inférieure en importance : les tâches des différents groupes ne se recoupent donc pas, elles se superposent. Ainsi le groupe familial (le plus restreint) se voit-il assigné la finalité de ne s’occuper que des besoins quotidiens, alors que la cité (le plus large) vise non plus le vivre, mais le bien vivre436. Afin de respecter l’autonomie des groupes, chaque collectivité doit donc se contenter de n’entreprendre que ce qu’elle est capable d’accomplir mieux que telle autre.

On retrouve cette idée chez Saint Thomas d’AQUIN (1225-1274) qui n’appréhende pas la société comme la juxtaposition d’individus isolés les uns aux autres, mais comme un tout organique, dont chaque individu est membre et joue un rôle déterminé, qui ne doit pas empiéter sur celui des autres437. Cette société se compose de cercles concentriques : famille, quartiers, cités, associations de cités, Etat. L’homme n’existe pas sans les liens puissants qui le rattachent à son groupe d’appartenance. Seuls les groupes peuvent ainsi prétendre à une certaine autonomie. La toute-puissance de l’Etat est donc limitée aussi bien par des communautés telles que la famille, qui doit assurer la satisfaction de ses besoins élémentaires, que par la communauté dirigée par Dieu, le « Bien absolu », dont les vertus inspirent les individus438. Comme chez ARISTOTE, l’Etat doit se contenter d’effectuer les seules tâches que les différentes communautés ne sont pas en mesure d’assumer avec efficacité.

Ce principe d’ordre philosophique et religieux sera ensuite développé par l’Eglise catholique qui y aura recours pour définir tant ses relations avec les Etats catholiques que ses rapports avec les Eglises locales.

Il s’agira, dans un premier temps, de limiter l’intervention de l’Eglise dans les affaires internes des Etats dans les seuls domaines où elle pourrait être en mesure de le faire avec plus d’efficacité que les responsables politiques439. Bien que la subsidiarité ait surtout

435 C. MILLON-DELSOL, op. cit., p. 10. 436 Ibid.

437 J-L. CLERGERIE, Le principe de subsidiarité, op. cit., p. 11. 438 Ibid., pp. 9-12.

servi, à cette époque, à justifier le recul de son influence, il s’agit là de « la toute première application d’une règle qui acquiert à cette occasion une valeur quasi-morale : empêcher l’échelon plus élevé d’exercer une quelconque domination sur les échelons inférieurs »440.

L’Eglise catholique aura cependant à nouveau recours à ce principe lorsqu’il s’agira de définir de nouvelles relations entre l’Eglise de Rome et les Eglises locales. C’est ainsi que l’idée subsidiaire sera surtout développée à partir du XIXème siècle grâce au christianisme

social, défendu en 1891 par le Pape Léon XIII dans son encyclique « Rerum novarum » qui condamne le capitalisme libéral et insiste sur le « bien commun » et la solidarité441. On retrouvera, en particulier, dans l’encyclique « Quadragesimo Anno » du 15 mai 1931 sur la question sociale, la formulation de cette idée par le Pape Pie XI : « ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre intérieur, pour les confier à une communauté plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes »442. Ainsi,

puisque la famille constitue pour l’Eglise la cellule originelle de la vie sociale, les communautés plus vastes seront tenues de ne pas usurper ses pouvoirs et de ne pas s’immiscer dans ses affaires privées443.

Il est tout à fait remarquable qu’une telle approche se double d’une conception "minimaliste" du rôle de l’Etat qui se voit cantonné aux seules tâches qu’il est seul à pouvoir accomplir : « diriger, surveiller, stimuler, contenir, selon que le comportent les circonstances ou l’exige la nécessité »444.

C’est cette même conception de l’Etat que l’on retrouve chez ceux qui, à l’image de A. J. ALTHUSIUS (1557-1638), ont contribué, à partir du début du XVIIème siècle, à laïciser l’idée se subsidiarité. Il s’agit en effet très clairement de limiter les interventions de l’Etat aux domaines où il est susceptible de se montrer le plus efficace (défense, diplomatie, monnaie...).

Mais parmi les très nombreux auteurs qui se sont inspirés de l’idée de subsidiarité445, on remarquera la place occupée par ceux qui ont contribué à l’élaboration de l’idée de solidarité sociale, tels que Charles RENOUVIER446 et, surtout, Léon BOURGEOIS. Comme

440 Ibid., p. 15.

441 Voir : R. J. CASTILLO LARA, « La subsidiarité dans l’Eglise », in J-B. d’ONORIO, La subsidiarité. De la

théorie à la pratique, 1995, pp. 153-179.

442 Cité par J-L. CLERGERIE, Ibid., p. 17. 443 J-L. CLERGERIE, Ibid., p. 18.

444 Extrait de « Quadragesimo Anno ». Cité par J-L. CLERGERIE, Ibid., p. 17.

445 On trouve cette influence en Angleterre au XVIIème siècle, tant chez les adversaires que chez les partisans de l’absolutisme (par exemple : Thomas HOBBES, John LOCKE, Jeremy BENTHAM et John STUART), et en France, chez les penseurs libéraux du XIXème siècle (notamment Alexis de TOCQUEVILLE).

le souligne Madame Chantal MILLON-DELSOL, le courant solidariste « reprend à son compte les thèmes essentiels de la doctrine ecclésiale » 447.

L’idée de solidarité sociale serait-elle empreinte de l’idée de subsidiarité ?

Il semble, en tous cas, que, puisé dans la doctrine sociale de l’Eglise catholique, le principe de subsidiarité soit indissociable de l’idée de « solidarité ».

Le droit de l’aide sociale – qui trouve son fondement, comme nous l’avons vu, dans l’idée de solidarité sociale – mettrait-il en œuvre cette conception ?

II. LE PRINCIPE DE SUBSIDIARITE DANS LE DROIT DE L’AIDE

SOCIALE

Le débiteur du droit aux aliments, en matière d’aide sociale, est la collectivité. En raison de sa personnalité particulière, l’opportunité du droit aux aliments est laissée à l’appréciation du législateur. Ce choix révèle la traduction d’une conception politique du rôle de la société dans la lutte contre le besoin448.

La collectivité publique ne doit-elle intervenir qu’en cas de carence ou d’absence de la famille ? Ou bien, au contraire, est-ce à la société de secourir directement ses indigents ?

Il nous faudra, au travers de l’étude des origines de la formulation du principe de subsidiarité dans le droit à l’assistance (A), essayer de dégager la justification théorique de cette règle, souvent présentée comme un principe général du droit de l’aide sociale (B).

447 C. MILLON-DELSOL, op. cit., pp. 32-33.

448 « La connaissance du système de pensée dominant est toujours décisive pour bien comprendre le sens d’une législation, et d’une doctrine juridique qui en est toujours le reflet indirect. Mais il en est ainsi tout particulièrement en cette matière des besoins, car l’ordre juridique exprime alors la position que la société globale adopte à l’égard des miséreux ». A. SAYAG, Thèse préc., p. 73.

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 109-113)

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