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Dans le domaine de l’aide sociale

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 79-83)

SECTION I. LA SURVENANCE DU BESOIN

B. Dans le domaine de l’aide sociale

Le besoin que le droit de l’aide sociale prend en considération correspond à l’état d’un être par rapport aux moyens indispensables à son existence, sa conservation ou son développement. L’individu, pour pouvoir bénéficier de l’aide sociale classique, doit être

incapable de se procurer les éléments essentiels à son existence. Nous verrons cependant que

le revenu minimum d’insertion vient profondément renouveler cette approche traditionnelle.

Si le besoin est la cause de l’aide sociale, cet élément n’est cependant pas suffisant : encore faut-il que ce besoin résulte de circonstances particulières322. Et ce sont ces circonstances déterminées, d’où résultent un besoin déterminé et, par voie de conséquence, des prestations particulières destinées à y mettre fin qui constituent le système de la « spécialisation des formes d’aide sociale »323. Les prestations d’aide sociale se partagent,

pour cette raison, entre les aides en présence ou en soins, les aides en nature, et les aides en espèces.

320 D. EVERAERT, Thèse préc., t. I, p. 296. 321 A. BENABENT, op. cit., n° 653, p. 566.

322 E. ALFANDARI, Action et aide sociales, op. cit., n° 26, p. 46. 323 Ibid., n° 27, p. 47.

Les prestations d’aide sociale sont donc attribuées dès lors qu’une caractéristique objective peut être retenue. Or, il faut reconnaître que les causes retenues par le droit de l’aide sociale constituent des circonstances exceptionnelles. Ainsi en ira-t-il, par exemple, du grand âge, du jeune âge, du handicap ou de la maladie. Par conséquent, si la collectivité se sent tenue d’assurer à différentes catégories de la population en marge du monde du travail un soutien financier, elle ne fait pas abstraction de la relation de ces individus au travail.

En utilisant cette méthode, le législateur entendait ainsi écarter tous ceux qui, étant en état ou en âge de travailler, ne le faisaient pas, sans pour autant édicter de déchéance à leur égard324. C’est d’ailleurs ce qu’énonce le Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel

l’aide sociale n’est due qu’à celui qui « en raison de son âge, de son état physique ou mental, se trouve dans l’incapacité de travailler ». Ainsi que l’affirme un auteur, « c’est la non- appartenance au monde du travail qui donne naissance au droit de l’individu, à condition toutefois qu’elle soit explicable, et résulte de circonstances précises limitativement déterminées (...) ; il suffit [que ces événements] constituent un inconvénient tel que l’intéressé ne puisse subvenir lui-même à ses besoins par l’exercice d’une activité professionnelle »325.

On retrouve ici le contenu donné à la notion d’état de besoin dans le cadre des obligations alimentaires simples, mais le processus conduisant à sa reconnaissance s’en distingue. Cette divergence de méthode entre les obligations alimentaires simples du Code civil et l’aide sociale classique tient principalement au principe de spécialité qui caractérise cette dernière.

Au contraire du droit civil, la reconnaissance de l’état de besoin, dans le droit de l’aide sociale, ne résulte pas d’une analyse de la situation personnelle de l’individu, mais de la référence à certains critères, établis a priori par loi ou par décret. La constatation de l’état de besoin est donc objective326. Le droit de l’aide sociale a du besoin une perception unitaire dont la définition est identique pour tous les individus. La transformation de la vocation aux aliments en droit exigible nécessitant la survenance d’un état de besoin, il faut recourir à des critères objectifs pour sa détermination. Les besoins pris en considération dans la conception objective de l’aide sociale seront donc ceux qui sont prévus par la loi. C’est en raison de la

cause de la non-participation au monde du travail que leur situation est prise en

324 E. ALFANDARI, « L’aide sociale et l’exclusion : Paradoxes et espérances », op. cit., p. 91. 325 M. BADEL, Thèse préc., p. 64.

considération, en quelque sorte parce que cette cause semble "moralement" admissible327, qu’elle réside dans une incapacité physique ou mentale ou qu’elle soit couverte par le champ précis des politiques sociales. Il ne suffit donc pas, dans l'aide sociale classique, de constater qu’un individu ne dispose pas de ressources suffisantes pour qu’il reçoive une aide de la collectivité.

Il n’est pourtant pas si évident que les besoins pris en compte dans les domaines respectifs de l’aide sociale classique et des obligations alimentaires simples soient si différents. Est-ce d’ailleurs vraiment surprenant ? Car les besoins considérés nécessaires à la vie, dans le domaine des obligations alimentaires simples, sont également déterminés par le groupe social – même s’il ne les définit pas par l’intermédiaire du législateur.

En réalité, tout dépendra, d’une part, de l’interprétation extensive ou non que les magistrats donneront de l’exigence de circonstances exceptionnelles et, d’autre part des

causes objectives définies par le législateur, au nom du principe de spécialité de l’aide sociale,

qui permettront à l’individu de bénéficier de l’obligation alimentaire de la collectivité.

Or, si l’exigence de circonstances exceptionnelles semble aujourd’hui rarement invoquée par les juges, le principe de spécialité qui caractérise l’aide sociale classique subit, quant à lui, les effets de la loi du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d’insertion.

En effet, la règle générale selon laquelle l'insuffisance de ressources doit avoir une cause spécifique328 a fréquemment été dénoncée car elle n'apparaissait pas adaptée à la lutte contre la pauvreté329. La nécessité d'élargir l’accès à l'aide sociale a sans doute contribué à l'adoption du revenu minimum d'insertion dont l'installation a participé à l'atténuation du

principe de spécialité330.

La lecture de l'article 1er de la loi du 1er décembre 1988, qui semble directement s’inspirer du Préambule de la Constitution de 1946, pourrait pourtant faire penser qu’a priori le principe de spécialité est respecté : « toute personne qui, en raison de son âge, de son état

327 L’emploi de l'adverbe notamment montre qu’en fin de compte, les critères objectifs reposent sur des fondements subjectifs. En ce sens : S. DION-LOYE, « Le pauvre appréhendé par le droit », op. cit., p. 460 ; M. BADEL, Thèse préc., p. 64.

328 On remarquera cependant que, pour l'aide judiciaire et l'aide aux inadaptés sociaux, l'insuffisance de ressources est une condition suffisante.

329 Avant l'institution du R.M.I., la frange de la population exclue de la protection sociale, sécurité sociale et aide sociale confondues, représentait 1% de la population française, c'est-à-dire plus de cinq cent mille personnes. Ceci amenait le Père Joseph WRESINSKI à s’interroger en ces termes : « comment garantir l’exercice des droits économiques, sociaux et civiques, si on maintient des conditions d’accès à ces droits qui s’avèrent inaccessibles ou inadaptés pour une fraction de la population ? ». Voir : J. WRESINSKI, « Le difficile droit des pauvres », Dr. soc. 1987, p. 632.

physique ou mental, de la situation de l'économie ou de l'emploi, se trouve dans l'incapacité de travailler, a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ». Mais, comme le souligne Madame Maryse BADEL, « causes précisées ne signifie pas forcément précision des causes »331. En effet, l’imprécision des causes de l’incapacité de travailler à l’origine de l’état de besoin révèle la prééminence du critère économique qui devient dès lors seul déterminant pour l’octroi du R.M.I..

Malgré le caractère subsidiaire du revenu minimum d’insertion par rapport aux autres prestations d’aide sociale, il ne faut pas négliger la portée de cette approche novatrice332 : il

existe dorénavant un droit à l’aide sociale fondé sur la seule situation de besoin constitué dès

lors que le demandeur ne peut entrer dans aucun statut prédéterminé333.

On peut ainsi constater une certaine tendance contemporaine qui marque aussi bien le droit de l’aide sociale que le droit civil, pour ce qui est des obligations alimentaires simples, et qui tend à conditionner l’octroi d’aliments au seul constat de l’état de besoin334. Force est

de reconnaître, par ailleurs, que la notion d’état de besoin fait l’objet de définitions relativement proches dans ces deux domaines335.

La distinction entre le droit civil et le droit de l’aide sociale se révèle, au contraire, particulièrement nette lorsque l’on confronte la référence au maintien du train de vie qui caractérise les obligations alimentaires renforcées et la notion d’état de besoin telle qu’elle est appréhendée dans le cadre de l’obligation alimentaire sociale.

Mais si la notion d’état de besoin tend à rapprocher le droit de l’aide sociale du droit civil au stade de la reconnaissance du droit aux aliments, la différence de méthodes apparaîtra pleinement lors de l’étape suivante au cours de laquelle il s’agira de définir le montant des droits alimentaires. Cette phase déterminante sera celle qui permettra de formuler l’objet de la solidarité.

331 M. BADEL, Thèse préc., p. 68.

332 Car si l’insuffisance de ressources suffit à l’octroi de l’aide judiciaire, une telle solution semble commandée non par une approche singulière de l’aide sociale mais par l’existence d’un principe supérieur : celui de l’égalité des citoyens devant la justice.

333 M. BADEL, Thèse préc., p. 69.

334 Le risque d’une dérive liée à la volonté d’assortir l’aide d’une obligation de travail ou d’insertion n’est cependant pas à exclure aussi bien en droit de l’aide sociale, via le revenu minimum d’insertion, qu’en droit civil.

335 Il faut en effet remarquer que les besoins nécessaires à la vie ne sont pas forcément entendus de la même manière pour l’aide sociale et pour les obligations alimentaires simples. Ainsi, les frais de justice ne sont-ils pas compris parmi les aliments en droit de la famille alors que le droit de l’aide sociale établit une aide judiciaire.

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 79-83)

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