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L’évaluation du montant de la pension alimentaire

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 88-90)

SECTION II. L’OBJET DE LA SOLIDARITE

A. L’état de besoin, mesure des obligations alimentaires simples

2/ L’évaluation du montant de la pension alimentaire

Nous avons vu précédemment que, dans l’analyse traditionnelle, les aliments ne devaient correspondre qu’au strict nécessaire. Ceci s’explique par l’omniprésence de la référence au « besoin » dans les articles 205 et suivants du Code civil ainsi que de la finalité assignée aux obligations alimentaires simples : une vocation de secours.

Or, la confrontation besoin-ressources à laquelle invite l’article 208 du Code civil semble remettre en cause une telle conception. En effet, la méthode de calcul que propose le législateur afin de déterminer l’étendue des aliments à allouer apparaît suffisamment vague pour qu’une vision extensive de la mesure du besoin soit possible.

En proposant de déterminer les aliments dans la "proportion" du besoin du débiteur et des ressources du créancier, le législateur aurait-il entendu laisser le magistrat déterminer librement le pourcentage des ressources de l'un qui servira à satisfaire les besoins de l'autre ? Rien n’est moins sûr. La règle de calcul posée par le législateur complétait, sans la remettre en cause, la référence première à l’état de besoin. Comme l’affirme Madame Dominique EVERAERT, ce sont en réalité « les magistrats [qui] ont sorti l’art. 208 C. civ. de son contexte pour le faire jouer de façon autonome »356.

Or, comme le juge dispose en la matière d'un large pouvoir d'appréciation, celui-ci gardera les mains libres pour évaluer le montant de la pension alimentaire. Il en résultera que ce qui pourrait s'entendre d'un minimum vital comportera « en pratique, plus humainement, une certaine adaptation à la condition sociale et aux habitudes antérieures du créancier »357. L’objet de l’obligation alimentaire n’est plus seulement alors de faire vivre le créancier mais plutôt de le faire vivre dans la mesure où le débiteur le peut358.

Ceci révèle le caractère subjectif de la méthode utilisée par le juge civil pour évaluer le montant de la pension alimentaire. La tendance de chaque tribunal de fixer sa propre méthode en donnant sa préférence à tel ou tel indice n’en est qu’une conséquence logique359.

De ce fait, un certain nombre de paramètres (âge du demandeur, culpabilité, catégorie

356 D. EVERAERT, Thèse préc., t. I, p. 345. 357 J. CARBONNIER, op. cit., n° 381, pp. 580-581. 358 Ibid.

professionnelle...) viendra se substituer à ce qui demeure la référence initiale des obligations alimentaires simples. Cette référence sortira, à tout le moins, amoindrie de pareille épreuve.

La détermination des aliments résulte alors de « la combinaison, dans chaque cas, d’une double série de facteurs variables en fonction de la situation réelle des protagonistes en présence »360. Mais si l’on ne peut nier que le fait que l’octroi d’aliments fasse l’objet d’une appréciation in concreto, il semble regrettable de constater que la mise à l’écart de facto de la référence à l’état de besoin soit l’occasion de la floraison de toutes les combinaisons possibles et imaginables entre besoins de l’un et ressources de l’autre.

Trois combinaisons principales peuvent ainsi être évoquées.

Une première possibilité consiste à faire coïncider le montant de la pension et l’étendue du besoin du créancier – dans la limite de l’excédent de ressources dégagé chez le créancier. Une telle méthode de calcul serait alors conforme à l’économie générale des textes du Code civil relatifs à l’obligation alimentaire car la pension alimentaire correspond au plus juste des besoins nécessaires à combler.

Une deuxième méthode revient à tenir compte, en les mettant sur le même plan, de l’état de besoin du créancier et de l’état de ressources du débiteur. Le montant de la pension résulte alors du calcul de la moyenne de ces deux données – dans la limite également de l’excédent de ressources du créancier.

Une troisième lecture peut également être proposée : afin de faire bénéficier le créancier alimentaire du niveau social de son débiteur, il s’agira de donner une prééminence à la variable constituée par l’excédent de ressources, en faisant correspondre, cette fois, le montant de la pension à cette variable.

Si la première méthode reste fidèle à la finalité de l’obligation alimentaire, l’abandon plus ou moins accentué de la limite du minimum vital (ou, si l’on préfère, la prise en considération plus ou moins marquée de besoins dépassant ceux qui s’avèrent nécessaires à la vie) dans les deux autres mode de calcul de la pension alimentaire correspond à un « détournement de l’obligation alimentaire »361. En effet, la vocation de secours de l’obligation alimentaire commande sa limitation au minimum vital, même si celui-ci peut, à l’instar de l’aide sociale, être entendu assez largement362. D’autre part, cette rupture de

360 G. CORNU, op. cit., n° 125, p. 190. 361 D. EVERAERT, Thèse préc., t. I, p. 349. 362 E. ALFANDARI, Thèse préc., t. II, p. 63.

l’obligation alimentaire avec ses attaches ne manque pas de surprendre dans la mesure où, d’une part, les textes du Code civil n’ont pas été modifiés et, d’autre part, l’obligation alimentaire simple en arrive à faire double emploi avec d’autres notions à vocation alimentaire.

Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, un constat s’impose : la méthode subjective suivie par le juge civil au stade de la détermination de la mesure du besoin, et finalement de la prise en considération des besoins, révèle une approche singulière du besoin. La qualification qui devra lui être donnée sera celle de besoin relatif.

Alors même qu’il est exigé que le créancier alimentaire soit dans le besoin, la méthode de calcul permettant de déterminer les aliments à allouer tend non plus à mettre fin à cet état de besoin mais à le conforter dans sa classe sociale. Or, une telle ambition, si elle apparaît étrangère à la finalité des obligations alimentaires simples, n’est pas sans rappeler la vocation des obligations alimentaires renforcées, lesquelles ne font pas appel à la notion d’état de besoin mais à celle du maintien du train de vie. Et c’est bien cette dernière référence qui déterminera la mesure de ces obligations alimentaires spécifiques.

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 88-90)

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