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La vocation aux aliments dans le cercle restreint

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 51-57)

SECTION II. LA VOCATION AUX ALIMENTS

A. La vocation aux aliments et la solidarité familiale

1/ La vocation aux aliments dans le cercle restreint

Ce cercle restreint est caractérisé par l’existence de deux sortes d’obligations alimentaires spécifiques : les obligations alimentaires entre époux (a) et l’obligation d’entretien des parents à l’égard des enfants (b).

a) Les obligations alimentaires entre époux

Les obligations alimentaires entre époux trouvent leur raison d’être dans le lien matrimonial qui apparaît comme un lien de solidarité particulièrement fort. Pourtant, ce lien peut être relâché, voire même rompu. Il convient donc de rechercher la vocation alimentaire des époux en distinguant les hypothèses où le lien matrimonial est intact () de celles où ce lien est rompu ().

) Lorsque le lien matrimonial est intact

Pendant la vie commune, lorsque le lien matrimonial est intact, les époux sont tenus, tout d’abord, d’un devoir de secours.

En effet, l’article 212 du Code civil dispose que « les époux se doivent mutuellement fidélité, secours et assistance ». Si les devoirs de secours et d’assistance relèvent d’une optique commune, seul le premier mérite d’être qualifié d’obligation alimentaire, dans la mesure où il revêt normalement un aspect pécuniaire187.

Conçu à l’origine comme une obligation alimentaire stricto sensu pesant sur celui qui disposait de ressources, le devoir de secours a, depuis, vu se modifier considérablement sa portée188. Il s’agit non plus seulement de fournir à l’autre époux les ressources nécessaires pour vivre, mais plus généreusement d’assurer une égalisation des niveaux de vie. Ainsi la

187 Sur la question de la distinction entre les devoirs de secours et d’assistance, voir notamment : D. EVERAERT, Thèse préc., t. 1, pp. 97-109 ; F. TERRE et D. FENOUILLET, op. cit., pp. 349-350 ; C. PHILIPPE, Le devoir de secours et d’assistance entre époux. Essai sur l’entraide conjugale, Thèse Strasbourg, 1980. Selon ce dernier auteur, ces devoirs sont en fait deux expressions différentes d’un même devoir.

Cour de cassation décide-t-elle que le fait qu’un époux ne se trouve pas dans un état de besoin ne prive pas celui-ci du droit de secours contre son conjoint beaucoup plus fortuné189.

Les époux sont tenus, ensuite, d’une obligation de contribuer aux charges du mariage (art. 214 C. civ.), obligation qui dépasse le cadre du simple devoir alimentaire pour recouvrir en réalité l’ensemble des dépenses du mariage correspondant au train de vie des époux. Car si la contribution aux charges du ménage connaît pour première affectation l’entretien des enfants, celle-ci se voit également assigner le rôle de gérer le quotidien des époux190. Cette obligation s’inscrit donc dans une vision égalitaire et non de secours, comme l’était la vocation originelle du devoir de secours. C’est ainsi que le plus fortuné se devra d’assurer à son conjoint « une condition égale à la sienne »191.

Il apparaît qu’en réalité ces deux obligations légales tendent à se confondre. Car si la distinction est nettement affirmée sur le plan théorique192, celle-ci s’estompe au point de vue

pratique. Le régime de la pension éventuellement due au titre de la contribution aux charges du mariage et celui de la pension alimentaire correspondant à l’exécution du devoir de secours sont généralement les mêmes193. Certains auteurs vont jusqu’à affirmer qu’il s’agit d’une entraide matérielle de même contenu194.

Il est bien évident que la contribution aux charges du ménage répond à une volonté de renforcer l’obligation alimentaire entre époux. L’évolution de la jurisprudence relative au devoir de secours révèle, quant à elle, une tendance à substituer l’entretien à l’alimentaire, ce qui a pour effet de rapprocher le devoir de secours de la contribution aux charges du ménage.

Mais, comme le souligne Madame Dominique EVERAERT, si la référence au train

de vie semble se retrouver dans ces deux obligations, « comment savoir s’il s’agit d'un

"gonflement" du devoir de secours, ou d'une application conjuguée du devoir de secours et de la contribution aux charges du mariage ? » 195.

189 Par exemple : Cass. 2ème civ., 11 juill. 1979, Bull. II, n° 207, p. 143 ; Cass. 2ème civ., 16 janv. 1980, Bull. II, 1980, n° 12, p. 8 ; D. 1980, I.R., p. 438 ; JCP 1981, II, 19487.

190 D. EVERAERT, Thèse préc., p. 576. 191 P. MALAURIE, op. cit., n° 913, p. 520.

192 Voir, par exemple : Cass. 1ère civ., 27 oct. 1976, Bull. I, n° 314, p. 252. Cet arrêt énonce en effet que la contribution aux charges du mariage est « distincte, par son fondement et son but, de l’obligation alimentaire ». 193 G. GOUBEAUX, Manuel de droit civil, t. II, LGDJ, 18ème éd., Paris, 1994, n° 15, p. 18.

194 A. BENABENT, op. cit., n° 201, pp. 164-165. Dans le même sens, voir par exemple : C. PHILIPPE, Thèse préc., spéc. pp. 44-119. Pour des opinion contraires, voir par exemple : F. TERRE et D. FENOUILLET, op. cit., n° 437, p. 349 ; D. EVERAERT, Thèse préc., t. 2, pp. 538-545.

195 D. EVERAERT, Thèse préc., p. 637. Selon cet auteur, la référence au maintien du train de vie n’aurait été étendue qu’au devoir de secours après divorce pour rupture de la vie commune. Ceci s’expliquerait par la mise en concurrence du devoir de secours et de la prestation compensatoire, laquelle fait apparaître cette référence (pp. 638-640).

Toujours est-il qu’une obligation alimentaire renforcée semble mise en œuvre entre les époux pendant leur vie commune. En sera-t-il de même en cas de séparation ?

Les séparations que Monsieur Philippe MALAURIE qualifient de "désunions intermédiaires" prennent place entre le mariage et le divorce196. Celles-ci peuvent prendre deux formes distinctes : la séparation de fait et la séparation de corps.

La séparation de fait, tout d'abord. Puisqu'elle n'est pas juridiquement proclamée, celle-ci ne constitue « qu’un fait qui ne saurait altérer le droit ». C’est pourquoi le lien matrimonial demeure intact. Or, comme le devoir de secours et la contribution aux charges du mariage n’ont pas hissé au rang de condition nécessaire l’exigence d’une communauté de vie, ces devoirs conjugaux subsisteront en cas de séparation de fait. Il appartiendra au conjoint tenu du devoir de secours de rapporter la preuve des circonstances particulières pouvant le dispenser des obligations en découlant197.

La séparation de corps, ensuite. Celle-ci se caractérise par son ambiguïté : elle « relâche le lien matrimonial mais ne le dissout pas »198. Il est ainsi mis fin en principe à la contribution aux charges du mariage, mais le devoir de secours subsiste (art. 303 C. civ.). Il en résulte que celui des deux époux qui dispose des ressources les plus importantes a l’obligation de verser à l’autre une pension alimentaire et ce, sans que l’attribution des torts puisse être prise en compte199.

Si le maintien du lien matrimonial justifie des obligations alimentaires renforcées entre les époux, qu’en sera-t-il en cas de rupture de ce lien ?

) Lorsque le lien matrimonial est rompu

Plusieurs événements peuvent affecter le lien matrimonial. Le décès d’un des époux et l’échec de l’union conjugale en sont les deux principales hypothèses.

196 P. MALAURIE, op. cit., p. 241.

197 Cass. 1ère civ., 19 nov. 1991, Defrénois 1992, 720, obs. J. MASSIP. 198 A. BENABENT, op. cit., n° 378, p. 319.

Pour ce qui est du divorce, tout d’abord, la rupture du lien matrimonial conduit logiquement à la disparition du devoir de secours. Comme l’énonce l’article 270 du Code civil, « le divorce met fin au devoir de secours prévu par l’article 212 du Code civil ».

Pourtant le même article précise que le devoir de secours est exceptionnellement maintenu en cas de divorce pour rupture de la vie commune. Il prendra alors la forme d’une pension alimentaire (art. 282 C. civ.). Par contre, le divorce aura pour effet d’ôter au devoir de secours son caractère réciproque. L’article 281 du Code civil précise en effet que lorsque le divorce est prononcé pour rupture de la vie commune, « l’époux qui a pris l’initiative du divorce reste entièrement tenu au devoir de secours ». De bilatéral qu’il était lors du mariage, le devoir de secours devient unilatéral lorsqu’il est maintenu après divorce. En outre, l’intitulé de cet article laisse entendre que la contribution aux charges du mariage n’a plus lieu d’être.

Il faut ainsi reconnaître que la justification du devoir de secours dans cette hypothèse doit être recherchée autant dans le souci du législateur de protéger la partie économiquement faible200 (c’est-à-dire la partie qu’il présume victime du divorce), afin de lui

assurer une situation matérielle comparable à celle qu’il avait antérieurement, que dans le fait que le lien de solidarité entre époux tende à se survivre.

Hormis ce cas exceptionnel, le devoir de secours disparaît en cas de divorce. Toutefois, « l’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives » (art. 270 C. civ.). Cette prestation compensatoire qui emprunte à la pension alimentaire une nature alimentaire au moins aussi importante que sa nature indemnitaire201, prolonge en quelque sorte le lien de solidarité familiale au-delà de la rupture du lien matrimonial. Elle compense en fait la perte cumulée du devoir de secours et de la contribution aux charges du mariage. La notion de « maintien du train de vie » apparaît comme la référence fondamentale, nécessaire à la détermination de toute prestation compensatoire, dans la mesure où l’objectif est de maintenir un niveau de vie mis en péril par la séparation des époux. La prestation compensatoire revêt donc la physionomie d’une obligation alimentaire renforcée.

Le lien matrimonial peut également être rompu du fait du décès d’un des époux. En ce cas, un droit alimentaire, expression de la solidarité des époux par-delà la mort, est reconnu au profit du conjoint survivant à l’encontre de la succession de l’époux prédécédé (art. 207-1

200 D. EVERAERT, Thèse préc., t. 1, p. 179.

C. civ.). Cette vocation alimentaire permettra seulement à l’époux survivant de satisfaire ses besoins essentiels. On remarquera toutefois avec intérêt que le projet de réforme des successions n° 1945, déposé le 8 février 1995, tend à substituer à l’actuelle obligation alimentaire simple de l’article 207-1 du Code civil, une véritable obligation alimentaire renforcée qui, sans consacrer la qualité d’héritier réservataire au conjoint survivant, doit lui assurer le maintien de son niveau de vie et le service d’une rente.

A l’exception de l’hypothèse du décès d’un des époux, il existe donc entre les époux des obligations alimentaires renforcées. Celles-ci trouvent leur fondement dans le lien familial particulièrement intense qui les supporte ou dont on compense la perte.

Mais si cette intensité peut trouver son origine dans le mariage, elle pourra également provenir d’une autre institution, la filiation, laquelle donnera naissance à une obligation d’entretien des parents à l’égard de leurs enfants.

b) L’obligation d’entretien des parents à l’égard des enfants

La procréation ou la volonté judiciairement consacrée de considérer un enfant comme le sien, pour ce qui est de l’adoption, justifient la mise en place d’une obligation spécifique qui dépasse la simple solidarité familiale. Comme le précisent deux auteurs, « l’obligation alimentaire et l’obligation d’entretien reposent sûrement toutes les deux sur les liens familiaux, mais la seconde repose, en plus, sur le fait d’avoir un enfant ce qui entraîne le devoir de l’amener à l’âge adulte »202.

Le devoir alimentaire unilatéralement mis à la charge des parents203 par l’article 203 du Code civil comprend la nourriture, l’entretien – qui s’étend à l’ensemble des soins à donner à un enfant malade204 – et l’éducation de l’enfant. Cette conception large des aliments intègre donc en particulier les frais d’études et de formation intellectuelle. Ainsi l’obligation d’entretien n’est-elle pas soumise à une condition de besoin205. Cette référence semble en

effet avoir été abandonné au profit de celle, plus large, de maintien du train de vie206.

202 J. HAUSER et D. HUET-WEILLER, op. cit., n° 1356, p. 906.

203 La question de savoir si les grands-parents sont tenus d’une obligation alimentaire ou d’une véritable obligation d’entretien envers leurs petits enfants, fait cependant l’objet de discussions doctrinales. Voir, par exemple : J. HAUSER et D. HUET-WEILLER, op. cit., n° 1358, p. 907 ; J. HAUSER, « Obligation alimentaire ou d’entretien des grands-parents naturels », RTD civ., avr.-juin 1997, p. 411 ; H. BOSSE-PLATIERE, « La présence des grands-parents dans le contentieux familial », JCP 1997, éd. G., I, 4030, p. 270.

204 Ass. plén., 20 juill. 1979, Bull., 1979, n° 6 ; Gaz. Pal., 1979, 2, 545, note J. VIATTE. 205 Cass. 2ème civ., 2 mars 1994, Bull. I, n° 77 ; RTD civ. 1994, 848, obs. J. HAUSER. 206 Voir infra.

Il faut également ajouter que si elle a été conçue pour l’enfant mineur, l’obligation d’entretien peut également se poursuivre au-delà de la majorité de l’enfant. En réalité, le maintien de l’obligation alimentaire après la majorité est conditionné par le fait que le jeune majeur ne puisse subvenir seul à ses besoins et que la cause de la dépendance financière soit légitime. Il en sera ainsi notamment en cas de poursuite d’études207– si l’enseignement est sérieux, commencé alors que l’enfant était encore mineur et en accord avec ses capacités et perspectives d’emploi 208– voire même en cas de chômage209.

La vocation aux aliments au sein d’un cercle familial restreint fait donc apparaître des obligations alimentaires renforcées qui ont pour objet non plus seulement de permettre la survie du bénéficiaire mais de conduire « à une sorte de mise en commun des ressources »210.

Ces devoirs alimentaires correspondent à une solidarité d’autant plus intense qu’elle tend parfois à s’étendre à des situations où le lien de dépendance entre le créancier et le débiteur d’aliments semble a priori plus lâche. Le maintien de l’obligation d’entretien au profit du jeune majeur ou la prestation compensatoire après rupture du lien matrimonial en sont des illustrations.

D’autre part, ce lien de solidarité particulièrement fort aboutit à un constat qui caractérise les obligations alimentaires renforcées : « la référence au maintien du train de vie a détrôné celle relative à l’état de besoin du créancier »211. On retrouve ici l’opposition entre les

deux définitions du besoin (entre le besoin et les besoins) et la confrontation de l’aspect

subjectif et de l’aspect objectif de cette notion212.

Doit-on conclure au dépérissement de la notion d’état de besoin ? Certes non. Le besoin, dans sa conception restrictive, reste au cœur des obligations alimentaires simples qui existent à l’égard d’autres parents.

Mais quel est donc ce second cercle de solidarité, moins exigeant que le premier, puisque ne conduisant qu’à fournir des aides strictement nécessaires ?

C’est ce qu’il convient à présent d’étudier à travers les bénéficiaires du droit aux aliments qu’il met en scène.

207 M-J GEBLER, L’obligation d’entretien des parents à l’égard de leurs enfants majeurs qui poursuivent des

études, D. 1976, chr. 131.

208 D. EVERAERT, Thèse préc., t. 2, pp. 519-528.

209 Voir les arrêts cités par J. HAUSER, RTD civ. 1994, p. 582. 210 A. BENABENT, op. cit., n° 648, p. 563.

211 D. EVERAERT, Thèse préc., t. 2, p. 582. 212 Voir supra.

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