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La vocation aux aliments et la solidarité sociale

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 62-66)

SECTION II. LA VOCATION AUX ALIMENTS

B. La vocation aux aliments et la solidarité sociale

Trouvant son fondement dans la solidarité sociale, l’aide sociale a vocation à s’adresser à « toute personne résidant en France » (art. 124 C. fam. aide soc.). Conformément

235 On s’intéressera aux développements réalisés à ce sujet par D. EVERAERT en faveur d’une nécessaire gradation de la solidarité familiale. Cet auteur, constatant un décalage entre la conception de la famille que s’est fait le Code civil et celle qui a cours actuellement, estime indispensable d’établir « une corrélation entre l’importance de la solidarité et l’intensité du lien familial ». Cherchant à rendre la dette alimentaire supportable sur le plan financier et acceptable d’un point de vue psychologique, l’auteur propose, d’une part, d’établir une

répartition verticale de cette dette en distinguant selon la force de la solidarité en la complétant, d’autre part, par

une répartition horizontale pratiquée dans chaque groupe afin d’opérer une redistribution de la dette entre les membres tenus au même échelon. Thèse préc., spéc. pp. 641-722.

236 A. BENABENT, op. cit., n° 667, p. 575.

237 Cass. 1ère civ., 18 déc. 1996, Juris-data, n° 005056 ; Droit et patrimoine, avril 1997, obs. A. BENABENT, p. 69 (« l’obligation alimentaire des grands-parents au profit des petits-enfants n’est que subsidiaire par rapport à celle des père et mère et ne peut s’exercer que pour la part des besoins des enfants non assumée par les parents »).

238 Une femme mariée ne peut agir contre son père que si elle établie que son mari est hors d’état de remplir son devoir de secours : C. d’appel Paris, 20 mars 1952, Gaz. Pal. 1952, 1, 350 ; JCP 1952, II, 7219 ; D. 1952, somm. 73. Voir aussi : C. d’appel Douai, 28 juill. 1953, D. 1954, 477, note R. SAVATIER ; RTD civ. 1954, 645, obs. G. LAGARDE ; et encore récemment : C. d’appel Aix-en-Provence, 13 sept. 1996, Juris-data, n° 044493. 239 C’est pourquoi il n’existe aucune obligation alimentaire entre concubins, alors que l’interdépendance de fait de ceux-ci ne suscite guère de doute.

au postulat de départ, une simple constatation de fait suffit : la résidence en France, c’est-à- dire le « lieu où une personne demeure de façon habituelle »240.

Le lien de solidarité sociale se présente donc, avant tout, comme un lien de fait, contrairement au lien de solidarité familiale qui exige l’établissement d’un lien de droit résultant par exemple du mariage ou de la filiation. Le lien de solidarité sociale ne peut donc en aucun cas se réduire au lien de nationalité241. Le champ d’application personnel de l’aide sociale s’entend donc comme incluant tous les résidants sur le sol français, quelle que soit leur nationalité242.

Si l’existence d’une convention de réciprocité liant la France et le pays d’origine de l’étranger n’est nullement requise pour que les étrangers puissent bénéficier des prestations d’aide sociale, des conditions d’âge ou de durée de résidence sont parfois exigées. Ainsi en est-il, par exemple, de l’aide médicale à domicile pour laquelle une résidence ininterrompue en France métropolitaine depuis au moins trois ans est exigée (art. 186 C. fam. et aide soc., 4°) ou de la prestation spécifique dépendance, instituée par la loi du 24 janvier 1997, qui porte cette durée à quinze ans, et ce, avant que le bénéficiaire potentiel n’ait atteint soixante-dix ans (loi n° 97-60 du 24 janv. 1997, art. 2, renvoyant au 5° de l’art. 186 C. fam. aide soc.). On remarquera également que la loi du 24 août 1993 subordonne, sauf en cas de situations exceptionnelles243, le bénéfice de l’aide sociale à la régularité du séjour en France (loi n° 93- 1027 du 24 août 1993, art. 38-III)244.

Cependant, ces limites ne privent en rien l’idée de solidarité sociale de son efficience juridique, dans la mesure où elles ne lui substituent pas un lien de nationalité.

Le principe de spécialité de l’aide sociale245 a parfois été mis en avant pour

démontrer que l’apparente souplesse de la vocation aux aliments dans le droit de l’aide sociale n’était finalement que très relative246. En effet, l’article 124 du Code de la famille et de l’aide

240 E. ALFANDARI, Action et aide sociales, op. cit., n° 48, p. 79.

241 En ce sens : J. PELISSIER, Thèse préc., p. 129 : « le législateur, et ceci est bien le propre de la législation sociale, a pris en considération une situation de fait, la résidence commune, et non une situation de droit, la nationalité commune ».

242 M. BORGETTO et R. LAFORE, op. cit., n° 132, p. 116. On déplorera, avec ces auteurs, l’exclusion des étrangers d’un grand nombre de prestations dites « non contributives de Sécurité sociale », telle que, par exemple, l’allocation aux adultes handicapés. Ibid., p. 40, note 79.

243 L. n° 93-1027 du 24 août 1993, art. 38-IV.

244 Il faut préciser que cette condition disparaît dans le cas de prestations de l’aide sociale à l’enfance, de celles dues en cas d’admission dans un centre d’hébergement et de réadaptation sociale, et des prestations de l’aide médicale pour les soins dispensés par un établissement. Voir sur cette question : J-J. DUPEYROUX et X. PRETOT, « Le droit de l’étranger à la protection sociale », Dr. soc. 1994, p. 69.

245 Voir infra.

sociale précise que l’aide sociale sera attribuée à toute personne résidant en France « si elle remplit les conditions légales d’attribution ». Il en résulte que la seule constatation qu’un individu ne dispose pas de ressources suffisantes ne suffit pas à motiver l’intervention de l’aide sociale.

Cette opinion doit cependant être rejetée pour deux raisons.

D’une part, le principe de spécialité qui fait correspondre à des besoins circonstanciés des prestations spécifiques n’intervient pas au niveau de la vocation aux aliments, lorsque la solidarité se trouve à l’état latent. Il n’apparaît en réalité que dans la phase de l’exigibilité du droit aux aliments, c’est-à-dire quand la solidarité est amenée à se manifester.

D’autre part, le revenu minimum d’insertion, issu de la loi du 1er décembre 1988, conduit à une certaine remise en cause du principe de spécialité qui caractérise l’aide sociale. En vertu de son caractère subsidiaire par rapport aux autres prestations d’aide sociale247, il est amené à jouer le rôle de dernier filet de protection sociale. Il apparaît donc comme une sorte de "droit commun" de l’aide sociale, auquel chacun a, en principe, vocation à bénéficier en cas de besoin248.

Chacun ou presque... Car si « toute personne qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation de l’économie et de l’emploi, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence », comme l’énonce l’article 1er de la loi du 1er décembre 1988, une telle déclaration de principe249 ne concerne pas les personnes âgées de moins de vingt-cinq ans, sauf si ces dernières assument la charge d’un ou plusieurs enfants « nés ou à naître » (art. 2 in fine, Loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988). Outre l’existence de mesures d’insertion spécifiques pour cette catégorie de la population, il semble que la véritable justification de cette exclusion

247 En effet, « le versement de l’allocation est subordonné à la condition que l’intéressé fasse valoir ses droits aux prestations sociales, légales, réglementaires et conventionnelles, à l’exception des allocations mensuelles mentionnées à l’article 43 du code de la famille et de l’aide sociale et des prestations servies en application des lois des 30 mai 1908 et 8 novembre 1909 dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle » (art. 23, al. 1, loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988). On remarquera toutefois que certaines prestations d’aide sociale légales (par exemple l’allocation compensatrice aux personnes handicapées) n’entrent pas dans le calcul des ressources. Il y a alors possibilité de cumul avec le R.M.I., mais celui-ci ne se substitue pas aux allocations en question. Voir notamment : E. ALFANDARI, « L’insertion et les systèmes de protection sociale », RDSS 1989, p. 649 et la note 16 ; R. LAFORE, L’allocation d’un revenu minimum, RDSS 1989, p. 666.

248 Selon Maryse BADEL, « en dehors du droit de l’aide sociale conditionnée par l’appartenance à un statut déterminé, et même si cette conception reste prioritaire, il existe désormais un droit à l’aide sociale fondé sur la seule situation de besoin constitué dès lors que le demandeur ne peut entrer dans aucun statut déterminé », Thèse préc., p. 69.

249 Laquelle reprend d’ailleurs presque à l’identique les dispositions du Préambule de la constitution de 1946. Voir supra.

repose sur la conviction que ces personnes se doivent d’abord de faire appel à la solidarité familiale250. On regrettera toutefois le fait que le législateur ait ainsi tenu à l’écart les cas où la solidarité familiale ne peut être mises en œuvre. On songe, en particulier, aux cas de rupture des liens familiaux qui aboutissent parfois à ce que les enfants majeurs ignorent l’adresse de leurs parents. D’autre part, lorsque la faiblesse des ressources du débiteur d’aliments ne lui permettront pas de payer la pension alimentaire, faudra-t-il considérer, comme le suggère l’article 210 du Code civil, que celui-ci devra recevoir dans sa demeure, nourrir et entretenir l’enfant majeur ? Cette solution n’est guère satisfaisante, surtout si l’on songe que le jeune majeur avait peut-être acquis une certaine autonomie.

Pour critiquable qu’elle soit251, cette faiblesse ne doit pas faire oublier l’essentiel : la

vocation aux aliments, telle qu’elle est conçue dans le droit de l’aide sociale, se révèle particulièrement large. Elle se distingue à de nombreux égards de la vocation aux aliments mise en œuvre en droit de la famille. Ceci révèle les deux conceptions différentes de l’idée de solidarité qui inspirent les obligations alimentaires familiales et l’aide sociale.

On peut toutefois se demander si la subsidiarité de l’aide sociale par rapport à l’aide familiale ne tend pas à restreindre cette vocation aux aliments face à ce débiteur alimentaire particulier qu’est la collectivité publique. Cette question sera abordée ultérieurement252.

En principe, chaque individu a donc une double vocation aux aliments, ou du moins, « tout individu a originairement une double vocation aux aliments »253. Il est en effet des hypothèses où l’individu perd, à titre de déchéance, la vocation aux aliments qui lui est initialement attribuée.

II. LES PERSONNES PERDANT LA VOCATION AUX ALIMENTS

La vocation aux aliments est la traduction de la solidarité au sein d’un groupe déterminé. Faire perdre sa vocation aux aliments à un individu revient à rompre le lien de solidarité qui le rattache à ce groupe. Il s’agit alors d’un véritable abandon qui s’apparente à

250 En ce sens : M. BADEL, Thèse préc., p. 439.

251 Pour une critique de cette limitation : M. BADEL, Thèse préc., pp. 438-440 ; B. FRAGONARD, « Le revenu minimum d’insertion : une grande ambition », Dr. soc. 1989, p. 574 ; J-P. LABORDE, « Le droit au revenu minimum d’insertion dans la loi du 1er décembre 1988 », Dr. soc. 1989, p. 591 ; X. PRETOT, « Le droit à l’insertion », RDSS 1989, n° 4, p. 637.

252 Voir infra, Partie II.

une exclusion d’un individu qui, pourtant, peut se trouver dans le besoin. On mesure la gravité que revêt cette déchéance. Elle met véritablement en lumière la conception de la solidarité qui s’exerce.

Nous étudierons donc la perte de la vocation aux aliments dans le cadre de l’aide familiale (A), avant de l’aborder dans celui de l’aide sociale (B).

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 62-66)

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