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Les éléments de mesure de l’obligation alimentaire simple

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 84-88)

SECTION II. L’OBJET DE LA SOLIDARITE

A. L’état de besoin, mesure des obligations alimentaires simples

1/ Les éléments de mesure de l’obligation alimentaire simple

L’article 208 du Code civil met face à face la situation du demandeur d’aliments et celle de son débiteur potentiel, opposant ainsi le besoin de l’un à la fortune de l’autre. Cet article semble ainsi ne prendre en compte que les besoins du premier et les ressources du second.

Une telle lecture conduirait à faire abstraction des ressources du débiteur et des charges du créancier. Or, il ne fait guère de doute que les unes comme les autres seront prises en considération338, c’est pourquoi il apparaît préférable d’évoquer l’insuffisance des ressources du créancier alimentaire et l’état de ressources du débiteur potentiel.

a) L’insuffisance des ressources du créancier alimentaire

Il appartient au créancier d’aliments de faire la preuve de son besoin. Il n’est cependant pas exigé qu’il se retrouve totalement démuni de ressources : la simple insuffisance de ressources suffira. De même que la prise en compte des personnes à la charge du créancier lors de l’appréciation de ses besoins, les revenus de son conjoint, voire même de son concubin, seront pris en considération lors de l’évaluation de ses ressources339.

Deux arguments seront le plus souvent opposés par le débiteur : la possibilité de travail du créancier et l’existence d’un capital lui appartenant340.

337 F. TERRE et D. FENOUILLET, op. cit., n° 306, p. 244.

338 « La fixation du quantum de l’obligation alimentaire suppose donc un quadruple calcul : celui des ressources du créancier, puis de ses besoins (la différence, négative, constituant le taux maximum de la créance), celui des ressources du débiteur, puis de ses besoins (la différence, positive, constituant le taux maximum de la dette) ». Voir : E. ALFANDARI, Thèse préc., t. II, n° 58, p. 79.

339 D. EVERAERT, Thèse préc., t. I, p. 307. L’auteur remarque, à ce propos, que certaines décisions ont étendu cette règle au concubin. Ce qui n’est pas sans soulever la question de la base juridique sur laquelle elles se fondent...

Si le demandeur se procure des revenus par son travail, ceux-ci seront bien évidemment pris en compte dans le calcul de ses ressources. La situation sera plus délicate lorsque le demandeur ne se livre à aucune activité rémunérée et ce, parce qu’il s’y refuse. Nous avons vu précédemment que l’indigent ne pouvait faire appel à autrui que s’il se révélait incapable de subvenir lui-même à ses besoins. Il convient donc d’apprécier si le refus de travailler s’avère ou non justifié. La jurisprudence se réfère alors implicitement à la capacité de travail du demandeur d’aliments341. Pour ce faire, les juges prennent en considération sa situation personnelle342 et, dans une certaine mesure, sa situation sociale343. Il sera aussi bien tenu compte de l’âge du demandeur, de sa qualification professionnelle, de sa disponibilité à un emploi, de son infirmité ou de sa maladie, que du temps qu’il consacre à élever ses enfants, ou à acquérir une formation professionnelle.

Le juge jouit d’une très grande liberté d’appréciation. Il se révélera également soucieux de laisser au créancier d’aliments « une certaine marge d’appréciation et de liberté »344 : il ne pourra donc être question de la contraindre à changer de métier.

Le créancier éventuel d’aliments ne doit pas seulement être dans l’incapacité de travailler : il ne doit disposer de revenus d’aucune sorte lui permettant d’assurer son entretien et celui des personnes qui sont légalement à sa charge.

Dans l’hypothèse où il serait détenteur d’un capital, il ne pourra être contraint à aliéner ses biens345. Toutefois, le demandeur sera tenu de gérer utilement son patrimoine : le juge ne tiendra pas seulement compte des ressources effectives, mais également de celles qu’il pourrait se procurer, s’il le voulait bien346. Encore une fois le juge disposera-t-il d’un pouvoir

souverain d’appréciation pour prendre en considération « les revenus qu’une gestion intelligente du capital pourrait procurer »347.

Une fois l’insuffisance de ressources du créancier d’aliments établie, le juge s’attachera à rechercher si le débiteur potentiel dispose de ressources suffisantes pour fournir

341 Celui-ci doit en effet faire la preuve de l’incapacité dans laquelle il se trouve de se procurer des ressources par son travail. Par exemple : Cass. 1ère civ., 25 juin 1996, op. cit.

342 Voir supra.

343 A. BENABENT, op. cit., n° 653, pp. 566-567. Voir aussi : J. PELISSIER, Thèse préc., p. 166. Ce dernier souligne que le rang social élevé d’une personne ne doit pas lui permettre de vivre dans l’oisiveté, sous prétexte que son éducation et les convenances sociales le rendraient étranger au fait d’occuper un emploi subalterne. Il est vrai qu’une telle opinion ne trouverait point d’appui jurisprudentiel postérieur à ... 1889.

344 J. HAUSER et D. HUET-WEILLER, op. cit., n° 1315, p. 888. 345 Cass. req., 23 fév. 1898, D. 1898, I, 303.

346 J. PELISSIER, Thèse préc., p. 163.

une aide à autrui. C’est à cette ultime condition que la vocation aux aliments se transformera en droit exigible. Il est en effet incontestable, comme l’énonce Monsieur Jean PELISSIER, que « la solidarité ne peut imposer à un individu de secourir son prochain, alors qu’il ne peut subvenir à ses propres besoins »348.

b) L’état de ressources du débiteur potentiel

Contrairement à ce que pourrait laisser penser la lettre de l’article 208 du Code civil, il s’agit pour le juge de tenir compte non seulement des ressources qui sont à la disposition du débiteur, mais également de ses charges. En réalité, la « fortune » dont fait mention cet article correspond à l’excédent qui se dégage lorsque le débiteur a satisfait à ses besoins et à ceux de sa famille349. Le juge devra donc opérer une confrontation des propres besoins du débiteur

avec ses ressources.

L’étendue des ressources du débiteur potentiel sera appréciée par le juge à l’identique de ce qu’il entreprend à l’égard du créancier. Le débiteur est ainsi censé se procurer des ressources par son travail et, le cas échéant, il sera alors procédé à une appréciation de sa capacité de travail. De même que pour l’évaluation des ressources personnelles du demandeur, les ressources de la personne vivant maritalement avec le débiteur seront prises en compte350.

On remarquera cependant que si ces revenus sont pris en compte dans leur intégralité sans qu’il lui soit possible d’opposer au créancier alimentaire l’insaisissabilité partielle de son salaire (art. L 145-2 C. trav.), ce raisonnement sera étendu à des allocations telles que l’allocation compensatrice pour aide d’une tierce personne, ou une pension de retraite ou d’invalidité, malgré leur caractère insaisissable351.

Les revenus du capital seront également appréhendés de la même manière que pour le créancier, sans qu’il y ait à voir dans le terme « fortune » une référence aux seuls biens capitalisés.

348 J. PELISSIER, Thèse préc., p. 169. 349 D. EVERAERT, Thèse préc., t. I, p. 316.

350 Cass. 2ème civ., 8 nov. 1989, D. 1990, somm. 118, obs. A. BENABENT.

351 La Cour de cassation précise cependant que si l’allocation compensatrice ou la pension doit être incluse dans le calcul des ressources du débiteur d’aliments, c’est à la seule condition que le débiteur dispose d’autres revenus saisissables sur lesquels l’obligation alimentaire sera exécutée, compte tenu des charges inhérentes à son handicap (Cass. 2ème civ., 7 juin 1990, Bull. II, n° 127, p. 66 ; Defrénois 1991, art. 35088, n° 64, note J. MASSIP ; Cass. 1ère civ., 5 fév. 1991, Bull. I, n° 42 ; Gaz. Pal., 27-28 mars 1991, note Y. DAGORNE-LABBE ; Defrénois, art. 35047, n° 33, note J. MASSIP).

Toutefois, les ressources du débiteur potentiel ainsi dégagées ne seront pas prises en compte en tant que telles afin de réaliser l’évaluation de la créance d’aliments. En effet, il faudra déduire ses charges afin de pouvoir faire apparaître un excédent de ressources correspondant à la « fortune » du débiteur au sens de l’article 208 du Code civil. Il s’agit de permettre à ce dernier de continuer à faire face à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille qui sont déjà à sa charge352.

Mais faut-il entendre ces « besoins » de manière restrictive, en les concevant comme les seuls besoins nécessaires à la vie, ou de manière plus large, en prenant en compte le niveau social du débiteur ?

Deux raisons militent en faveur de cette seconde acception : d’une part, l’article 208 du Code civil ne fait implicitement référence à l’état de besoin qu’eu égard au créancier d’aliments (et non au débiteur) et, d’autre part, certaines obligations renforcées qui se réfèrent au maintien du train de vie, telle que l’obligation d’entretien, seront englober dans ces charges353.

Les besoins du créancier seront donc appréciés en tenant compte, ici encore, de l’âge, de la santé, de la situation de famille et également de la situation sociale354. Ainsi évitera-t-on que le débiteur ne subisse une véritable remise en cause de son rang social.

S’il apparaît qu’après déduction de ses charges, aucun excédent de ressources ne subsiste, le débiteur potentiel échappera au paiement de la dette alimentaire. Il semble cependant que dans les autres hypothèses, même lorsque l’excédent de ressources est faible, le débiteur se devra d’acquitter sa dette alimentaire355. En outre, le principe jurisprudentiel de l’absence de hiérarchie entre les débiteurs d’aliments l’empêchera, le plus souvent, d’inviter le juge à rechercher un débiteur plus fortuné et plus proche.

Il résulte de ces quelques développements que les conditions sociales respectives du créancier comme du débiteur d’aliments occupent une place maîtresse au sein des paramètres utilisés par le juge afin de déterminer le montant de la pension alimentaire. Ce dernier disposera alors d’un assez large pouvoir d’appréciation.

352 A. BENABENT, op. cit., n° 654, p. 568.

353 En ce sens : D. EVERAERT, Thèse préc., t. I, pp. 328-329. 354 A. BENABENT, Ibid. ; C. COLOMBET, op. cit., n° 185, p. 234. 355 D. EVERAERT, Thèse préc., t. I, p. 332.

Une fois que l’insuffisance des ressources du créancier et l’état de ressources du débiteurs auront été établis et quantifiés, il ne restera au juge qu’à procéder à cette évaluation.

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 84-88)

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