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La pratique de l’émission de titres exécutoires par les établissements publics de santé

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 150-154)

SECTION II. L’APPLICATION DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITE

B. La pratique administrative d’émission de titres exécutoires

1/ La pratique de l’émission de titres exécutoires par les établissements publics de santé

Une longue période de stabilité quant au tribunal compétent638 a précédé la

résurgence d'une question essentielle afin de déterminer la juridiction compétente pour statuer sur l'article L. 708 du Code de la santé publique : la nature de la créance est-elle administrative ou privée ?

A deux reprises, le 23 avril 1971 et surtout le 30 mars 1984, le Conseil d’Etat allait poser le principe que la dette justifiant le recours à l'article L. 708 C. santé publ. naissait d'un rapport de droit public entre l’hôpital et le malade639.

Dans l’affaire Launay, le Tribunal des conflits, a estimé, le 12 janvier 1987, en prolongeant la solution du Conseil d’Etat, que « l’article L. 708 du Code de la santé publique étend pour le paiement des frais d’hospitalisation le rapport de droit public, né de cette situation, de l’hospitalisé à ses débiteurs, parents et alliés expressément nommés »640. Ainsi la

demande d’annulation du commandement de paiement ressortit-elle à la compétence des juridictions administratives641.

636 E. SERVERIN, « La prise en charge des personnes âgées entre solidarité familiale et solidarité nationale »,

op. cit., p. 147.

637 Sur cette question : P. FRAISSEIX, op. cit., p. 12.

638 Il s'agit de la jurisprudence issue de l'affaire "L'abeille" qui attribuait compétence au juge judiciaire. Voir : CE, 17 mars 1905, Rec. 1905, p. 272.

639 CE, 30 mars 1984, Hôpital hospice de Mayenne c/ Baras, Rec., p. 142 ; CE, 23 avr. 1971, Jacquemot et Sauvage, AJDA 1971, concl. ROUGEVIN-BAVILLE, p. 369.

640 T. confl., 12 janv. 1987, Launay Ginette c/ Assistance publique de Paris, RDSS 1987, p. 416, concl. J. MASSOT ; Gaz. Pal. 1987, 2, p. 746, note E. FAROULT.

641 Le Conseil d’Etat faisait alors immédiatement application de cette décision dans une procédure diligentée par le débiteur d’une personne âgée en affirmant la compétence du tribunal administratif s’agissant de « contestations relatives au paiement des frais de séjour dont ils sont débiteurs en qualité d’usagers du service public hospitalier ». CE, M. Jean Gramain, 5ème et 3ème sous-sections, 3 juill. 1987, Rec., Lexis.

Cependant, il n’était pas question d’étendre la compétence de ces juridictions jusqu’à leur permettre de déterminer l’existence et le montant de la dette alimentaire, une telle compétence n’appartenant qu’aux tribunaux de l’ordre judiciaire. C’est ce que laisse entendre, peu de temps plus tard, le Tribunal des conflits, dans un arrêt Mallard du 26 octobre 1987, en reprenant mot pour mot la motivation de la précédente décision, mais en assortissant son dispositif d’une réserve : la possibilité de soulever une question préjudicielle devant le juge judiciaire. L’application de la dette alimentaire reste donc de la compétence judiciaire, mais comme question préjudicielle642.

La Cour de cassation allait alors, dans ce contexte, réaffirmer avec force que le recours contre les débiteurs d’alimentaires avait toujours pour fondement les dispositions du Code civil régissant la dette d’aliments, que seul le juge judiciaire pouvait se prononcer sur l’existence de l’obligation alimentaire par laquelle le débiteur est lié et que, par conséquent, le juge administratif devait surseoir à statuer et saisir les juridictions civiles643. La procédure de la question préjudicielle, selon Monsieur Pierre GULPHE, s’impose donc « impérativement, dans l’intérêt tant des justiciables que de l’Administration elle-même »644.

Le Tribunal des conflits, dans une affaire Leleu du 25 janvier 1988645, venait ensuite compléter la jurisprudence Launay, en faisant la démonstration que la voie choisie n’était pas celle de la simplicité... Dans cet arrêt, la compétence administrative ne porte que sur le bien fondé de la créance, et donc le juge administratif reste incompétent pour prononcer l’annulation de l’acte de poursuite. Le juge administratif, juge de l’action, n’est donc pas juge de l’exception lorsque celle-ci porte sur une question telle que l’étendue de l’obligation alimentaire, laquelle reste du seul ressort du juge judiciaire. Une question préjudicielle doit ainsi intervenir, dans la mesure où est en cause la dette alimentaire.

Le Tribunal des conflits affirme cependant que « les rapports qui se nouent entre parents et alliés et l’établissement public de santé n’ont aucun point commun avec l’obligation alimentaire », laissant planer un doute quant à une éventuelle confusion entre la dette alimentaire qui résulte d’une application du principe de proportionnalité et la dette sociale correspondant purement et simplement à la créance publique contre les familles.

642 E. ALFANDARI, « Le recouvrement des frais hospitaliers sur les débiteurs d’aliments », op. cit., p. 678. 643 Cass. 1ère civ., 1er déc. 1987, op. cit.

644 P. GULPHE, op. cit.

Ainsi, il y aurait eu glissement d’une question de régularité de la délivrance d’un titre

exécutoire à celle de l’étendue de l’obligation alimentaire646.

Cette confusion était entretenue par le Commissaire du gouvernement Monsieur ARRIGHI de CASANOVA lorsqu’il précisait « qu’il n’y a nature à question préjudicielle que si tout à la fois, la contestation dont dépend l’issue du procès est sérieuse et si elle porte sur l’appréciation d’une situation et non seulement sur l’application ou la transposition des règles générales dégagées par la Cour de cassation et la jurisprudence »647.

Il semble que cette déviance soit sur le point d’être supprimée, en ce qui concerne le recouvrement des créances hospitalières, puisque la loi du 8 janvier 1993 a opéré le transfert du contentieux du recouvrement impliquant les débiteurs alimentaires des tribunaux administratifs vers le juge aux affaires familiales. Cette tendance est confortée, d’une part, par l’avis rendu par le Conseil d’Etat le 28 juillet 1995648 par lequel celui-ci affirme que les

dispositions de l’article L. 714-38 actuel « ont pour seul effet de transférer à la juridiction judiciaire compétente pour connaître des litiges relatifs au paiement des frais exposés en faveur des hospitalisés par les établissements publics de santé, lorsqu’ils opposent ces établissements publics et les personnes désignées par les articles 205, 206, 207 et 212 du Code civil »649. Elle l’est, d’autre part, par un arrêt du Tribunal des conflits du 12 mai 1997, par lequel celui-ci affirme que les recours exercés par les établissements publics de santé contre les personnes tenues à l’obligation alimentaire relèvent, selon les dispositions de l’article L. 714-38, du juge judiciaire, la juridiction de l’ordre judiciaire étant seule compétente pour connaître du litige650.

Faut-il, pour autant, en déduire que l’établissement hospitalier ne peut établir un ordre de recette ou un état exécutoire contre les débiteurs alimentaires sans avoir préalablement saisi l’autorité judiciaire ?

C’est, en tous cas, ce que laissait entendre la Cour de cassation, dans son arrêt du 1er décembre 1987, lorsqu’elle affirmait que « les ordonnateurs ne peuvent sans méconnaître le

646 Sur ce point, voir : E. SERVERIN, « La prise en charge des personnes âgées entre solidarité familiale et solidarité nationale », op. cit., spéc. p. 147 et s.

647 J. ARRIGHI de CASANOVA, concl. sous Cour adm. d’appel Paris, 14 fév. 1989, AJDA 1989, p. 333. 648 CE, section du contentieux, M. Kilou, 28 juill. 1995, n° 168.438, Rec., Lexis.

649 Pour des exemples de mise en œuvre de cet avis, voir : Cour adm. d’appel Paris, 4ème Chambre, M. Chalal, 14 nov. 1995, n° 94PA00260, Lexis ; Cour adm. d’appel Paris, 1ère Chambre, Mme Amar, 23 nov. 1995, n° 95PA02738.

principe de la séparation des pouvoirs émettre à l’encontre d’un débiteur d’aliments un état exécutoire (...) ; qu’il appartient seulement à l’autorité administrative de saisir la juridiction compétente de l’ordre judiciaire aux fins de fixation de la dette alimentaire »651. Pourtant,

l’article R. 241-4 du Code des communes relatif au recouvrement des recettes autorise les établissements hospitaliers à émettre des rôles rendus exécutoires par l’ordonnateur.

De son côté, le Conseil d’Etat a tenté d’éclaircir la situation dans son avis du 28 juillet 1995 652. En estimant qu’un établissement public de santé ne peut légalement émettre un ordre de recette ou un état exécutoire à l’encontre d’une personne qui ne serait pas au nombre des personnes pouvant être déclarées débitrices sur le fondement de l’article L. 714- 38 C. santé publ., le Conseil d’Etat a implicitement reconnu qu’il le pouvait à l’égard de ces dernières. L’avis précise, au surplus, que « lorsque l’établissement public poursuit le recouvrement de sa créance à l’encontre d’une personne désignée par les articles 205, 206, 207 ou 212 du Code civil, la signature éventuelle de l’engagement est sans incidence sur la compétence de la juridiction judiciaire » 653.

Le Conseil d’Etat a cependant affirmé, dans un arrêt du 3 juillet 1996, qu’à partir du moment où « aucune contestation sérieuse relative au principe ou au montant de l’obligation

alimentaire » n’avait été soulevée, « l’établissement hospitalier était en droit (...), et sans

saisir préalablement le juge civil, d’établir sa créance et d’engager directement une procédure de recouvrement, à l’encontre des débiteurs d’aliments d’une personne hospitalisée, des sommes dues à raison du séjour de cette dernière dans l’établissement ». Par conséquent, « il ne saurait être reproché à la cour administrative d’appel de Nantes d’avoir méconnu la règle suivant laquelle la créance de l’hôpital ne pouvait être réclamée aux débiteurs d’aliments que dans la limite de leur obligation alimentaire »654.

En somme, bien que la compétence en matière de recours soit, en principe, de la compétence du juge aux affaires familiales, l’établissement hospitalier a le droit d’établir un ordre de recette contre les débiteurs alimentaires dans la mesure où le principe ou le montant de la dette alimentaire ne font pas l’objet de contestation sérieuse.

C’est d’ailleurs ce qu’a reconnu expressément la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 21 mai 1997 en affirmant, dans une affaire relative à l’application de la maxime « Aliments ne s’arréragent pas », que « si l’Administration dispose

651 Cass. 1ère civ., 1er déc. 1987, op. cit.

652 CE, section du contentieux, M. Kilou, 28 juillet 1995, op. cit.

653 Sur tous ces points, voir : E. SERVERIN, « La prise en charge des personnes âgées entre solidarité familiale et solidarité nationale », op. cit., pp. 153-154.

d’un recours par voie d’action directe, celui-ci est à la mesure de ce dont sont redevables les débiteurs d’aliments, lesquels sont fondés à opposer la règle selon laquelle les aliments ne s’arréragent pas, sans que le droit pour l’Administration d’émettre des états exécutoires ait une incidence sur les conditions d’existence de sa créance »655.

La Haute juridiction semble donc abandonner sa jurisprudence issue de l’arrêt du 1er décembre 1987656 au profit d’une approche plus réaliste, tout en réaffirmant avec force que la créance de la collectivité, via l’établissement public de santé, trouve son fondement dans les règles relatives à l’obligation alimentaire.

C’est donc heureusement vers la voie de la clarification des règles gouvernant la pratique de l’émission des titres exécutoires et, à travers elle, de l’étendue de la contribution demandée aux familles que l’on se dirige peu à peu, en matière hospitalière657.

Il convient donc de rechercher si cette tendance se retrouve lorsque cette pratique administrative est l’œuvre des services d’aide sociale.

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 150-154)

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