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LA MESURE DU DROIT AUX ALIMENTS DANS LE DROIT DE L’AIDE SOCIALE : UNE CONCEPTION ABSOLUE DU BESOIN

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 94-102)

SECTION II. L’OBJET DE LA SOLIDARITE

B. Le maintien du train de vie, mesure des obligations alimentaires

II. LA MESURE DU DROIT AUX ALIMENTS DANS LE DROIT DE L’AIDE SOCIALE : UNE CONCEPTION ABSOLUE DU BESOIN

En droit de la famille, l’évaluation de la pension alimentaire résulte soit de la prise en compte de la référence au train de vie, soit de la confrontation entre besoins et ressources. S’il va de soi que le premier critère ne peut trouver à s’appliquer lors de la fixation du quantum de l’aide sociale (au train de vie de qui ferait-on alors allusion ?), la méthode de calcul préconisée par l’article 208 du Code civil ne trouvera guère plus de faveur.

apparaissait ainsi comme « l’entrelacs de toutes ces relations de personne à personne ». R. THERY, « Trois conceptions de la famille dans notre droit », D. 1958, chr., p. 47.

381 J. PELISSIER, Thèse préc., p. 168. 382 Voir infra.

Ceci s’explique par le fait que ce ne sont plus deux particuliers qui se retrouvent face à face, mais un particulier et la collectivité publique. Or, cette dernière, selon l’opinion commune, est censée avoir toujours « des ressources suffisantes pour subvenir aux besoins d’un miséreux »383. Mais s’il ne semble pas possible que la collectivité puisse opposer une

insuffisance de ressources à une demande d’aide384, il n’en reste pas moins que la volonté de limiter ses dépenses face à la multitude des besoins demeure omniprésente385. C’est pourquoi un certain nombre de conditions doivent être remplies afin d’obtenir cette aide.

En effet, la seule constatation de l’état de besoin s’avère le plus souvent insuffisante pour ouvrir le bénéfice de telle ou telle prestation d’aide sociale : ainsi faudra-t-il, par exemple, établir un handicap (art. 166 C. fam. aide soc.), remplir une condition d’âge (art. 157 C. fam. aide soc.), vérifier un degré de dépendance (art. 2, loi n° 97-60 du 24 janv. 1997) ou encore la charge constituée par le poids économique de certaines personnes (art 150 C. fam. aide soc.).

Rares sont donc les prestations d’aide sociale conditionnées par la seule constatation de l’état de besoin : il s’agira, en réalité, de celles qui ont pour véritable vocation de répondre au problème posé par la pauvreté en général386. Mais lorsque les conditions exigées pour bénéficier de telle ou telle prestation d’aide sociale seront vérifiées, l’état de besoin sera alors présumé387. Il en va ainsi des aides en espèces pour lesquelles il est procédé à une évaluation théorique de besoin. Et c’est bien cette prédétermination de l’état de besoin qui rendra inutile une éventuelle confrontation entre besoins et ressources, telle que la pratique le juge civil. Le rôle joué par le plafond de ressources légalement déterminé pour chacune (ou presque) des prestations d’aide sociale suffira pour limiter les dépenses de la Collectivité388.

Toutefois, pour les aides en nature, c’est le besoin réel qui est pris en considération389. En effet, il s’agit alors d’un système de remboursement des prestations servies par un tiers (tels que les établissements hospitaliers ou les médecins)390. Dans la mesure où seuls les soins sont remboursés, le besoin est, par conséquent, strictement couvert.

383 J. PELISSIER, Thèse préc., p. 169.

384 E. ALFANDARI, Thèse préc., t. I, n° 61, p. 84.

385 On peut d’ailleurs légitimement penser qu’il s’agit là de la véritable justification de la primauté de l’aide familiale sur l’aide sociale, c’est-à-dire du principe de subsidiarité dans le droit de l’aide sociale.

386 C’est le cas, par exemple, de l’allocation de logement sociale (ALS) et du revenu minimum d’insertion. 387 D. EVERAERT, Thèse préc., t. II, p. 795.

388 J. PELISSIER, Thèse préc., p. 169.

389 E. ALFANDARI, Thèse préc., t. I, n° 61, pp. 85-86.

On peut donc constater que la façon dont est appréciée le besoin varie selon le type de prestation, ce qui montre que l’instrument de mesure du besoin n’est pas unique391.

Mais il ne faut pas, pour autant, perdre de vue la conception cohérente du besoin qui domine la matière. Ainsi, si l’aide sociale n’est pas mesurée aux ressources du débiteur, elle l’est cependant aux besoins du créancier. Ce principe vaut aussi bien pour les aides en espèces que pour les aides en nature. Et cette mesure présente un caractère singulier : l’uniformité. En effet, face à un même état de besoin, deux individus recevront la même aide. Ceci révèle un esprit égalitaire qui ne se retrouve pas dans les obligations alimentaires familiales392.

On a cependant fait valoir que cette conception objective du besoin devait être nuancée, voire qu'elle était totalement surannée. Car si l’aptitude du demandeur à bénéficier

de l’aide sociale est appréciée de manière objective, l’appréciation de l’état de besoin dans

lequel se trouve le demandeur au regard de la prestation concernée laisserait place à une part de relativité.

Comme le souligne Monsieur Elie ALFANDARI, « le taux théorique est rarement le taux réel : il faut tenir compte des ressources personnelles des assistés qui ne sont pas les mêmes pour tous les individus »393. Il faut, en effet, distinguer l’état de besoin tel qu’il est fixé par le plafond de ressources, de celui qui résulte de l’allocation à un taux maximum.

Celui qui a quelques ressources ne touchera donc qu’une allocation différentielle. Ceci découle du caractère subsidiaire de l’aide sociale qui n’intervient qu’à défaut de ressources et de créances, notamment fondées sur les obligations familiales394.

Mais une telle opinion se voit confrontée à un obstacle : le montant de ces ressources sera cependant apprécié de façon objective. Il sera ainsi tenu compte, selon l’article 141 du Code de la famille et de l’aide sociale, de tous les revenus professionnels ou autres, ainsi que de la valeur en capital des biens non productifs de revenu395 qui sera évaluée dans les conditions fixées par règlement d’administration publique.

391 M. BADEL, Thèse préc., p. 379.

392 E. ALFANDARI, Thèse préc., t. I, n° 61, p. 86. On retrouve ici les éléments du débat plus général autour des concepts d’équité et d’égalité. Sur ce point, voir par exemple : J-J. DUPEYROUX, « Egalité, équité... », op. cit., p. 885.

393 E. ALFANDARI, Thèse préc., t. I, n° 61, p. 86. 394 Sur ce point, voir infra, Partie II.

395 Il n’y a toutefois pas à prendre en considération la valeur du logement non productif de revenus, dans la mesure où le demandeur l’occupe à titre principal. Voir : Comm. centr., 23 janv. 1989, RFAS, 1989, cah. jur., n° 2, p. 41.

En ce qui concerne les bases de calcul de l’allocation du revenu minimum d’insertion, seront notamment prises en compte aussi bien les prestations familiales, une fraction des aides personnelles au logement, les allocations déjà servies au titre de l’aide sociale. Par contre, l’allocation de rentrée scolaire ainsi que les prestations en nature dues au titre de l’assurance maladie, maternité, invalidité ou de l’assurance accident du travail ou au titre de l’aide médicale, par exemple, ne seront, quant à elles, pas prises en considération396.

Il faut également préciser que, dans la reconnaissance du droit aux aliments, l’aide sociale ne tient pas compte des revenus virtuels que l’individu dans le besoin aurait en travaillant397. Ceci est logique dans la mesure où, traditionnellement, les causes objectives

ouvrant le bénéfice de l’aide sociale révèlent une incapacité de travail398.

Force est de reconnaître que la différence est nette par rapport à l’appréciation des ressources réalisée par le juge civil.

Le caractère objectif de l’appréciation des ressources du créancier éventuel de l’aide sociale tend, en définitive, à affaiblir considérablement la portée de l’analyse faisant référence à la relativité qui était censée résulter d’une telle opération.

Aussi ne pouvons-nous suivre Monsieur Elie ALFANDARI lorsqu’il affirme que la

notion relative d’« insuffisance de ressources » a pris la place de la notion absolue d’« indigence » et que l’on est passé du besoin prouvé au besoin présumé, du besoin concret

au besoin abstrait, et du besoin particulier au besoin général399.

En réalité, la conception absolue du besoin continue à dominer le droit de l’aide sociale. Ceci est d’autant plus vrai que le droit de l’aide sociale met en scène une conception "minimaliste" du besoin, que vient d'ailleurs conforter le montant (faible) du revenu minimum d'insertion, de par le caractère subsidiaire et différentiel que présente cette allocation400.

En guise de conclusion, il faut souligner la conception individualiste du besoin qui est adoptée par le droit de l'aide sociale classique. Contrairement à l'obligation alimentaire de droit civil qui, comme on l'a vu, prend en considération les besoins du créancier alimentaires ainsi que ceux des personnes légalement à sa charge401, la seule situation de besoin dont tient

396 Décret n° 88-1111 du 12 décembre 1988. 397 M. BADEL, Thèse préc., p. 378.

398 Voir supra, p. 80.

399 E. ALFANDARI, « Droits alimentaires et droits successoraux », op. cit., p. 9. 400 M. BADEL, Thèse préc., pp. 380-381.

compte l'aide sociale est celle d'un individu402. L’aide qu’il doit à sa famille est en principe indifférente403.

Cette tradition individualiste de l’aide sociale404, parfois critiquée au prétexte qu’elle

méconnaîtrait la réalité405, découle logiquement de la prise en considération de l’état de besoin dans le droit de l’aide sociale et de la notion de circonstance exceptionnelle qui lui est attachée. Au surplus, elle tend à considérer l’individu comme cellule de base de la société, conformément à l’idée de solidarité sociale, et non point la famille406, ce qui a pour effet de

favoriser l’autonomie de l’individu par rapport au groupe familial.

On soulignera cependant l’approche nouvelle dessinée par le revenu minimum d’insertion407. Le montant de la prestation est en effet majoré en fonction de la composition

du foyer408 (art. 3, loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988). Cette spécificité s’explique par les

caractères subsidiaire et différentiel de cette allocation qui vient ainsi augmenter les prestations répondant à des besoins particuliers.

Cette nuance ne saurait toutefois dissimuler l’essentiel : la mesure du besoin est différente en droit civil et en droit de l’aide sociale. La mesure du besoin dans les obligations alimentaires familiales et dans l’aide sociale fait apparaître deux méthodes d’évaluation et, par delà, deux conceptions du besoin : l’une, subjective, et l’autre, objective. Ou, si l’on préfère, l’une, relative, et l’autre, absolue.

Afin de justifier cette opposition entre le droit civil et le droit de l’aide sociale, Monsieur Jean PELISSIER a insisté sur la personnalité des débiteurs et créanciers d’aliments mis en présence.

402 M. BADEL, Thèse préc., p. 382.

403 E. ALFANDARI, Action et aide sociales, op. cit., n° 25, p. 44.

404 Rares sont en effet les exceptions à ce principe. On peut citer toutefois le cas de l’aide à l’hébergement et à la réadaptation sociale (art. 185 C. fam. aide soc.), mais, dans cette hypothèse, le besoin individuel ne s’efface pas pour autant derrière le besoin familial.

405 E. ALFANDARI, Action et aide sociales, op. cit., n° 25, p. 45.

406 Contrairement à l’idée que défendaient les auteurs du Code civil, lesquels n’hésitaient pas à affirmer que « les familles sont la pépinière de l’Etat », que la famille est « la source et la base de la grande société civile », et donc « le berceau de l’Etat », que « les familles forment l’Etat » ou, enfin, que « toute société se compose nécessairement d’une agrégation de familles ». Cité par R. THERY, « Trois conceptions de la famille dans notre droit », op. cit.

407 Sur ce point, voir : M. BADEL, Thèse préc., pp. 383-385.

408 On remarquera que la notion de foyer est a priori plus large que celle de famille. Cette notion est d’ailleurs cernée à l’aide d’une notion classique : celle de personnes à charge. Seront considérées comme telles « les enfants ouvrant droit aux prestations familiales » et « les autres personnes de moins de vingt-cinq ans à condition, lorsqu’elles sont arrivées au foyer après leur dix-septième anniversaire, d’avoir avec le bénéficiaire ou son conjoint ou son concubin un lien de parenté jusqu’au quatrième degré inclus » (art. 2, Décret n° 88-1111 du 12 décembre 1988). Tout en cherchant à éviter la formation de foyers sauvages dictée par une communion d’intérêts, le législateur se démarque de la famille, telle que le droit civil l’appréhende par la notion de personnes

L’aide sociale se présente comme une aide de la collectivité destinée à une multitude de créanciers potentiels. Pour faire face à sa mission, l’aide sociale doit recourir à une notion unitaire du besoin. Il s’agit là d’une manifestation de la règle de l’égalité des citoyens devant les avantages, comme devant les charges publiques409. C’est ainsi par la force même des choses que l’aide revêt un caractère objectif.

Selon cet auteur, l’aide familiale suppose, au contraire, un lien personnel étroit entre deux individus « qui impose, sinon une équivalence de situation, du moins un certain rapprochement de situation ». Il ne convient plus alors de comparer les besoins d’un individu à ceux d’autres individus afin qu’ils soient secourus également, mais bien de « déterminer le plus exactement possible la situation du créancier alimentaire par rapport à celle du débiteur »410. Dès lors, la situation ne peut être que subjective.

En somme, selon Monsieur Jean PELISSIER, c’est la différence des liens qui unissent la personne dans le besoin à sa famille et à la collectivité qui est à l’origine de ces divergences entre l’aide alimentaire familiale et l’aide sociale411. La fonction de la créance

alimentaire en droit de la famille n’est donc pas comparable, pour cette raison, à celle de la dette alimentaire exigible de la collectivité.

Mais cette analyse doit être poussée plus avant : ce sont, en réalité, les deux conceptions distinctes du lien de solidarité qui s’affrontent ici.

Car si l’une tente de tisser des relations de dépendance économique au sein de la famille en prenant en considération les liens d’affections qui sont censés exister entre deux de ses membres, l’autre se construit à partir d’une donnée objective : le fait d’interdépendance sociale.

Solidarité familiale et solidarité sociale n’ont ni la même origine, ni le même espace d’épanouissement, ni la même logique. Surtout, elles n’incarnent pas la même acception de l’idée de solidarité. Quoi de plus normal, d’ailleurs, puisque l’Etat et la famille sont deux entités distinctes. Ainsi peut-on adopter la formule de Jean-Jacques ROUSSEAU : « Quand il y aurait entre l’Etat et la famille autant de rapports que plusieurs auteurs le prétendent, il ne s’ensuivrait pas pour cela que les règles de conduite propres à l’une de ces deux sociétés fussent convenables à l’autre »412.

409 J. PELISSIER, Thèse préc., p. 167. 410 Ibid.

411 Ibid., p. 168.

412 J-J. ROUSSEAU, Discours sur l’économie politique, in Oeuvres complètes, Gallimard, « La Pléiade », t. III, Paris, p. 241.

Les deux constructions sont distinctes et ne reposent pas sur un même socle constitué par le lien d’affection et le sentiment de solidarité qui en résulte. L’idée de solidarité sociale n’a que faire d’un tel sentiment, comme nous l’avons vu. Elle s’impose plutôt comme un impératif assez proche, en définitive, de l’idée d’ordre public. C’est pourquoi il paraît vain d’invoquer l’intensité du sentiment de solidarité qui serait plus fort dans un cas que dans l’autre413.

Nous sommes donc en présence d’une dualité des obligations alimentaires solidaires.

Quoi qu’il en soit, lorsque le besoin s’est manifesté et qu’il apparaît susceptible d’être mesuré afin qu’une aide puisse secourir l’individu qui subit ce manque, la vocation aux aliments se transformera automatiquement en droit exigible414. Il ne suffira plus que de

constater l’existence de ce droit.

La double vocation aux aliments devrait ainsi logiquement donner naissance à deux droits exigibles : l’un, à l’encontre de la Communauté, l’autre, à l’encontre d’un ou plusieurs membres du groupe familial.

Pourtant, il n’en est rien. Car une hiérarchie existe entre les obligations alimentaires familiales et l’aide sociale, en vertu du principe de subsidiarité de l’obligation alimentaire de la collectivité publique.

L’obligation alimentaire civiliste se retrouve, par voie de conséquence, au cœur de l’aide sociale. C’est ce qu’il convient, à présent, d’étudier.

413 Pour un avis contraire : J. PELISSIER, Thèse préc., pp. 12 et 15. 414 J. PELISSIER, Thèse préc., pp. 175-180.

DEUXIEME PARTIE

L’OBLIGATION ALIMENTAIRE AU CŒUR DE

L’AIDE SOCIALE

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 94-102)

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