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La perte de la vocation aux aliments concernant l’aide sociale

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 68-71)

SECTION II. LA VOCATION AUX ALIMENTS

B. La perte de la vocation aux aliments concernant l’aide sociale

La faute susceptible d'être réalisée à l'encontre de la collectivité n'appelle pas la même réponse que celle qui prévaut en matière de droit de la famille. Le maintien du droit alimentaire apparaît en ce cas « beaucoup plus acceptable »266. Mais quelle en est la raison profonde ?

Plusieurs arguments militent en faveur de la persistance du droit aux aliments.

Tout d'abord, il n'existe pas de texte qui prononce la déchéance du créancier coupable. Or, comme le droit de l'aide sociale présente un caractère étroitement réglementaire et que les textes ne prévoient aucunement une condition de moralité, l'aide sociale ne peut être refusée à celui qui aurait commis une faute contre le groupe social.

D'autre part, la collectivité a tout pouvoir de sanctionner une infraction commise à l'encontre des règles qu'elle a choisies d'adopter. On ne voit donc pas pourquoi, dans une société démocratique où la peine de mort a été abolie, il lui serait loisible de laisser mourir un individu par manque de nourriture ou de soins267.

L'aide sociale est en effet subsidiaire à l'obligation alimentaire familiale : si l'individu se trouve dans l'impossibilité de faire valoir des créances alimentaires familiales et que l'aide sociale lui retire toute vocation aux aliments en son sein, il ne pourra trouver de secours que dans la charité.

Mais si ces arguments semblent incontournables et fondés, la véritable justification relève de la conception de la solidarité sociale telle qu'elle a été élaborée au cours de l'histoire. Le fait d'interdépendance sociale qui induit l'idée de solidarité sociale implique de lutter, notamment par l'octroi de l'aide sociale, contre ce risque mutuel qu'est le mal social. En raison du type de causalité, multiple et diffuse, qu'il implique, le mal social entraîne un type de responsabilité spécifique. Ainsi, comme le précise Monsieur François EWALD, « l’idée de responsabilité individuelle perd son sens ; la responsabilité ne saurait plus être que collective

donnée morale dans une matière que l’on pouvait entièrement déterminée ou, au moins dominée par des facteurs économiques (besoins, ressources) » (G. CORNU, op. cit., n° 122, p. 186).

266 J. PELISSIER, Thèse préc., p. 145. 267 Ibid.

et sociale. Le siège des obligations passe de l’individu à la totalité des solidarités dont il dépend, c’est-à-dire la société »268. D’individuelle, en droit de la famille, la responsabilité

devient alors collective269. Et la perte de la vocation aux aliments pour celui qui a commis une faute contre la collectivité sociale ne se justifie plus.

Ceci explique, en particulier, que certains individus, considérés asociaux ou

antisociaux, parce qu'ils rejettent implicitement ou explicitement « la loi de la solidarité »270, ne perdront pas leur vocation à bénéficier des prestations d'aide sociale271. Les détenus, par exemple, se verront ainsi reconnaître une qualité et un accès au soins « équivalent à ceux offerts à l’ensemble de la population »272.

Il faut donc admettre que toutes les personnes continuent à bénéficier de la vocation aux aliments, dans le cadre de la solidarité sociale, quand bien même une faute leur serait reprochée à l’égard de la collectivité273.

On déplorera toutefois que cette vocation n’apparaisse parfois qu’illusoire, en particulier pour les Sans-Domicile-Fixe. Car si aucune exclusion n’est inscrite juridiquement dans les textes, nul doute qu’une personne sans adresse ne peut se voir communiquer aucun courrier par lequel elle obtient ou prolonge son droit au R.M.I., par exemple. De fait, l’exercice de sa vocation à bénéficier de cette allocation s’avère difficile, voire impossible274.

Les vocations aux aliments qui résultent de la solidarité familiale et de la solidarité sociale se distinguent donc fortement, confirmant ainsi l’autonomie respective de l’idée de solidarité qui est à l’œuvre dans chacune des variantes de cet impératif d’ordre moral.

268 F. EWALD, L’Etat providence, op. cit., p. 364.

269 Idée que réfutent bien évidemment les auteurs « libertariens » qui mettent en avant la responsabilité individuelle : « un individu est et ne peut être tenu pour responsable que de ce qui est du ressort de son pouvoir de décision et d’action, auquel échappe ce qui appartient au pouvoir équivalent d’autrui », A. LAURENT,

Solidaire, si je le veux, op. cit., p. 207. En réalité, ce courant de pensée anarco-capitaliste nie toute éventualité

d’équilibre entre "le collectif" et "l'individuel".

270 L’expression est empruntée à Monsieur Jean PELISSIER, Thèse préc., p. 145. En effet, un constat banal et évident consiste à reconnaître que, dans une société, les individus sont amenés à "vivre ensemble". Qu'on le déplore ou qu'on s'en réjouisse, la réalité est là. C'est le fait d'interdépendance sociale. Les hommes ont donc été conduits à établir des règles rendant cette proximité à tout le moins supportable et vivable. Ces règles peuvent ainsi être englobées dans la dénomination de "loi de solidarité".

271 Voir aussi supra.

272 Circ. DH n° 45, 8 déc. 1994. Sur ce point, voir notamment : La santé en prison : un enjeu de santé publique, RFAS 1997-1, n° spécial ; M. BORGETTO et R. LAFORE, op. cit., n° 407, p. 340.

273 Sur la question du non-respect du contrat d’insertion par le bénéficiaire du R.M.I., voir infra.

274 Sur ce point, voir : M. BRESSON, Sans-adresse-fixe. Sans-domicile-fixe, RFAS, 1995, n° 2-3, p. 79 ; P. HASSENTEUFEL, « Exclusion sociale et citoyenneté », in Citoyenneté et société, Cahiers français, n° 281, mai-juin 1997, p. 52.

Les approches du lien de solidarité dans le droit de la famille et dans le droit de l’aide sociale s’avèrent même relativement antagonistes. Le droit de la famille, dans la construction de la vocation aux aliments qu’il réalise, crée un réseau de droits et de devoirs, en s’attachant à suivre la conception qu’il se fait du sentiment de solidarité et de son intensité au sein de la famille. Le droit de l’aide sociale, par contre, se construit sur la base d’un constat objectif qui résulte de l’interdépendance entre les membres du groupe social. Il élabore une loi de solidarité entre eux et lui donne un contenu concret.

En un mot, sur le plan juridique275, la solidarité familiale tend à suivre le sentiment de solidarité276, alors que la solidarité sociale a pour objet de l’objectiver et de le précéder –

au besoin en l’imposant comme une nécessité sociale.

Lorsque les personnes qui ont cette double vocation aux aliments se trouveront dans un état de besoin, la solidarité qui jusqu’alors n’existait qu’à l’état latent sera amenée à s’exprimer. Car le droit aux aliments est bien « l’expression juridique de la solidarité »277.

275 Il ne s’agit pas en effet de sous-estimer la réalité des expressions spontanées de solidarité qui se manifestent tant sur le plan social que sur le plan familial.

276 N’est-ce d’ailleurs pas le signe du changement de la fonction familiale ? La famille n’apparaît plus comme une institution mais comme un réseau relationnel. Un phénomène croissant de psychologisation et de sentimentalisation du phénomène familial a entraîné, semble-t-il, une profonde redéfinition de la famille, perçue désormais comme un « réseau de relations affectives et de solidarités ». L’idée dominante étant celle d’intersubjectivité, la famille peut dès lors être pensée comme « l’espace privilégié de la solidarité naturelle ». Voir : I. THERY, « Différences des sexes et différence des générations. L’institution familiale en déshérence, Esprit », déc. 1996, pp. 65 et s.

CHAPITRE II. L’EXPRESSION JURIDIQUE DE LA

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