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Les autres justifications proposées

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 36-40)

SECTION I. LE FONDEMENT THEORIQUE DU DROIT AUX ALIMENTS

B. Les autres justifications proposées

La justification théorique qui met l’accent sur le seul intérêt de l’individu étant restée, somme toute, relativement isolée, il semble opportun d’étudier les autres justifications du droit aux aliments qui ont été proposées et qui se distinguent de l’idée de solidarité. Pour ce faire, nous distinguerons celles relatives à l’obligation alimentaire familiale (1) de celles qui concernent l’aide sociale (2).

1/ Les justifications proposées pour l’obligation alimentaire familiale

La place de l’obligation alimentaire familiale dans le Code civil, dans le chapitre « Des obligations qui naissent du mariage », semble lui donner pour fondement unique le mariage102. Une telle conception103 doit être immédiatement rejetée, car elle conduit à méconnaître toute obligation alimentaire au sein de la famille naturelle qui ne repose pas sur l’institution du mariage mais sur la procréation104.

Le fondement susceptible d’être tiré de la procréation doit subir le même sort, puisque ne permettant d’appréhender ni l’obligation alimentaire entre époux qui, en vertu de l’article 212 du Code civil, se doivent mutuellement secours et assistance, ni celle qui existe entre alliés, dans les termes prévus à l’article 206 du Code civil, ni même celle qui existe en cas d’adoption plénière, par application de l’article 358 du Code civil, ou, dans une moindre mesure, en cas d’adoption simple (art. 367 et 368 C. civ.)105.

En réalité, l’obligation alimentaire, telle que définie par les articles 205 et suivants du Code civil, se présente comme l’un des effets des relations familiales, procédant elles-mêmes de la parenté et de l’alliance. Ceci permet de distinguer l’obligation alimentaire simple d’autres obligations alimentaires dites spécifiques, car elles sont fondées sur une institution

102 On soulignera le fait significatif que le projet de loi « relatif à l’état civil, à la famille et aux droits de l’enfant et instituant le juge aux affaires familiales », adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 15 mai 1992, avait prévu l’insertion dans le Code civil d’un titre IVbis intitulé « De l’obligation alimentaire ».

103 Cette conception a été notamment défendue par A. BRETON dans sa préface à la thèse de F. DERRIDA, op.

cit., p. 46.

104 E. ALFANDARI, Thèse préc., t. I, p. 22, n° 19. 105 Voir infra.

particulière. Ainsi en va-t-il, par exemple, du devoir de secours entre époux (art. 212 C. civ.), dérivant directement du mariage, et de l’obligation des père et mère de nourrir, entretenir et élever leurs enfants (art. 203 C. civ.), exclusivement fondée sur la filiation et la procréation106 et concernant, en principe, des mineurs.

L’obligation alimentaire correspond donc à un lien de famille. Il en résulte que son véritable fondement s’appuie sur l’idée de solidarité familiale.

Mais avant d’étudier ce fondement, il convient de rechercher les justifications théoriques de l’aide sociale, autres que celle fondée sur l’intérêt de l’individu, afin de s’en remettre, là aussi, à l’idée solidaire.

2/ Les justifications proposées pour l’aide sociale

Recherchant les fondements de l’aide sociale, les auteurs semblent s’être très tôt accordés à penser que l’origine de l’obligation publique devait être recherchée dans les principes politiques107. C’est ainsi que certains auteurs ont défendu l’idée que la « justice réparative » était le fondement de l’aide sociale. C’est aussi et surtout la raison pour laquelle le thème de la défense de la société ou de l’ordre établi a toujours été utilisé comme argument pour justifier l’aide sociale108.

Selon une première conception, l’aide sociale serait une mesure de réparation. Cette thèse justifie l’idée d’une indemnité qui serait à la charge de la collectivité publique, par le fait que l’indigence ne serait que la résultante d’un ordre social injuste109.

Si la thématique de la "machine à produire de l’exclusion", selon l’expression consacrée, ne manque pas de trouver quelques échos dans l’opinion publique, il n’en reste pas moins délicat, sur le plan juridique, de définir la faute, génératrice de dommage, dont la responsabilité incomberait au Pouvoir exécutif... Comme le souligne Monsieur Elie ALFANDARI, « cela ressemble plus à un "cri de guerre" qu’à une affirmation juridique »110.

106 Sur le fondement de l’obligation d’entretien, voir, par exemple : D. EVERAERT, L’obligation alimentaire.

Essai sur les relations de dépendance économique au sein de la famille, Thèse Lille, 1992, t. II, pp. 495-502.

107 E. ALFANDARI, Thèse préc., t. 1, n° 25, p. 30. 108 M. BORGETTO et R. LAFORE, op. cit., n° 32, p. 26.

109 Ainsi deux auteurs situent-ils, en 1954, la réforme de l’assistance à une époque où « l’homme est de moins en moins maître de son destin en raison des circonstances économiques et surtout des dévaluations monétaires à la suite desquelles de nombreuses personnes ont vu leurs ressources s’amenuiser fortement, sinon disparaître ». A. RAUZY et S. PICQUENARD, La législation de l’aide sociale, Berger-Levrault, Paris, 1955, p. 40.

Une deuxième conception, mettant l’accent sur la défense de la société, a donné naissance à deux thèses qui s’inscrivent dans cette optique.

Selon une première thèse, c’est l’intérêt général ou l’utilité collective qui justifierait l’aide sociale111. La collectivité publique tirerait profit de l’aide qu’elle distribue, réalisant en

quelque sorte un investissement pour l’avenir.

Si cette thèse peut trouver à s’appliquer pour ce qui est de l’aide médicale ou de l’aide à l’enfance abandonnée, il est indéniable qu’elle se heurte à un obstacle en ce qui concerne les personnes âgées – surtout si elles sont considérées « dépendantes » – ou les personnes handicapées. Les priverait-on d’une aide s’il s’avérait que le coût est plus avéré que le profit ? On mesure bien les dangers d’une telle conception. A moins, bien sûr, que l’on ne précise, en ce domaine, les contours de la notion d’intérêt général ...

Selon une deuxième thèse, le fondement de l’aide sociale est l’ordre public. L’obligation alimentaire de la collectivité publique n’a comme seule vocation que d’éviter à la société les dangers du paupérisme : elle apparaît, par conséquent, comme une mesure de « défense sociale », une mesure de police112.

Cette thèse qui a pour elle le poids de l’histoire, met en avant un objectif clair : il s’agit tant d’éviter les haines et rancœurs sociales dues à un sentiment d’injustice et d’abandon, que de réduire le vagabondage et la mendicité, en prévenant par là même la délinquance et la criminalité113. En un mot, il s’agit de sauvegarder la paix civile.

La notion d’ordre public a, bien entendu, vu son contenu évoluer au fil du temps : l’ordre public politique, policier et répressif a laissé place à un ordre public socio- économique114. Il serait néanmoins aventureux d’avancer que cette justification n’a plus aucune pertinence aujourd’hui115. Car qu’est ce que la recherche d’une nécessaire cohésion sociale, si ce n’est la volonté de maintenir ou de renforcer l’unité du corps social ? Cette unité

111 Voir sur cette théorie : M. BORGETTO et R. LAFORE, op. cit., n° 32, p. 26 ; E. ALFANDARI, Thèse préc., t. 1, n° 27, pp. 31-32.

112 E. ALFANDARI, Thèse préc., t. 1, n° 26, p. 30.

113 M. BORGETTO, La notion de fraternité en droit public français. Le passé, le présent et l’avenir de la

solidarité, LGDJ, Paris, 1993, pp. 421-422.

114 E. ALFANDARI, Action et aide sociales, op. cit., n° 41, p. 72.

115 Monsieur Amédée THEVENET fait, à juste titre, remarquer que la notion d’ordre public subsiste encore aujourd’hui, ne serait-ce que sous une forme atténuée. A. THEVENET, L’aide sociale en France, 6ème éd., coll. Que sais-je ?, PUF, 1994, p. 53.

serait-elle en danger qu’il ne serait plus possible de nier le caractère d’ordre public d’une intervention de l’Etat, fut-elle mise en œuvre par la voie de l’aide sociale.

C’est bien sur ce point qu’est formulée la principale critique à l’encontre de ce fondement : « une telle institution reviendrait à confondre l’élément qui caractérise, conditionne ou motive l’intervention des pouvoirs publics en matière d’aide sociale et l’élément qui justifie et fonde théoriquement cette même intervention »116. Si la doctrine

majoritaire reconnaît que l’aide sociale est d’ordre public, elle n’y voit là qu’un de ses caractères et non son fondement117.

Quand bien même la thèse de l’ordre public comme fondement possible de l’aide sociale ne fait pas figure de conception surannée, la thèse actuellement dominante invoque le principe de solidarité sociale comme fondement de l’aide sociale.

La solidarité semble donc devoir être invoquée comme fondement du droit aux aliments, qu’il s’agisse de l’obligation alimentaire du Code civil ou de l’aide sociale. De fait, il convient d’étudier ce lien qui fait les hommes solidaires118. Ce lien qui, apparemment,

fonde le droit aux aliments.

II. LA SOLIDARITE, FONDEMENT DU DROIT AUXALIMENTS

Pour exister, le lien de solidarité implique une interdépendance entre les membres d’un ensemble, ce dernier étant appréhendé comme un « tout ». La rupture de l’interdépendance conduit l’individu à ce que l’on appelle l’exclusion ou la « désaffiliation »119. Aussi bien la famille que la société constituent des réseaux liant les individus les uns aux autres. Cependant, les périmètres et les raisons d’être de ces deux

116 M. BORGETTO et R. LAFORE, op. cit., n° 32, p. 27. 117 Voir aussi : E. ALFANDARI, op. cit., n° 41, p. 73.

118 Cette formule, empruntée à la poésie, bien que peu juridique, nous semble néanmoins rendre assez bien compte de la réalité. En effet, le lien de solidarité ne rend pas les hommes solidaires, si ce n’est sur le plan juridique. C’est pourquoi il est préférable d’écrire qu’il fait les hommes solidaires. Il s’agit d’un état de fait auquel sont attachés des effets juridiques, et non d’une transformation, sur le plan moral ou psychologique, de l’homme.

119 Sur la notion de « désaffiliation » : R. CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique

ensembles ne se confondent pas. On oppose donc à un réseau dit « social » des réseaux de « sociabilité primaire », auxquels la famille s’apparente120.

En somme, bien que mettant toutes deux à l’œuvre l’idée de solidarité, la solidarité familiale (A) peut être distinguée de la solidarité sociale (B).

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 36-40)

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