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La notion de solidarité sociale

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 42-45)

SECTION I. LE FONDEMENT THEORIQUE DU DROIT AUX ALIMENTS

B. La solidarité sociale

1/ La notion de solidarité sociale

Devenue aujourd’hui l’un des maîtres mots de l’univers politique et juridique, l’idée de solidarité n’en est pas moins ancienne132. Celle-ci était en effet affirmée dès l’Antiquité par

les stoïciens et les épicuriens.

C’est cependant au début du XIXème siècle que les liens de dépendance réciproque

entre les hommes sont invoqués pour appuyer l’idée de solidarité, cherchant ainsi à lui donner une apparence "scientifique". Ainsi Pierre LEROUX n’hésitait-il pas à poser le fait d’interdépendance sociale et humaine comme l’un des fondements du devoir général de solidarité. Contribuant par la suite à l’essor de cette idée, Auguste COMTE allait, en particulier, souligner son importance au regard de la cohésion et de l’unité de la société, la considérant comme « la condition la plus essentielle de la vie sociale »133.

Avant même l’élaboration finale de la doctrine solidariste, quelques auteurs134,

cherchant à théoriser l’idée de solidarité, allaient en poser les principes fondamentaux. Ainsi en va-t-il, par exemple, de l’appréhension de la solidarité comme générateur de la cohésion sociale, de la recherche d’une conciliation entre l’individualisme libéral issu de la Révolution française et les exigences nouvelles de justice et de solidarité, de la conviction que la société pouvait être définie comme un organisme contractuel « qui se réalise en se concevant et en se voulant lui-même »135 ou encore du rôle éthique de la solidarité sociale comme matrice et finalité de la morale136.

Mais c'est Léon BOURGEOIS, membre du parti radical socialiste, qui va véritablement théoriser l'idée de solidarité, en expliquant qu'elle constitue la véritable clef du

132 Sur l'émergence et le développement de l'idée de solidarité, voir : M. BORGETTO, La notion de fraternité en

droit public français. Le passé, le présent et l'avenir de la solidarité, LGDJ, Paris, 1993, pp. 350-390 ; J.

DONZELOT, L'invention du social. Essai sur le déclin des passions politiques, Fayard, Paris, 1984, pp. 73-120. 133 A. COMTE, Cours de philosophie positive. Physique sociale, t. IV, Paris, 1839/1842, p. 478.

134 On citera, parmi eux, Charles RENOUVIER, Emile DURKHEIM et Alfred FOUILLEE. 135 A. FOUILLEE, La science sociale contemporaine, Paris, 1880, p. 115.

136 Selon F. EWALD, « La doctrine de la solidarité est essentiellement une doctrine morale (...). Il s’agit de formuler les règles d’une morale laïque, définitivement sécularisée, qui permettrait, en particulier, de justifier l’énoncé d’obligations positives à l’égard d’autrui. Il s’agit, en un mot, d’en finir avec le partage libéral des obligations et sa manière si restrictive de délimiter la compétence du droit », L’Etat providence, 1986, p. 358.

progrès de la société137. Celui-ci formula la doctrine du solidarisme138. Comme le précise un auteur, le solidarisme vise « à fournir un principe d’articulation entre les droits et les devoirs, entre la socialisation du pouvoir de l’Etat et le maintien de l’autorité dans la société »139.

Le postulat de départ, dans la doctrine solidariste, réside dans le fait naturel d’interdépendance et de solidarité sociale : « Il y a entre chacun des individus et tous les autres un lien nécessaire de solidarité »140. Dès lors, il s’agit de reconsidérer la définition des droits et des devoirs en partant de ce fait d’interdépendance et de solidarité sociale, en prenant en compte l’individu « dans la réalité de ses rapports avec son milieu, son temps »141. Or,

d’après Léon BOURGEOIS, « l’homme ne devient pas seulement au cours de sa vie le débiteur de ses contemporains ; dès le jour de sa naissance il est un obligé. L’homme naît débiteur de l’association humaine »142. Quiconque vit en société se trouve, en définitive,

titulaire d’une véritable dette envers celle-ci, dans la mesure où chaque membre de la société bénéficie des acquis de la civilisation. L’ordre à faire valoir dans l’opposition qui affecte les droits et les devoirs apparaît donc régi par le principe d’antériorité de la dette sur le droit143.

L’obligation de chacun d’acquitter sa dette semble dictée par l’idée de justice144.

Bien qu’étant tous soumis aux lois de la solidarité naturelle, les hommes n’en profitent pas de manière identique. La dette de chacun doit, par conséquent, être inégalement répartie, les plus favorisés ayant en fait une dette envers les plus démunis.

La question reste alors entière de savoir ce que chacun doit à l’autre ou ce que chacun doit se voir restituer par l’autre145. Face à cette difficulté, mais conscients des

avantages procurés par les solidarités, les hommes décident d’instituer une règle de répartition d’une richesse fondamentalement collective, et ce, afin que leur association perdure et que l’idée de justice trouve son plein épanouissement146.

Cet accord, dénommé « quasi-contrat », constitue la pierre angulaire de cette construction doctrinale. Il s’agit de s’accorder sur le fait que l’on fera comme si le jeu des

137 J. DONZELOT, op. cit., p. 107.

138 Sur la doctrine solidariste, voir notamment : M. BORGETTO, op. cit., pp. 363 et s. ; J. DONZELOT, op. cit., pp. 103 et s. ; F. EWALD, op. cit., pp. 358 et s. ; B. ENJOLRAS, « Fondements de la contrepartie et régimes de l’Etat providence », RFAS, 1996, n° 3, pp. 56-58.

139 J. DONZELOT, op. cit., p. 108.

140 L. BOURGEOIS, Solidarité, 1896, p. 15. 141 Ibid., pp. 37-38.

142 Ibid., p. 116.

143 J. DONZELOT, op. cit., p. 110.

144 « La justice est violée si les hommes nient les effets injustes de la solidarité naturelle et se refusent à la redresser », L. BOURGEOIS, Essai d’une philosophie de la solidarité, 1902, p. 16.

145 M. BORGETTO, op. cit., p. 366. 146 F. EWALD, op. cit., p. 369.

solidarités résultait d’un contrat147. Pour Léon BOURGEOIS, « le quasi-contrat n’est autre

chose que le contrat rétroactivement consenti »148. Il en résulte que le devoir social de solidarité correspond à une véritable obligation juridique qui, d’une part, institue une véritable obligation de payer et, d’autre part, permet à chacun de retrouver pleinement sa liberté, à partir du moment où il a acquitté sa dette149.

En réalité, comme l’a mis en évidence Monsieur François EWALD, l’économie des obligations que conçoit cette doctrine est liée à une certaine expérience du mal, que Léon BOURGEOIS appelle le mal social150. Afin de qualifier ce mal social, ce dernier recourt à la notion de « risque mutuel »151, mettant en lumière la source de ce mal : le rapport social. Le

mal social se présente sous la forme d’une double altérité : altérité, tout d’abord, du fait de la dépendance d’autrui et de l’« intolérable promiscuité » qui en résulte, altérité, ensuite, de chacun par rapport à soi même, sous la forme d’une ignorance ou d’une inconscience.

Lutter contre le mal social ne peut ainsi être qu’un combat commun avec les autres152. Cela fait de ce combat une tâche de « défense sociale »153. Ces maux sociaux étant

présentés comme inhérents à la vie en société, c’est la responsabilité de la société ou de la puissance publique qui doit être engagée.

Que ne voit-on donc apparaître subrepticement derrière l’idée de solidarité sociale ? Ne serait-ce pas la notion d’ordre public, précédemment étudiée comme fondement possible du droit de l’aide sociale154 ?

Quelles que soient les critiques et insuffisances susceptibles d’être opposées à la doctrine solidariste155, il faut reconnaître que celle-ci a été à l’origine du principe de solidarité

147 Ibid. Voir aussi : M. DAVID, La solidarité comme contrat et comme éthique, Berger Levrault, Genève, 1982, pp. 27-28.

148 L. BOURGEOIS, Solidarité, op. cit., p. 61.

149 « Le devoir social n’est pas une pure obligation de conscience, c’est une obligation fondée en droit, à l’exécution de laquelle on ne peut se dérober » (L. BOURGEOIS, Solidarité, op. cit., p. 65).

150 F. EWALD, op. cit., pp. 359-363.

« Les maux sociaux sont ceux dont la cause n’est pas due seulement aux fautes personnelles de l’individu, mais à la faute ou à l’ignorance de tous. Les maux sociaux sont ceux dont les effets ne se produisent pas seulement sur l’individu, mais ont autour de lui une répercussion inévitable sur tous les autres membres de la société ; les maux sociaux sont ceux dont les causes et les effets sont plus hauts, plus larges, plus étendus que l’individu lui-même et où, par conséquent, la responsabilité de la nation entière est constamment engagée » (L. BOURGEOIS, La

politique de la prévoyance sociale, Paris, 1914, t. I, p. 42).

151 F. EWALD, op. cit., p. 361.

152 Selon la formule de F. EWALD, « la quête de mon propre bien m’oblige à vouloir celui des autres », Ibid. 153 Ibid., p. 363.

154 Voir supra.

155 Pour des positions critiques à l’égard de la doctrine solidariste, voir notamment : A. LAURENT, Solidaire, si

je le veux, 1991, spéc. pp. 40-48 ; N. OLSZAK, « L’utilisation politique du droit des obligations dans la pensée

sociale et a contribué à sa consécration sur le plan législatif, en particulier dans le domaine de l’assistance publique156.

On soulignera, par ailleurs, le sensible regain d’intérêt que suscite cette doctrine dans la période récente. Celui-ci s’inscrit, semble-t-il, dans le cadre de la réflexion contemporaine sur la notion de contrepartie qui est au cœur des systèmes de protection sociale157. Après tout,

le droit à l’insertion que Pierre ROSANVALLON appelle de ses vœux158 ne s’inspire-t-il pas

du solidarisme, en renversant son principe ? En effet, si le principe de solidarité mis en avant par les Solidaristes considère comme première la dette des individus envers la société, le droit à l’insertion insiste préalablement sur la dette de la société159. Cette analyse résulterait, en

partie, de la conception moderne de la solidarité, telle qu’elle a été abordée avec la mise en place du revenu minimum d’insertion. Le droit à l’insertion viendrait, de manière significative, se substituer, comme principe de cohésion sociale, à la morale collective solidariste160.

Le droit de l’aide sociale trouverait son fondement dans le principe de solidarité sociale. Il s’agit, à présent, de vérifier la pertinence de cette thèse qui aujourd’hui la plus répandue.

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