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La référence à l’état de besoin

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 75-79)

SECTION I. LA SURVENANCE DU BESOIN

A. Dans le domaine des obligations alimentaires familiales

2/ La référence à l’état de besoin

Seule la constatation d'un "état de besoin", au sens strict, ouvre un droit aux aliments dans le cadre du cercle familial élargi294. Il reste cependant à cerner ce que recouvre cette notion.

Si l'état de besoin implique nécessairement un sentiment de manque de la part de celui qui le subit, la relativité de ce sentiment qui existe aussi, le plus souvent, face aux besoins liés à la vie sociale, commande de préciser l'objet de ce besoin.

La formule tout à fait générale de l'article 208 du Code civil (« Les aliments ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame, et de la fortune de celui qui les doit ») a amené la Cour de cassation à préciser ce qu’il fallait entendre par aliments : il s’agit de « tout ce qui est nécessaire à la vie »295.

Par conséquent, selon la formule de Monsieur Elie ALFANDARI, « l’état de besoin, pour le juriste, s’entend de l’état de celui qui manque des éléments essentiels à son existence »296. Mais quels sont ces besoins essentiels ? Faut-il entendre par là les besoins nés de la nature ?

On ne saurait évidemment se contenter d’une telle conception qui ne prendrait en considération que le minimum physiologique et non le minimum vital défini dans une société donnée. Ce qui est vital dépasse ce qui est physiologiquement indispensable. C’est alors le groupe social qui fixera tant la hiérarchie à donner aux besoins que le minimum qui se doit d’être satisfait297. On a ainsi proposer de qualifier de tels besoins de "besoins-obligations", par

opposition aux "besoins-aspirations"298. Il s'agira, en définitive, de « ce que l’on ne peut éviter de satisfaire pour permettre aux hommes de survivre dans une société donnée »299. Les

1987, p. 1413 ; L. PEYREFITTE, « Considérations sur la règle : « Aliments ne s’arréragent pas » », RTD civ., 1968, p. 286.

294 Il faut que le besoin soit actuel. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle rejeté le pourvoi d’une personne âgée formé contre un arrêt d’appel qui l’avait déboutée de sa demande de pension à l’égard de ses petits-enfants dans la perspective du recours à un placement familial, au motif que « la demande, qui n’était fondée que sur le coût d’un tel placement était prématurée ». Cass. 1ère civ., 28 fév. 1995, Lexis, pourvoi n° 94-14.306, arrêt n° 415. 295 Cass. civ., 28 fév. 1938, D.H., 1938, p. 241 ; S., 1938, I, p. 148.

296 E. ALFANDARI, Thèse préc., t. II, n° 172, p. 43. 297 J. FREUND, op. cit., p. 37.

298 D. EVERAERT, op. cit., t. I, pp. 288 et s.

besoins nécessaires à la vie s’entendront aussi bien des besoins biologiques que de certains besoins sociaux. Il s'agira des besoins nécessaires à la vie du créancier alimentaire mais

également à celles des personnes qui sont légalement à sa charge300.

Contrairement à ce qu’implique la référence au maintien du train de vie, l’existence de l’état de besoin devra en principe établie sur des bases objectives. Ceci s’explique par l’esprit même des dispositions du Code civil qui, en instituant ces obligations alimentaires simples, établissent, en réalité, « un dispositif de détresse, un secours en réponse à une épreuve »301. Et s’il n’est écrit nulle part que les aliments se réduisent au minimum vital, il

faut bien constater qu’à l’expérience, ils en sont réduits à « la base calculée au plus juste d’une économie de subsistance »302. En un mot, il s’agira des besoins considérés par le groupe

social comme vitaux303.

Les besoins dont le créancier d’aliments peut obtenir satisfaction sont tous ceux qui sont nécessaires à sa vie et à celle des personnes qui sont légalement à sa charge304 : ils

couvrent donc non seulement les frais de nourriture, mais également les frais de logement, de chauffage, de vêtements ainsi que les frais de médicaments et de soins305, voire même les frais funéraires306. Il ne saurait cependant être question de prétendre dresser une liste exhaustive de ce que recouvre la notion d’aliments car, comme le souligne Monsieur Alain SAYAG à propos du besoin, « la nécessité d’apprécier le besoin in concreto interdit (...), en toute rigueur, d’établir une liste normative des besoins avec des critères d’appréciation correspondants »307.

300 A. BENABENT, op. cit., n° 653, p. 566 ; C. COLOMBET, La famille, PUF, Paris, 1994, n° 184, p. 233 ; G. CORNU, op. cit., n° 129, p. 194 ; J. PELISSIER, Thèse préc., pp. 159-160 ; F. TERRE et D. FENOUILLET,

op. cit., n° 307, p. 245.

301 G. CORNU, op. cit., n° 119, p. 183. 302 Ibid., n° 125, p. 190.

303 J. PELISSIER, Thèse préc., p. 157. La question de savoir si les frais d’éducation sont considérés ou non comme des besoins vitaux reste délicate mais d’une grande importance dans la mesure où les grands-parents, par exemple, ne sont pas tenus d’une obligation d’entretien. Sur ce point, voir : G. CORNU, op. cit., n° 125, pp. 189- 190 et la note 29 ; J. HAUSER et D. HUET-WEILLER, op. cit., n° 1358, p. 907 ; J. PELISSIER, Thèse préc., pp. 158-159. Ce dernier regrette la conception étroite de la notion de besoin vital qu’adopte parfois la jurisprudence, en particulier en ce qui concerne le refus de cette qualification au besoin d’éducation : « En décidant que l’éducation n’est pas un besoin vital, nos juges estiment que l’essentiel pour un enfant est de prendre du poids, et d’avoir bel aspect. On croirait presque qu’ils ont subi l’influence des concours de beauté, et qu’ils préfèrent voir les jeunes Français, obtenir des titres d’Apollon plutôt que des titres universitaires. (...) Ceci est inadmissible. Les besoins de l’esprit sont, au même titre que ceux du corps, des besoins vitaux ».

304 A. BENABENT, op. cit., n° 653, p. 566.

305 Cass. civ., 28 fév. 1938, D.H., 1938, p. 241 : « il faut entendre par "aliments" tout ce qui est nécessaire à la vie, notamment les soins médicaux ».

306 Cass. 1ère civ., 14 mai 1992, D. 1992, I.R., p. 205. On ne manquera pas de s’étonner de l’assimilation des nécessités de la mort aux besoins de la vie ...

Il apparaît néanmoins que l’état de besoin correspond à un état de privation qui entraîne l’insatisfaction des besoins nécessaires à la vie. Il n’est pourtant pas certain qu’une telle définition rende pleinement compte de la réalité. Monsieur Elie ALFANDARI a ainsi estimé qu’en matière d’aliments, l’insuffisance de ressources ne devait pas être un état normal, mais le résultat de circonstances exceptionnelles308.

Selon la définition du besoin donnée par le Conseiller DENIS, le besoin est « l’impossibilité de faire face avec ses propres ressources aux nécessités de la vie »309. L’état de besoin n’est alors constitué que s’il ressort d’une incapacité personnelle de pourvoir à de telles nécessités, c’est-à-dire d’un « défaut de moyens »310.

S’il peut subvenir lui-même à ses besoins, l’individu ne pourra faire appel à autrui. Par contre, si cela lui est impossible, il le pourra et ce, quelles que soient les fautes passées qui pourtant se révèlent être la cause de son indigence. Il importe donc peu qu’il soit réduit à la misère en raison de sa débauche, son gaspillage, sa passion du jeu, son surendettement, etc. Par contre, même à défaut de revenus actuels suffisants, le réclamant n’est pas dans le besoin si sa capacité de travail peut lui permettre de « se débrouiller »311. Comme l’affirme Monsieur Philippe MALAURIE, « la solidarité familiale ne doit pas être une prime à la paresse »312.

L’exigence de circonstances exceptionnelles s’inscrit dans le courant de pensée qui veut que l’individu doive d’abord se procurer ses ressources par son travail313.

Un arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 25 juin 1996 apparaît, à cet égard, particulièrement intéressant314. L’enfant d’une trentaine d’années qui réclamait pension à ses parents était titulaire d’un BEP d’horticulteur et embauché par la ville de Rennes, mais avait été révoqué de ses fonctions pour absences injustifiées et abandon de

308 E. ALFANDARI, Thèse préc., t. II, n° 173, p. 45.

309 Rapport du Conseiller DENIS, D. 1898, I, p. 303, sous Cass. 23 fév. 1898. 310 G. CORNU, op. cit., n° 129, p. 194.

311 Ibid.

312 P. MALAURIE, op. cit., n° 844, p. 490. Dans le même sens, voir par exemple : J. CARBONNIER, Droit civil, t. 2, PUF, 17ème éd., Paris, 1994, p. 578 ; G. CORNU, op. cit., n° 129, p. 194. Aussi Monsieur Jean PELISSIER ajoute-t-il que « la solidarité ne consiste pas à favoriser les vices de ses proches », Thèse préc., p. 136.

313 Ainsi la Cour d’appel de Versailles affirme-t-elle dans un attendu de principe : « c’est d’abord par son travail que l’individu doit se procurer les ressources nécessaires » (C. d’appel Versailles, 15 juin 1987, D. 1987, I.R., p. 175).

314 Cass. 1ère civ., 25 juin 1996, Lexis, arrêt n° 1257, pourvois n° 94-17.619, n° 94-17.773 ; D. 1997, p. 456, note D. BOURGAULT-COUDEYVILLE ; J. HAUSER, « Obligation alimentaire : l’obligation vertueuse du créancier », RTD civ. 1996, pp. 389-390.

poste. Sans doute déçu par le travail, il s’était ensuite soigneusement garder de toute recherche, s’abstenant volontairement de retirer des lettres recommandées formalisant des perspectives d’embauche, et réservant même une fin de non-recevoir à une offre d’emploi correspondant à sa qualification dans une commune proche du domicile. Le pourvoi est rejeté et la Cour relève que les juges du fond ont pu déduire que « la situation d’impécuniosité dont tentait de se prévaloir Y. M. pour obtenir des aliments lui était essentiellement imputable ».

L’exigence de circonstances exceptionnelles tend donc à poser la question des obligations pesant sur le créancier d’une obligation alimentaire. Comme le souligne Monsieur Jean HAUSER, « certes, dans certains cas particuliers, elles peuvent être très ciblées, ainsi de l’obligation de poursuivre régulièrement ses études pour l’enfant majeur bénéficiaire d’une obligation d’entretien, mais dans tous les autres cas, on retombe sur une obligation au travail autant que possible »315. Comme le suggère cet auteur, on peut voir dans cette exigence une

« obligation vertueuse » pesant sur le créancier d’aliments qui permettrait, le cas échéant, de lui reprocher non pas une faute passée, mais une faute actuelle 316.

Il apparaît toutefois difficile d’évaluer la portée de cette « obligation », dans la mesure où la jurisprudence n’est pas très fournie en la matière317. En réalité, une telle

exigence, si elle se justifie par la volonté de responsabiliser les membres de la famille, aboutirait à mettre à la charge de la collectivité ces indigents "fautifs". Il n’est donc pas exclu que cette raison conduise le juge à appliquer cette exigence avec une certaine modération318. Ceci pourrait expliquer la rareté des décisions en la matière319.

315 J. HAUSER, « Obligation alimentaire : l’obligation vertueuse du créancier », op. cit., p. 890.

316 Voir aussi : Req. 7 juil. 1863, D. 1863, 1, 400 (« L’état de dénuement où P. X prétend se trouver a pour cause principale son instabilité dans les divers emplois qu’il a occupés, ses habitudes de désordre et d’oisiveté, sa répugnance à s’employer utilement pour lui-même ; il était en âge et en état de se suffire à lui-même ») ; Cass. 1ère civ., 19 juin 1979, Gaz. Pal., 1979, 2, Pan., p. 474 (les troubles dont se plaignait une fille pour réclamer des aliments à ses père et mère n’étaient pas tels qu’ils puissent l’empêcher d’effectuer un travail normal).

317 Selon Monsieur Claude COLOMBET, cette hypothèse ne viserait que le cas de l’« oisif volontaire ». C. COLOMBET, op. cit., n° 184, p. 233. Toute la difficulté consistera alors à distinguer l’oisif volontaire de l’oisif involontaire...

318 Monsieur Gérard CORNU estime, pour sa part, qu’il serait raisonnable « d’admettre qu’une faute prive du droit de réclamer, quand elle laisse ouverte une chance d’autonomie (mais non quand elle a produit une incapacité irréversible) ». G. CORNU, op. cit., n° 129, p. 195.

319 Il convient néanmoins de rester attentif à l’évolution de la jurisprudence sur la question d’une « obligation au

travail », à une époque où des voix de plus en plus nombreuses se font entendre pour réclamer une

« obligation d’insertion » à la charge du titulaire du revenu minimum d’insertion, en contrepartie de son droit à obtenir l’allocation. L’une pourrait bien être la sœur jumelle de l’autre...

Quoi qu’il en soit, l’état de besoin apparaît, au terme de ces développements, comme le manque de ressources – consécutif, en principe, à des circonstances exceptionnelles – qui empêche l’individu de satisfaire à ses besoins essentiels320.

La mise en parallèle des références au maintien du train de vie et à l’état de besoin met en évidence la différence de degré qui existe entre les deux types d’obligations alimentaires qu’elles caractérisent. Alors que, dans un cas, une simple différence de niveaux de vie suffira à mettre en jeu l’obligation, dans l’autre cas, seuls les aliments nécessaires pourront être demandés. Il résulte de cette dernière hypothèse que « le parent, dans une situation modeste mais non nécessiteuse, ne pourra rien demander, par exemple à ses enfants majeurs, quelle que soit l’opulence de leur situation »321.

Dans le cadre des obligations alimentaires renforcées, le droit civil envisage le besoin en tenant compte de données subjectives. La notion de besoin acquiert ainsi un contenu relativement fluctuant dont le droit de l’aide sociale ne peut évidemment s’accommoder.

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