• Aucun résultat trouvé

Les atteintes portées à l’esprit égalitaire de l’aide sociale

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 191-193)

SECTION II. VERS LA SUPPRESSION DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITE DANS LE DROIT DE L’AIDE SOCIALE

A. Une solution dictée par les faits

1/ Les atteintes portées à l’esprit égalitaire de l’aide sociale

Comme nous avons pu le constater, le caractère subsidiaire de l’aide sociale par rapport à l’aide que peut apporter la famille connaît des assouplissements, lesquels tendent à se multiplier. Comme le souligne Monsieur Elie ALFANDARI, « tout cela fait un peu "patchwork" et va à l’encontre de l’esprit fondamental qui inspirait l’aide sociale à l’origine :

l’esprit égalitaire »814.

Cette remarque vaut tant en ce qui concerne les diverses prestations d’aide sociale légale que dans la manière dont les départements appliquent la référence à l’obligation alimentaire. Il semble, en effet, que la loi sur la décentralisation (qui autorise, en particulier, chaque département à gérer lui-même le budget alloué à l’aide aux personnes âgées) a accentué les différences sensibles concernant les modalités de prise en charge815. Ceci a pour

conséquence le fait que chaque département applique à sa guise la règle de la subsidiarité par rapport à la famille816. Il en résulte d’ailleurs des inégalités non seulement entre départements,

mais également entre zones urbaines et zones rurales817.

Cette situation peu satisfaisante est révélatrice des questionnements dont la doctrine s’est parfois fait l’écho, relativement à l’opportunité et à l’effectivité des recours exercés par la collectivité à l’encontre des débiteurs d’aliments818. L’hypothèse a été émise que la

collectivité préférerait les recours en récupération de l’article 146 du Code de la famille et de l’aide sociale qui lui permettent d’atteindre le bénéficiaire lui-même, sa succession ou ses

814 E. ALFANDARI, « Table ronde sur la participation. Les rapports entre l’Etat et la famille en ce qui concerne la prise en charge des personnes âgées dépendantes », op. cit., p. 152.

815 P. RENARD, « « Drame » familial et obligation alimentaire en « long séjour » », in Vieillir « en »

collectivité, Gérontologie et société, n° 73, juin 1995, p. 63.

816 Voir : J-L. SOURIOUX, « Pour une sociologie de l’obligation alimentaire », Rev. aide soc., avril-juin 1962, p. 65. A la suite d’une enquête dans le département de la Creuse, cet auteur exprimait de sérieux doutes sur l’effectivité de la mise en œuvre de l’obligation alimentaire, ce qui le conduisait à s’interroger sur l’existence d’un « régionalisme de l’obligation alimentaire ». Celui-ci révèle que les rares cas où les services préfectoraux ont procédé à un recouvrement auprès des débiteurs d’aliments semblaient justifiés par le désir de « pouvoir ensuite utiliser ces cas comme exemple ». Voir aussi : E. SERVERIN, La personne âgée, ses débiteurs

d’aliments, et l’aide sociale. Eléments pour une réflexion sur la part de la solidarité familiale dans la prise en charge des personnes âgées, op. cit., p. 57 ; Libération, 10 février 1997, pp. 19-20.

817 « Dans les zones urbaines, les enfants se défilent pour ne pas payer, on a la moitié des dossiers qui finissent

au tribunal et ça n’arrange rien dans les relations déjà très distendues, dit un technicien de la banlieue

parisienne. En ville, les gens sont souvent plus riches mais plus retors, ils font durer la procédure ». En Ardèche ou en Ariège, par exemple, les enfants même modestes, « se débrouillent toujours », en protégeant leurs parents : « La plupart de mes pensionnaires ignorent que leurs enfants envoient chaque mois un chèque », affirme la directrice d’un établissement ardéchois ». Libération, Ibid., p. 19.

818 Voir par exemple : J. COMMAILLE, Familles sans justice ?, op. cit., pp. 100-101 ; C. LABRUSSE-RIOU, « Sécurité d’existence et solidarité familiale en droit privé : étude comparative du droit des pays européens continentaux », RIDC 1986, p. 864 ; J-L. SOURIOUX, op. cit., p. 77.

donataires et légataires819. La collectivité trouvant alors matière à se faire rembourser ses avances, la mise en œuvre de l'obligation alimentaire ne se révèle plus d’aucun intérêt. Tel sera le cas, par exemple, lorsque l’assisté possède un patrimoine immobilier : l’administration inscrira une hypothèque sur l’immeuble en garantie de ses récupérations a posteriori (art. 148 C. fam. aide soc.) et incitera même parfois l’assisté à vendre son bien le plus tôt possible820.

Mais, une fois encore, tout est affaire de choix pour les collectivités concernées qui restent libre de se retourner ou non contre les débiteurs d’aliments. La diversité demeure donc la règle.

Cette caractéristique est d’ailleurs confortée par l’attitude de certaines commissions d’admission, en dépit des recommandations de l’Administration les invitant à une certaine bienveillance à l’égard des débiteurs alimentaires821. En effet, il semble bien, comme le fait

remarquer Monsieur Amédée THEVENET, que ces dernières soient « loin d’être toujours suivies d’effet, tant sont vivaces, dans certaines commissions (dont la composition socioprofessionnelle est ce qu’elle est), les réflexes moralisateurs (« c’est de sa faute »), pingres (« ça coûte cher à la commune ») voire racistes (« les travailleurs immigrés sont toujours malades ») »822.

Ainsi le principe égalitaire de l’aide sociale paraît-il sérieusement mis à mal.

Certaines familles seront donc "invitées" (!) à contribuer aux frais relatifs à la prise en charge par l'aide sociale d'un de leurs membres. La question se pose cependant de savoir si elles sont en mesure de le faire. Il convient également de s'interroger sur les répercutions de cette mise en jeu forcée de l'obligation alimentaire sur le groupe familial. L'idée sous-jacente semble d'ailleurs être de rendre effectives les solidarités familiales qui, sans cette obligation, ne seraient pas amener à jouer, comme le laissent entendre certains auteurs823. Pourtant les

819 E. ALFANDARI, « Droits alimentaires et droits successoraux », op. cit. ; Intervention de G. PAILLIER, in Le rôle des familles dans la prise en charge des personnes âgées, Actes du colloque - octobre 1987, op. cit., p. 160.

820 Telle semble être la pratique de la DDASS du Nord, voir : D. EVERAERT et F. DEKEUWER-DEFOSSEZ,

L’obligation alimentaire et les recours ouverts à la collectivité à l’encontre des débiteurs alimentaires, Rapport

à la CNAF, op. cit., p. 44.

821 Circul. 26 septembre 1963, Rev. aide soc. 1963, p. 206 ; Circul. 1er août 1973. Ces circulaires recommandent en effet de ne pas déclencher le recours prévu à l'article 145 C. fam. aide soc. en dessous d'un certain minimum de ressources (dans une logique similaire à celle de la loi du 30 juin 1956 instituant l'allocation supplémentaire du fonds national de solidarité : voir supra). Toutefois, comme le souligne Monsieur Elie ALFANDARI, « le demandeur n’est pas lié par cette instruction, et le juge encore moins » (E. ALFANDARI, Action et aide

sociales, op. cit., n° 260, p. 367).

822 A. THEVENET, L’aide sociale en France, PUF, coll. Que sais-je ?, Paris, 1994, p. 121.

823 Voir par exemple : P. MALAURIE, op. cit., n° 837, p. 483. En effet, cet auteur qui est opposé à l'idée d'une suppression de la référence à l'obligation alimentaire dans le droit de l'aide sociale, estime que « ce qui donne sa force à la famille, ce sont ses obligations, face à l’épreuve qu’un des siens traverse ». Autrement dit, les solidarités familiales ne trouvent à s’épanouir que dans la contrainte...

nombreux travaux récemment réalisés par les sociologues montrent, au contraire, que les solidarités familiales existent, sans qu’il soit nécessaire de les contraindre.

Dans le document Aide sociale et obligation alimentaire (Page 191-193)

Outline

Documents relatifs