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Egalité professionnelle hommes – femmes

Bien que l'articulation entre les sphères du travail et du hors-travail concerne aussi bien les hommes que les femmes, les politiques mises en œuvre pour faciliter l'harmonisation des sphères sont souvent assimilées, comme on le verra dans la première partie de la thèse, à une question concernant les femmes.

Et en effet, l'entreprise soucieuse d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ne peut espérer favoriser l'égalité si elle ignore les dynamiques reliant sphère du travail et sphère du hors-travail. La sociologue Marie-Agnès Barrère-Maurisson a montré à quel point la division sexuée du travail, professionnel et domestique, explique très concrètement les parcours des hommes et des femmes dans l'entreprise :

"La place de chaque groupe de sexe est corrélativement déterminée dans la famille et dans l’emploi (…), chacun ayant une place spécifique dans la famille qui renvoie à celle qu’il a dans l’emploi, et réciproquement. On ne peut changer l’une sans changer l’autre. C’est pourquoi l’on rencontre, par exemple, des femmes très intégrées professionnellement, mais qui sont "sans famille", c'est-à-dire célibataires ; et à l’opposé, des femmes à l’écart d’une vie

active mais qui ont une fonction prioritaire dans la famille, s’occupant du mari et de nombreux enfants." (Barrère-Maurisson, 1992, p.123)

Cela étant dit, il serait inexact de penser que les politiques de conciliation travail-hors-travail servent toujours l'objectif d'égalité professionnelle hommes – femmes, et réciproquement : elles peuvent en fait se révéler incompatibles, comme l'illustrent par exemple la fin de l'interdiction du travail de nuit, qui favorise l'égalité, mais pas la conciliation, et les temps partiels, qui facilitent la conciliation, mais pénalisent les carrières (Alis & al., 2003).

Diversité

Au-delà de l'égalité professionnelle hommes - femmes, c'est l'ensemble des politiques de diversité qui sont directement concernées par la question de l'articulation des sphères : une entreprise qui serait parvenue à faciliter cette articulation serait par là-même capable d'employer des populations de salariés qui, parce qu'ils ont pour certains d'autres besoins et d'autres aspirations que les salariés qui composent la majorité de l'effectif, souhaitent travailler selon des modalités différentes (temps partiels, horaires aménagés, télétravail, etc.) : cela vaut notamment pour les salariés âgés, et pour les salariés handicapés.

Cela dit, là encore, il faut noter que certaines pratiques d'harmonisation travail – hors-travail peuvent aller à l'encontre de la diversité : lorsque l'entreprise propose des services sur son site, et que la sociabilité en interne se développe au détriment de la sociabilité en externe (crèches, tennis, clubs de salariés, etc.), le risque est que l'entreprise ne se transforme en communauté autosuffisante, et que la diversité au sein de l'entreprise ne se réduise6.

Responsabilité sociale des entreprises

La façon dont l'entreprise répond au hors-travail de la vie de ses salariés est une dimension, parmi d'autres, de sa responsabilité vis-à-vis des parties prenantes que sont les salariés et les membres de leurs familles. Cette considération n'est pas nouvelle : dès 1977, Rosabeth Moss Kanter (1977a) interroge les entreprises sur leur responsabilité vis-à-vis des familles des salariés, qu'elle ne nomme pas encore "parties prenantes", mais "victimes innocentes". La bonne intégration de la vie professionnelle et familiale est pour elle, déjà, un enjeu de société primordial pour le développement des enfants, le bien-être des hommes et des femmes, et la performance de l'économie.

6 Je remercie la professionnelle d'une des entreprises présentes à l'atelier de l'ANVIE (Association nationale pour la valorisation interdisciplinaire de la recherche en sciences de l'homme et de la société auprès des entreprises) des 19 et 26 juin 2007, d'avoir souligné cette contradiction potentielle entre les objectifs d'harmonisation et de diversité.

On voit que la vie hors-travail des salariés, et son articulation avec leur vie professionnelle, ont des conséquences directes sur les comportements et les attitudes des salariés au travail. Ces enjeux sont également importants pour l'entreprise en externe. Qu'il s'agisse de recruter, de motiver, de fidéliser, de gérer les carrières, ou encore de veiller à l'égalité professionnelle hommes - femmes et à la diversité, les praticiens de gestion des ressources humaines sont en prise avec le hors-travail des salariés.

II. PROBLÉMATIQUE ET CONSTRUCTION DE LA

RECHERCHE

II.1. Problématique de la recherche : pertinence et efficacité des

pratiques d'harmonisation travail - hors-travail

Les employeurs sont confrontés, qu'ils le veuillent ou non, aux contraintes et aux opportunités que représente la vie hors-travail de leurs salariés. La réponse de l'organisation peut être de tenter d'ignorer le hors-travail, comme s'il ne relevait pas de son périmètre d'action, ou bien de mettre en œuvre des pratiques de gestion. Cette thèse s'intéresse précisément aux pratiques d'harmonisation travail - hors-travail mises en œuvre par les employeurs, dont un des objectifs est de diminuer le conflit, et de favoriser l'enrichissement, entre les sphères du travail et du hors-travail7.

Du point de vue de la recherche, ces pratiques suscitent deux questions majeures, auxquelles correspondent deux corpus de recherche distincts.

La première est la suivante :

(1) Pourquoi un employeur considère-t-il pertinent, ou non, d'adopter des pratiques d'harmonisation travail – hors-travail ?

Cette question vise à comprendre ce qui conduit un employeur à adopter, ou non, ces pratiques : c'est-à-dire à ignorer le hors-travail de ses salariés, du moins formellement, ou bien au contraire à considérer qu'il est pertinent de le prendre en compte, et de mettre en œuvre des politiques de gestion des ressources humaines et des modes de management ciblés sur le hors-travail.

Cette question se subdivise en deux sous-questions :

(a) Quels sont les facteurs explicatifs de l'adoption des pratiques ? Au-delà de l'analyse descriptive des déterminants de l'adoption des pratiques (comme la taille, le secteur, etc.), l'enjeu est de comprendre les processus par lesquels un employeur est amené à prendre conscience de la question de l'harmonisation, à l'examiner et à décider de mettre en œuvre, ou non, des pratiques de GRH ; ou bien les processus par lesquels l'employeur met en œuvre ces pratiques sans pour autant les formaliser ni les relier à une intention stratégique.

(b) Quelle est leur importance relative ? L'objectif est ici de mettre en lumière les facteurs les plus importants, liés au contexte dans lequel l'employeur évolue, et aux dynamiques internes à l'organisation. Il se peut que ces facteurs diffèrent selon les types d'organisations et les types de pratiques considérées.

La seconde question peut s'exprimer comme suit :

(2) Quels effets ces pratiques ont-elles sur la relation Individu/Organisation?

Ces pratiques ont, entre autres, un objectif économique : il s'agit d'améliorer la performance de l'organisation par la réduction de l'absentéisme et l'augmentation de la satisfaction et de l'implication des salariés.

Or ces effets bénéfiques sont loin d'avoir été démontrés, au plan scientifique. L'impossibilité persistante d'établir un argumentaire solide sur ce sujet est même une des principales raisons des réticences des organisations à mettre en oeuvre ces pratiques, et une de leurs principales frustrations.

La question mérite donc d'être posée en des termes plus larges et dans une perspective résolument exploratoire : quels effets ces pratiques ont-elles sur la relation Individu/Organisation, c'est-à-dire,

(a) De quelle façon ces pratiques agissent-elles sur les comportements et les attitudes des salariés au travail ?

(b) Peut-on différencier ces effets selon les types de pratiques considérées (flexibilité du travail, ressources relatives au hors-travail), voire selon les pratiques, prises individuellement ?

(c) Peut-on différencier les effets selon les catégories de salariés, en fonction de leurs caractéristiques personnelles et professionnelles ?

II.2. Un constat saisissant : les pratiques diffèrent nettement, entre les

Etats-Unis et le Royaume-Uni d'une part, et la France d'autre part

Comme on le verra au premier chapitre, les pratiques d'harmonisation travail – hors-travail ont germé et pris de l'ampleur dans des contextes anglo-saxons.

Une exploration au début de la thèse m'a permis d'établir que les pratiques des entreprises américaines et britanniques, notamment, sont à la fois qualitativement plus diverses, et quantitativement plus développées, que les pratiques mises en œuvre dans les entreprises françaises.

II.2.1. Comparaison de l'ampleur des pratiques

Je ne propose ici qu'une très brève évaluation, qui permettra au lecteur de comprendre comment ma recherche s'est orientée et quelles problématiques j'ai été amenée à formuler. L'évaluation complète est effectuée dans la suite de cette thèse, dans la première partie.

La comparaison ci-dessous s'appuie sur les chiffres de trois études nationales sur des échantillons importants d'employeurs, réalisées par le Families and Work Institute (Bond & al, 2005), le

Department of Trade and Industry (Woodland & al., 2003), et l'Institut National des Etudes

Démographiques (Carré & al., 2007). J'y reviendrai plus en détail par la suite, pour expliciter les difficultés de comparaison occasionnées par la formulation différente des questions et la composition différente des échantillons.

Tableau 1 : Ampleur des pratiques d'harmonisation aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en France, sur la base des études nationales

Pratique adoptée par l'employeur % Employeurs aux EU (FWI 2005*)

% Employeurs au RU (DTI 2003**)

% Employeurs en France (INED 2005***)

Horaires flexibles 70% par plages fixes

31% au quotidien 67% 36%

Semaines compressées 44% 7% non disponible

Temps partiels 55% (choisis et non choisis)

74% (choisis et non choisis)

39%-44% (choisis)

Partages de postes 44% 14% non disponible

Télétravail régulier 35% 22% 10%

Services d'orientation (R&R) pour

la garde des enfants 37% 2% non disponible Séminaires sur des questions

personnelles et familiales 26%

question non posée par l'enquête

question non posée par l'enquête Crèches sur site ou près du site 9% 3% 2%

* Echantillon de 1092 employeurs de plus de 50 salariés ** Echantillon de 1509 employeurs de plus de 5 salariés

*** Echantillon de 2673 établissements de plus de 20 salariés, données pondérées par l'INED

Sans entrer dans les détails de l'analyse, j'attire l'attention du lecteur sur deux constats essentiels. Le premier, illustré par les pourcentages d'employeurs qui adoptent les pratiques, est la plus forte diffusion des pratiques parmi les employeurs américains et, dans une moindre mesure, britanniques, par rapport aux employeurs français.

Le second constat est la plus grande diversité des pratiques aux Etats-Unis et au Royaume-Uni : on observe qu'un certain nombre de questions ne figurent pas dans l'enquête française. Si ce fait reflète un souci de concision pour le volet employeurs de l'enquête (le volet principal porte sur les ménages), il révèle aussi la faible prégnance, en France, de pratiques telles que les semaines compressées (le fait d'effectuer un temps plein sur quatre jours au lieu de cinq), les partages de poste (un temps plein effectué par deux personnes qui sont chacune à temps partiel) et les services d'orientation et les séminaires portant sur des questions personnelles et familiales.

II.2.2. Les différences ne sont pas simplement imputables aux différents régimes