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LES DETERMINANTS DE L'ADOPTION DES PRATIQUES

I.1. La recherche sur les déterminants de l'adoption des pratiques est encore très nationale et descriptive encore très nationale et descriptive

I.1.1. Au niveau de l'entreprise

Concernant l'entreprise, les facteurs propres à susciter des pratiques d'harmonisation travail - hors-travail sont :

La taille

Les grandes entreprises39 développent davantage de programmes formels car elles sont plus vulnérables aux pressions de la société civile (Goodstein, 1994) et plus désireuses d'être vues comme des "employeurs de choix" (Friedman, 2001). De plus, elles disposent de moyens matériels plus importants, qui leur permettent d'acquérir une expertise, d'institutionnaliser les dispositifs au sein de cellules de ressources humaines, et de financer les mesures les plus coûteuses (Goodstein, 1994, Ingram & Simons, 1995). Dans le même ordre d'idées, Wood et ses collègues, au Royaume-Uni, notent que les entreprises qui disposent d'une cellule de gestion des ressources humaines adoptent davantage de pratiques d'harmonisation que les autres (2003). Ils obtiennent toutefois des résultats contrastés en ce qui concerne la taille des entreprises proprement dite. De plus, il faut nuancer ces propos concernant la taille de l'entreprise, car les travaux de Diane-Gabrielle Tremblay (2004) et l'étude du FWI (Bond & al., 2005) indiquent que les petites et moyennes entreprises développent davantage de pratiques informelles. Si elles offrent des congés moins longs aux nouveaux parents, avec un salaire de remplacement moins élevé, et font aussi moins appel aux prestataires de service spécialisés dans les programmes d'aide aux salariés, elles proposent en revanche davantage de flexibilité dans les horaires et l'organisation du travail (Bond & al., 2005).

La proportion de femmes en position d'encadrement

La proportion de femmes en position d'encadrement (Ingram & Simons, 1995) et de femmes dirigeantes (Bond & al., 1998) joue un rôle très sensible. Dans l'étude de Guérin & al. (1997), il s'agit plus largement des femmes très qualifiées (conseil d'administration et cadres, mais aussi professionnelles et techniciennes). Sur la proportion de femmes dans l'entreprise, indépendamment de leur position hiérarchique, les résultats ne convergent pas : Goodstein (1994), Konrad et Mangel (2000) et Wood et ses collègues (2003) notent qu'une forte proportion de femmes s'accompagne d'un plus grand nombre de pratiques, alors qu'Ingram et Simons (1995), Tremblay (2004), et Budd et Mumford (2006) les contredisent40. Selon Dana Friedman, les entreprises qui adoptent le plus de pratiques sont celles qui ont entre 30 et 70% de femmes dans leurs effectifs (2001). D'après le FWI

39 C'est-à-dire la taille de la plus grande organisation à laquelle appartient l'établissement enquêté : les petits établissements faisant partie de groupes se rapprochent davantage des grandes entreprises que des petites entreprises indépendantes (Woodland & al., 2003)

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Cela dit, Tremblay constate que les arrangements informels sont plus fréquents lorsque la direction comporte des femmes, et que la conciliation est facilitée pour les hommes lorsque la proportion de femmes est forte.

(Bond & Galinsky, 1998) enfin, la proportion de femmes modifie la nature des pratiques développées : les pratiques les plus coûteuses comme les congés maternité avec remplacement de salaire et la couverture médicale familiale sont surtout proposées par les entreprises employant peu de femmes, alors que celles qui en emploient beaucoup offrent davantage de flexibilité (temps partiels, partages de poste, souplesse des congés), de camps d'été pour les enfants et de participation aux frais de garde. Quant à la proportion de parents parmi les salariés, seuls Budd & Mumford (2006) la trouvent significative, au Royaume-Uni.

La qualification de la main-d'oeuvre

La plupart des travaux observent que les entreprises dont la main-d'œuvre comporte beaucoup de "professionnels"41 développent davantage de pratiques (Osterman, 1995, Guérin & al., 1997, Bond & Galinsky, 1998, Konrad & Mangel, 2000). Ce résultat n'est toutefois pas vérifié par Wood et ses collègues (2003) au Royaume-Uni.

Les études divergent concernant la syndicalisation

Pour Dex et Scheibl (1999) et le DTI (Woodland & al., 2003) au Royaume-Uni, ainsi que pour Guérin et ses collègues (1997) au Québec, c'est un des facteurs les plus importants, parce que dans leur échantillon les entreprises ayant le plus fort taux de syndicalisation sont également les grandes entreprises du secteur public. Ce n'est pas un facteur pour Morgan et Milliken (1992), car dans leur échantillon, les syndicats sont surtout représentés dans les secteurs les plus masculinisés et les moins avancés sur la question de l'harmonisation travail – hors-travail. Wood et ses collègues (2003), et Budd et Mumford (2006), qui analysent pourtant les données d'une même enquête, en tirent des conclusions légèrement différentes : la présence d'un syndicat reconnu est un facteur explicatif de l'adoption des pratiques pour Budd et Mumford, et un facteur qui a peu d'impact pour Wood et ses collègues.

La nature des pratiques adoptée diffère : les entreprises ayant les plus forts taux de syndicalisation offrent plus de bénéfices sociaux et des congés de naissance mieux indemnisés, mais moins de flexibilité (Bond & Galinsky, 1998).

Osterman (1995) soutient pour sa part que l'adoption des pratiques est liée aux besoins d'implication de l'entreprise et plus précisément à ce qu'il appelle les "systèmes à forte implication"42 ; Budd et Mumford (2006) corroborent cette analyse dix ans plus tard au Royaume-Uni.

41 Bien que la comparaison soit imparfaite, les "professionals" sont les équivalents des cadres français en position d'expertise et non d'encadrement.

42 "High-commitment systems", p.684. Osterman mesure les besoins d'implication de l'entreprise par (1) l'importance donnée par le répondant au fait de développer l'implication au sein de l'entreprise, relativement à

Guérin & al. (1997) mettent aussi en évidence le rôle de la culture organisationnelle, notamment l'importance que les dirigeants donnent à "l'équilibre emploi - famille", ce qui n'est vérifié par Wood et ses collègues (2003) que concernant l'aide à la petite enfance (et non concernant la flexibilité du travail).

D'autres facteurs sont mis en avant par l'étude du FWI (Bond & Galinsky, 1998), mais n'ont pas été explorés par les recherches académiques. Il s'agit de :

- La proportion de salariés travaillant à temps partiel : les entreprises employant beaucoup de salariés à temps partiel offrent moins de bénéfices sociaux (mutuelle, retraite) mais davantage de flexibilité (retour progressif après un congé de maternité, partages de poste, transition du temps plein au temps partiel et vice versa).

- Un historique récent de restructuration et/ou de moindre performance financière : certaines entreprises en restructuration réduisent les budgets de ressources humaines, mais d'autres au contraire tentent d'améliorer le bien-être et la résistance des "survivants" (Doherty & al., 1996).

I.1.2. Au niveau du secteur et du bassin d'emploi

Au niveau du secteur et du bassin d'emploi, il n'y a pas de consensus sur une plus grande réponse du secteur public ou du secteur privé, bien que plusieurs études trouvent davantage de pratiques dans le secteur public, du fait de sa plus forte syndicalisation (Ingram & Simons, 1995, Guérin & al 1997, Dex & Scheibl 1999, Woodland & al., 2003, Wood & al., 2003).

En revanche la diffusion des pratiques en tant que norme au sein du secteur d'activité est primordiale, comme le postule la théorie néo-institutionnaliste (Goodstein, 1994, Ingram & Simons, 1995, Wood & al., 2003, Tremblay, 2004). D'une façon générale, plus les entreprises appartiennent à des secteurs interconnectés, maillés par des réseaux professionnels, plus elles sont sensibles aux normes en vigueur (Goodstein, 1994). Guérin et ses collègues notent également que les entreprises ayant une stratégie de produit/service développent davantage ces pratiques par rapport à celles qui ont une stratégie de coûts. Tremblay fait la même observation pour les entreprises tournées vers l'innovation et le contact à la clientèle (2004) ; même résultat pour Wood et ses collègues (2003) pour les entreprises ayant adopté une approche qualité (concernant l'aide à la petite enfance uniquement).

d'autres objectifs comme limiter la croissance de la masse salariale, (2) la présence de pratiques de contrôle qualité, et (3) celle d'ateliers de résolution de problèmes.

De façon plus précise, les secteurs les plus susceptibles de proposer ces pratiques sont, aux Etats-Unis, les services et notamment la banque-assurance, les hôpitaux, les laboratoires pharmaceutiques, l'immobilier, l'énergie, et les communications (Konrad & Mangel, 2000). Certains de ces secteurs, comme les hôpitaux, ont en effet été confrontés à la pénurie de main-d'œuvre et à la nécessité d'attirer et de fidéliser les salariés, d'autres comme la banque-assurance sont sensibilisés aux enjeux de leur pyramide des âges, et d'autres enfin dégagent des marges financières qui leur donnent les moyens de leurs politiques (Morgan & Milliken, 1992). Au Royaume-Uni, il s'agit, selon les études, de la santé et des services financiers (Wood & al., 2003), et de l'hôtellerie-restauration, de l'immobilier et des administrations publiques et de défense (Woodland & al., 2003).

La diffusion de la norme peut également s'observer au plan géographique : le Nord-Ouest et l'Est des Etats-Unis sont les régions les plus propices (Friedman, 2001, Morgan & Milliken, 1992), ainsi que la région de Londres et le Sud-Est du Royaume-Uni (Woodland & al., 2003).

I.1.3. Au niveau national

Au niveau macroéconomique, enfin, le seul facteur clairement déterminant est le chômage des femmes, qui constitue selon Goodstein (1994) et Ingram & Simons (1995) un contre-pouvoir aux attentes des salariés et aux pressions de la société civile.

Le débat sur le rôle incitatif ou au contraire supplétif des politiques publiques en matière d'harmonisation travail - hors-travail n'est pas tranché (Poelmans & Sahibzada, 2004, Tremblay, 2004). En faveur du rôle incitatif, le développement des pratiques par les entreprises dépend de leur perception des coûts et des bénéfices (Goodstein, 1994), ce qui s'est clairement manifesté en France lorsque le dispositif subventionné de crèches d'entreprises a fait éclore les projets. Mais en faveur du rôle supplétif, on observe que ces pratiques sont nettement plus développées dans le monde anglo-saxon libéral, dans un contexte de politiques publiques minimales. C'est un point que je détaillerai dans l'exposé du cadre théorique.

Il faut noter, par ailleurs, qu'il existe différents niveaux de réponse organisationnelle au hors-travail, certaines entreprises se contentant d'une "conformité symbolique" (Ingram & Simons, 1995), ou n'offrant que des "réponses bon marché" (Kamerman & Kahn, 1987) comme des congés non payés, une simple information sur les modes de garde des enfants, ou encore la possibilité de réserver une partie de son salaire, non soumis à imposition, au paiement des frais de garde.