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L'ENVIRONNEMENT SOCIO-INSTITUTIONNEL DES ENTREPRISES AU PLAN NATIONAL

V.2. Contexte institutionnel

V.2.2. Rôle de l'employeur par rapport à l'Etat et aux familles

Le facteur explicatif Rôle de l'employeur englobe plusieurs sous-facteurs qui visent à expliciter la perception que les acteurs de la question (salariés, DRH, partenaires sociaux, prestataires, etc.) ont du rôle que l'employeur doit être amené à jouer dans le domaine du hors-travail, par rapport aux familles et à l'Etat : quelle est sa légitimité dans ce domaine, quelles sont les attentes envers les employeurs, et réciproquement quelles sont les attitudes des employeurs vis-à-vis de la vie hors-travail de leurs salariés et de ses impacts sur le hors-travail. Ainsi Trifiletti, fait référence elle aussi à la typologie d'Esping-Andersen, et insiste sur le fait que l'ampleur que prend la question de l'harmonisation travail – hors-travail dans un pays dépend fortement du régime de protection sociale :

"La question de la conciliation émerge comme problème public de façon très variée. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que le thème du work-life balance se soit développé quasi-exclusivement dans les pays anglo-saxons et du nord de l'Europe." (Trifiletti, 2006, p.257). Je propose donc d'examiner maintenant la perception relative de ces trois dispensateurs potentiels de soutien au hors-travail que sont l'Etat, les employeurs et les familles, dans les trois pays qui nous intéressent. Plus précisément, la revue de la littérature existante permet de distinguer deux questions sur lesquelles les Etats-Unis et le Royaume-Uni d'une part, et la France d'autre part, se distinguent :

- Le domaine du hors-travail et en particulier de la famille est-il considéré comme une affaire privée, ne regardant a priori ni l'Etat ni les employeurs, ou bien accepte-t-on comme légitime, voire attend-t-on une intervention et un soutien de leur part ?

- Lorsqu'un soutien est nécessaire ou attendu, qui est le plus légitime pour l'apporter : l'Etat ou les employeurs ?

Concernant la première question, les travaux convergent pour indiquer que la famille est clairement considérée comme une affaire privée aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, alors qu'en France c'est moins net. Au Royaume-Uni, Jane Lewis (1992) observe que le "modèle affirmé de l'homme gagne-pain"102 va de pair avec une séparation nette entre ce qui relève de la responsabilité publique et ce qui relève de la responsabilité privée, la famille étant sans conteste de l'ordre de cette dernière. En conséquence, la famille n'a jamais été un objet prioritaire de politique sociale, ni même un domaine approprié d'intervention de l'Etat. Les interventions acceptées sont celles visant à prévenir et soulager la pauvreté des enfants, celles mises en oeuvre lorsque le comportement de la famille dévie de la norme, et éventuellement celles concernant les personnes âgées (Daly & Rake, 2003).

Ainsi l'enquête nationale britannique Time, Health & The Family a demandé aux parents qui a le plus de responsabilités, à leur sens, vis-à-vis des familles : 47% des parents s'attribuent la part principale de responsabilité, alors que seuls 18% l'attribuent à leurs employeurs et 13% au gouvernement (Swan & Cooper, 2005).

Il en va de même aux Etats-Unis, où Kamerman et Kahn notent par exemple que les syndicats n'ont jamais œuvré en faveur de modes de garde externalisés pour les enfants de moins de un an, car ils y sont férocement opposés du fait de la préférence donnée aux soins maternels (1997). De même Gerstel et Clawson (2000) indiquent que le soutien aux responsabilités familiales n'est pas une demande forte des membres des syndicats américains : le besoin est fort mais pas le sentiment de droit ou de légitimité, car l'opinion la plus répandue est que le fait d'avoir des enfants est un choix personnel qu'il convient d'assumer en famille. Gerstel et Clawson font le rapprochement entre cette timidité à exprimer ses besoins hors-travail et une autre timidité dénoncée par la féministe Betty Friedan dans son livre La femme mystifiée (1964), dont le premier chapitre s'intitule "Le problème qui n'a pas de nom". De même qu'on a longtemps considéré la question du partage du travail domestique comme une question privée, qui ne pouvait être abordée dans le début public ou comme objet de politique sociale, on a tendance aujourd'hui, aux Etats-Unis, à considérer qu'il n'y a pas de solution à attendre sur le plan collectif pour le soin aux enfants et aux personnes âgées.

Cette conception a même prévalu parmi les chercheurs américains, qui ont bien davantage étudié les aspects individuels de l'harmonisation travail - hors-travail (dans le paradigme dominant du conflit entre les sphères), plutôt que le contexte dans lequel évoluent les individus et ce que les entreprises ou l'Etat peuvent faire (Kossek & Friede, 2006). Rien d'étonnant, donc, à ce que l'aide publique soit perçue comme un stigma, synonyme d'échec personnel, aux Etats-Unis (Bailyn, 1992). C'est peut-être moins marqué au Royaume-Uni, où la couverture médicale publique fait partie intégrante des mœurs (Lewis S. & Cooper, 1995) ; néanmoins, ce que l'on nomme social assistance est principalement destinée aux mères célibataires, aux personnes âgées dans le besoin, et aux handicapés (Daly & Rake, 2003).

La même ambivalence perdure vis-à-vis de l'aide reçue des employeurs, de façon paradoxale compte tenu de la diffusion actuelle des pratiques : Friedman & Galinsky notent en 1992 que la plupart des Américains considèrent qu'il est inapproprié d'aborder les questions familiales sur le lieu de travail, et qu'"il est de la responsabilité du salarié d'être propre, sobre, et de se présenter le matin au travail" (p.193).

En France la question du caractère public ou privé du hors-travail est moins tranchée, du fait du fort développement de l'Etat, qui "donne le rythme" en France et conditionne les pratiques managériales (Jenkins & Van Wijk, 1996, p.71). Ainsi Singly et Schultheis soulignent qu'en France, à la différence de l'Allemagne, la famille est une catégorie à part entière de la structure sociale, ce qui se

reflète dans les statistiques nationales qui comportent des informations sur l'activité féminine, la fécondité, et la garde des jeunes enfants (1991). Durkheim, déjà, soulignait que la famille conjugale ou moderne se caractérise par l'intervention toujours croissante de l'Etat dans la vie intérieure de la famille (Lallement, 1993).

Pour Daly et Rake, l'intervention de l'Etat français dans la vie familiale se fait au nom d'une certaine image de la citoyenneté : l'enfant est vu comme un futur citoyen, dont il faut assurer la bonne intégration sociale (2003). Cette intervention est, cela dit, très encadrée par le droit français, qui met l'accent sur la protection de la vie privée, aussi bien dans le Code civil103 que dans la jurisprudence104. Ainsi peut-on penser que la législation du travail a une conception normative de l'harmonisation travail – hors-travail, visant avant tout à délimiter les sphères et à protéger la sphère dite privée (Lamorthe & al., 2006). Elle est en phase avec les craintes des salariés et des entreprises d'une intrusion malvenue dans la vie privée des personnes (Pras, 2001).

Barrère-Maurisson résume bien cette distinction entre les trois pays qui nous intéressent, quand elle oppose la "régulation marchande" qui prévaut au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, où les modes de garde et le travail domestique sont des affaires privées, à la "régulation multipartite", c'est-à-dire assurée par les familles, les employeurs, le marché, l'Etat, les instances européennes et les acteurs intermédiaires, qui prévaut en France.

Les trois pays se distinguent encore plus nettement au sujet de la seconde question : lorsqu'un soutien est nécessaire ou attendu, qui est le plus légitime pour l'apporter, l'Etat, ou les employeurs ?

Les nombreuses recherches antérieures sur le sujet nous donnent des éléments de réponse : aux Etats-Unis surtout, la méfiance généralisée vis-à-vis de l'Etat conduit à limiter ses domaines d'intervention, alors que l'entreprise bénéficie d'une image plus positive. Même si cela est moins net au Royaume-Uni, les deux pays partagent un même mouvement d'encouragement des initiatives privées par la puissance publique. En France en revanche, les employeurs font l'objet de suspicions et les attentes se tournent vers l'Etat-providence ; en retour, le financement de la protection sociale par l'impôt semble décharger les entreprises de leur responsabilité dans ce domaine.

Kamerman et Kahn (1997), aussi bien que Googins (1994), font remonter la méfiance des Américains vis-à-vis du gouvernement à la fondation même des Etats-Unis : les pionniers, ayant connu diverses formes d'autoritarisme dans leur pays d'origine en Europe, ont ancré dans la Constitution américaine et dans la Bill of Rights l'implication minimale du gouvernement dans l'entreprise privée et les vies personnelles des citoyens et des familles. Bien que le contrat social ait depuis lors évolué avec le développement du capitalisme- providence ("welfare capitalism") et la période du New Deal, Googins note la vivacité des

103 Article 9 du Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».

"convictions originelles des Pères fondateurs, selon lesquels la nation qui gouverne le mieux est celle qui gouverne le moins" (Googins, 1994, p 201-202).

Dans la même lignée, dès 1840 Tocqueville indique qu'en Amérique les régulations publiques sont regardées avec méfiance et suspectées d'inefficacité (Segal, 2005). Cela explique que l'intervention de l'Etat soit limitée : Kamerman & Kahn (1987) estiment ainsi qu'aux Etats-Unis la séparation de l'Eglise et de l'Etat a limité l'intervention de l'Etat dans les questions familiales, considérées comme étant du ressort de l'Eglise ; de façon plus générale, l'intervention du gouvernement dans les relations entre employeurs et salariés est minimale, au Royaume-Uni comme aux Etats-Unis (Kamerman & Kahn, 1997) : s'impose alors l'idée que les familles peuvent s'auto-aider (self-help) en faisant appel au marché, lequel devient une "notion réifiée" – par exemple on crée un crédit d'impôts pour la garde des enfants plutôt que de proposer des services publics (Daly & Rake, 2003), ou bien carrément la non-intervention pure et simple :

"Les Etats-Unis, jusqu'ici, ont adopté l'approche "ne rien faire". La croissance du taux de participation des femmes au marché du travail a été largement ignorée. (…) En fait, la politique américaine semble être que l'absence de toute politique est un bon moyen d'éviter les conflits de valeurs potentiels" (Kamerman & Kahn, 1981, p.26-27)

Inversement les travaux de d'Iribarne (2002) sur la réception par les filiales européennes des chartes d'éthique et codes de conduite américains mettent en avant une perception plutôt positive, dans les pays anglo-saxons de Réforme, de l'entreprise en tant que communauté morale. Dans ces pays en effet, la richesse est bien plus compatible avec la moralité que dans les pays d'obédience catholique. La vertu y semble à la fois morale et utile et il n'y a pas de distinction nette entre la façon dont la morale doit être traitée dans les sphères publiques et privées de la vie. Ainsi, les entreprises ont-elles une "légitimité comme acteur éthique" :

"En même temps qu'une unité économique, l'entreprise constitue une communauté morale. Son droit, comme unité économique, à défendre son intérêt rencontre son devoir, comme communauté morale, d'encadrer ses membres." (D'Iribarne, 2002, p.32)

Les salariés voient d'un bon oeil leurs employeurs aborder des questions morales, comme la responsabilité sociale des entreprises, ou le whistle blowing – littéralement le fait de donner un coup de sifflet, c'est-à-dire de signaler tout comportement de ses supérieurs ou collègues contrevenant aux lois nationales, aux règlements de l'entreprise ou à l'éthique. Il n'est donc pas a priori illégitime que les employeurs proposent un soutien dans le domaine du hors-travail. Segal ajoute que dans le monde anglo-saxon, la réputation d'une entreprise est un élément à part entière de son capital social, de sorte que les propriétaires de l'entreprise ont le droit d'afficher leurs valeurs (2005).

La conséquence logique du faible rôle joué par le gouvernement est la prédominance des entreprises et du marché privé dans le domaine du soutien au hors-travail (Glass & Fujimoto 1995). Plusieurs facteurs l'ont amplifiée, comme le déclin des syndicats depuis les années 1960 aux Etats-Unis (Glass & Fujimoto, 1995) et 1980 au Royaume-Uni (Edwards & al., 1992), ou les coupes réalisées dans les budgets sociaux. Ainsi les gouvernements britanniques et américains encouragent les initiatives privées : ce "volontarisme extérieurement contraint" (Anxo & Reilly, 2000) fait appel aux entreprises dans le cadre des "partenariats public-privé" (Friedman & Galinsky, 1992), et également à la société civile105.

En France en revanche, le marché et les entreprises sont perçus de façon beaucoup moins favorables. Pour Michèle Lamont, les idées jacobines républicaines d'égalité, de solidarité et d'universalisme issues de 1789 sont toujours très présentes, de sorte que l'on voit le marché comme inhumain et incompatible avec la notion de partage, alors que l'Etat, incarné par des représentants élus de la Nation, est bien mieux à même d'œuvrer pour l'intérêt collectif (1995). La défiance vis-à-vis des corps intermédiaires susceptibles de faire écran à la relation directe entre le citoyen et l’Etat, soit les associations, les syndicats, les partis politiques et les entreprises, persisterait encore (Lamorthe & al., 2006). L'histoire du développement de l'Etat-providence à partir de la IIIème République et la connotation très péjorative donnée au paternalisme entrepreneurial depuis la fin du XIXème siècle, aggravée par la faveur accordée par le régime de Vichy aux pratiques paternalistes, expliquent aussi pour partie la plus grande légitimité de l'Etat en France (de Bry, 1980).

Les salariés ont tendance à considérer que l'entreprise est régie par ses intérêts économiques avant tout, en sorte qu'elle est une "sorte de monstre froid dépourvu d'honneur (…) clairement du côté des intérêts" (D'Iribarne, 2002, p.34). L'atmosphère de décontraction et de discussion ouverte qui prévaut dans la plupart des entreprises anglo-saxonnes peut même être perçue en France comme un "procédé manipulatoire" visant à obtenir l'implication des salariés : les Français préfèrent ne pas s'impliquer trop personnellement dans la sphère professionnelle, pour conserver leur liberté d'action et leur indépendance (Barsoux & Lawrence, 1990, p.206-207). La préservation de l'indépendance vis-à-vis de l'autorité absolue de la hiérarchie est en effet un enjeu fort dans le modèle "bureaucratique" français exposé par Crozier (Rojot, 1990).

Cette réserve est à rapprocher d'un désir plus marqué de séparation entre les sphères, en France, par rapport aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Ashforth et ses collègues (2000) attribuent ce désir à des facteurs culturels, au sens de Hofstede (2005) : les individus auraient davantage tendance à segmenter les rôles dans les cultures caractérisées par une forte masculinité, un fort contrôle de

105 Cet appel à la société civile est labellisé "care in the community" ("soins assurés au sein de la communauté") au Royaume-Uni (Lewis & Cooper, 1995) ; il s'illustre aussi dans le programme de l'administration Bush "A thousand points of light" : les "mille points lumineux" représentent les familles, les églises et les organisations caritatives (Gonyea & Googins, 1996).

l'incertitude, et une forte distance hiérarchique. Ces cultures seraient plus "segmentalistes" car plus attachées à la division traditionnelle des rôles assignant les hommes à la sphère du travail et les femmes à celle du hors-travail (masculinité), aux règles et aux rituels (contrôle de l'incertitude) et aux rôles formels (distance hiérarchique). Or la France est, selon Hofstede et par comparaison avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni, plus portée à éviter l'incertitude (index de 86 versus 46 et 35), et à respecter une forte distance hiérarchique (68 versus 40 et 35). Elle est également plus masculine que les Etats-Unis (62 versus 43 ; et 66 pour le Royaume-Uni). Il faut cependant noter que la recherche de Hofstede a été vivement critiquée, au plan conceptuel comme méthodologique – en particulier, les questionnaires passés chez IBM n'ont concerné que les salariés masculins, ce qui introduit un biais considérable (Moulettes, 2007)106.

Par ailleurs, les salariés français ne se représentent pas l'entreprise comme une communauté morale, comme c'est le cas dans l'éthique protestante, car morale et intérêt sont perçus en France comme divergents. Selon d'Iribarne toujours, l'éthique est vue comme une valeur individuelle relevant du libre choix : les positionnements éthiques des entreprises suscitent scepticisme et ironie car ils sont perçus comme moralisateurs, empêchant l'individu de se déterminer en conscience. Si les Français peuvent comprendre qu'on leur demande de dénoncer des manquements graves à l'éthique (dessous de table, consultation d'images pédophiles au bureau, etc.), ils sont moins enclins à signaler les manquements aux normes spécifiques de l'entreprise (remarques déplacées sur l'entreprise, par exemple), auxquelles ils ne donnent pas le même statut. Segal ajoute que l'entreprise ne peut pas être une communauté morale, sauf à être considérée péjorativement comme une secte, car la République protège l'espace public de toute forme de pression, comme l'illustre le concept de laïcité (2005).

Il ne faut donc pas s'étonner que Barel et Frémeaux constatent "bien des peurs et des fantasmes" (2005, p.14) à l'idée que l'entreprise apporte un soutien à la conciliation travail - famille : puisque l'entreprise est régie par ses intérêts économiques, les salariés craignent que la conséquence immédiate de ce soutien ne soit une pression supplémentaire de l'employeur – dans le cas de figure étudié par Barel et Frémeaux, que la mise à disposition d'une crèche d'entreprise aux horaires d'ouverture amples ne soient la porte ouverte à des exigences accrues en terme de temps de travail et d'horaires atypiques. De la même façon, Alis et Dumas relèvent qu'en France, "le rôle de l'entreprise est discuté" (2003, p.38) : dans un sondage CSA-Liaisons sociales de 2001, la grande majorité des salariés (69%) pensent qu'il n'est pas du rôle des entreprises de proposer des services de proximité, et ce bien qu'environ 40% des moins de 35 ans et des cadres soient demandeurs de ce type de

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Notons tout de même que les travaux de Hofstede ont posé les fondations d'un courant de recherches très vivace, répliquant l'étude initiale ou cherchant à l'améliorer (Besseyre des Horts, 1991, Segalla & Besseyre des Horts, 1998).

services. Pour Alis, les salariés revendiquent une séparation nette de leurs vies professionnelles et personnelles, sauf lorsqu'ils rencontrent des problèmes personnels graves ayant un impact sur le travail, ou s'ils sollicitent eux-mêmes le soutien de leur employeur.

Il semble donc qu'en France on ne pense pas qu'il soit du devoir des entreprises d'apporter leur soutien à la vie hors-travail de leurs salariés. Ne financent-elles pas déjà la protection sociale et les infrastructures publiques par leurs cotisations sociales patronales107 et leurs impôts108? On attend simplement d'elles qu'elles respectent la législation, et assez récemment qu'elles prennent des initiatives en matière d'égalité professionnelle et de responsabilité sociale (Fine-Davis & al., 2004). Certes, depuis les années 1990 et l'émergence du concept de responsabilité sociale de l'entreprise, la sphère politique sollicite de plus en plus l'entreprise pour qu'elle intervienne dans le champ du social, en relais de l'Etat-providence. Mais l'Etat garde la main haute : "tous les textes officiels de présentation des mesures rappellent qu'il s'agit d'inciter les entreprises à intervenir en complément de l'effort public" (Buffier-Morel, 2004, p.353).

Le corollaire en est peut-être une culture au travail peu ouverte sur la famille, en France : la recherche de Fine-Davis et de ses collègues (2004) auprès de salariés de quatre pays européens109 conclut que c'est en France que les salariés déclarent avoir accès au moins de pratiques favorables aux familles, et que les petits arrangements quotidiens sont les plus rares (tels qu'amener un enfant au travail en cas de défaillance du mode de garde, ou s'absenter pour une course et revenir travailler).

Proposition : Les entreprises d'un pays donné adoptent d'autant plus de pratiques d'harmonisation

qu'elles ont une bonne image, en général, et une légitimité dans le domaine du hors-travail, en particulier, par rapport aux autres dispensateurs potentiels de soutien hors-travail que sont l'Etat et les familles.

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Comme en témoigne cette remarque dans un rapport de la CFDT: "Aujourd'hui encore les entreprises