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La société mère en qualité de société absorbante apparente

Partie I. La recherche de la responsabilité de la société mère du fait de ses filiales au niveau national

Section 2. La responsabilité de la société mère dans le cadre extracontractuel

1. Confusion apparente entre la mère et la fille

2.3. La société mère en qualité de société absorbante apparente

Le groupe de sociétés est un phénomène en constante évolution, les exigences de l’environnement économique peuvent ,ainsi, conduire les firmes à se regrouper, ou à céder une branche de leurs activités, au gré des circonstances et des impératifs économiques, c’est d’ailleurs l’avantage de cette forme sociétaire qui est dotée d’un ensemble de règles juridiques qui permettent avec une certaine efficacité, doublée d’une souplesse non négligeable ,de résoudre la presque totalité des difficultés conséquentes aux groupes de sociétés271.

Néanmoins, ce type de restructuration peut présenter des risques pour les créanciers, l’absorption d’une société peut, en effet, supposer la disparition (la dissolution sans liquidation) de cette dernière, et la transmission universelle de son patrimoine à la société absorbante, qui peut ainsi parfois subir les conséquences de l'inconduite de la filiale272, alors que la société absorbée se trouve exonérée des sanctions pour les actes infractionnels de sa vie passée.

Si en droit suisse273, l’ancien débiteur reste solidairement obligé, pendant trois ans avec le nouveau, en droit commercial français, la société bénéficiaire devient, dés la date de la

269 CA Lyon 17 février 2005, N° 2003/03043, Dalloz Jurisprudence

270 cass.civ, 13 déc 2006, bull joly sociétés 01 avril 2007 n°4, P.485, note J-F Barbiéri 271 Jeantin (M), Droit des sociétés, 3ème édition Montchrestien

272 Urbain-Parleani(I), La responsabilité des personnes morales à l'épreuve des fusions, note sous Cour de cassation (crim.), 20 juin 2000 Société Pilkington Sud, Revue des sociétés 2002, p. 851

273Art 75 de la loi fédérale sur la fusion, la scission, la transformation et le transfert de patrimoine du 3 octobre 2003, n°221.301

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dernière assemblée générale ayant approuvé l'opération274(Art L 236-4), détentrice de l’actif et du passif de la société absorbée 275, et doit ainsi, répondre de ses torts vis-vis des créanciers, d’autant plus, que ces derniers doivent être protégés, puisqu'ils n'ont aucun moyen de s'opposer à cette fusion et donc à un changement de débiteur.

Il faut souligner à ce niveau, la différence entre la cession de contrôle et la fusion, qui a pour conséquence, la disparition de la société absorbée, alors que la cession d’un bloc de contrôle permet la survie des deux entités contrôlante et contrôlée276. Par ailleurs, la cession d’éléments d’actif, n’opère pas de transfert des droits et obligations liés à l’activité cédée, par exemple, les contrats passés avec les clients ou fournisseurs.

Ainsi, la cour d’appel de Lyon par l’arrêt en date du 8 juin 1990, a appliqué la théorie de l'apparence au cas de fusion de sociétés.

Dans le cas d’espèce, Monsieur Bassard avait transporté un certain nombre de colis pour le compte de la société France Nuit, le capital de cette société avait été, par la suite, acquis par la société Jet service. Quelques mois plus tard, la société France Nuit ayant fait l'objet d'une liquidation des biens, Monsieur Bassard assigna alors la société Jet service qui avait, selon lui, repris le contrat de transport, la cour d'appel de Lyon lui avait donné satisfaction277.

Cet arrêt fut confirmé par la cour de cassation, mais pas sur la base de la même règle juridique, la haute cour a plutôt retenu l’erreur légitime, que la notion d’apparence, puisque la société reprenante, a commis la maladresse de garder la dénomination sociale et l’emblème de la société cédée, aux côtés des siennes sur les bordereaux de facturation.

274 cass.civ , 8 juillet 2004, Bull. 2004 II N° 399 p. 336 275 cass.com, 21 octobre 2008, Bull. 2008, IV, n° 174

276 cass.com, affaire ‘Saupiquet-Cassegrain’ 21 janvier 1970, Bull. civ. IV n°28

277 Reinhard (Y), Fusion apparente de sociétés (Com. 2 juin 1992, Bassard/ Sapin es qualité), RTD Com. 1992, p. 641

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Même si la combinaison des dénominations sociales des sociétés fusionnées est une pratique courante, c’est le cas de Gdf-Suez, Elf-Total, Pnb-Paribas…, elle présente, quand même, certains dangers comme la condamnation solidaire de toutes les sociétés représentées sur le papier à en-tête.

2.4. La société mère en qualité de société mandant apparent

Un mandat apparent peut fonder une action en justice contre la société mère. Ainsi, dans un groupe de sociétés, il arrive que cette dernière mandate sa filiale à son lieu et place, pour traiter, voire conclure un contrat, chose par ailleurs très logique dans le cadre des activités d’un groupe.

Ce mandat produit des effets immédiats vis-à-vis de la mère, c’est comme si elle avait elle même conclut l’affaire, à condition, bien sûr, que la filiale n’ait pas outrepassé les limites de la mission qui lui a été confiée, cette filiale pourrait d’ailleurs, se retrancher derrière la société mère, et l’acculer à payer les dettes par elle contractées, vu le fait que le mandat est un contrat fondé sur le consensualisme des parties.

Le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent278, même en absence

d’une erreur pouvant lui être reprochée, si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime279, ceci est justifié par la sécurité des transactions280.

Le mandat apparent pose un problème récurrent, qui est le manque ou l’absence de vérification des prérogatives du mandataire, que ça soit par paresse, par manque de temps ou par confiance dans la partie cocontractante.

278 ass.plén, 13 décembre 1962, bull des arrêts cour de cassation assemblée plénière n°2

279 cass.civ 3 du 22 mai 1968 ; cass.civ3 du 4 novembre 1971, Bulletin des arrêts Cour de Cassation Chambre civile 3 N. 536 P. 383 ; cass.civ 1du 16 juillet 1965 ; cass.com du 21 mai 1968

280 Collart Dutilleul(F) et Delebecque(Ph), Contrats civils et commerciaux, 8ème édition, Dalloz, coll. Précis, p. 546 ; faisant entrer en confrontation la sécurité statique, assurant la conservation des droits, et la sécurité dynamique, assurant l’efficacité des transactions

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C’est ce qui ressort d’une importante décision de la cour de cassation, cette dernière relevait « que si une personne peut être engagée sur le fondement d’un mandat apparent, c’est à la condition que la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandat soit légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient les tiers à ne pas vérifier les dits pouvoirs »281.

La Cour d’appel de Toulouse282, dans le litige opposant la société Sinso, au groupe Frey a

retenu la qualité de mandataire apparent du dirigeant de la filiale par la société mère, elle a dégagé notamment que ce premier a agi en qualité de mandataire apparent, ce qui a donné à croire à la société Sinso qu’elle avait reçu un ordre de la société mère, d’autant plus que l’immeuble sur lequel les travaux ont été effectués ,appartenait au groupe ,et qu’elle n’a été éclairé sur la réalité de la situation que quand ses factures ont été rejetées ,à savoir 10 mois plus tard.

2.5 .La société mère, en qualité de société de fait apparent

Il serait simple de mettre à la charge d'une société mère les engagements de sa filiale, en signifiant que les deux entités ne forment, en fait, qu'une seule et même société. Mais puisque les sociétés doivent, pour leur existence répondre à certaines conditions de forme et de fond, la jurisprudence283d'abord, puis le législateur (article 1873 du code civil) ont construit la notion de société créée de fait, qui désigne la situation dans laquelle deux ou plusieurs personnes se sont comportées ,en fait, comme des associés, sans avoir exprimé la volonté de former une société284.

281 cass.1ére civ, 29 avril 1969,1. D., 197023, note Calais-Auloy ; JCP, 1969,II 15 972,obs. Lindon ; cass.com 5 octobre 1993,bull 1993 IV n°319 p.230 ;voir aussi, CA Toulouse, 11 mai 1994, Bull. Joly Sociétés 1995, p. 662, note C. Rivière.

282 CA Toulouse, 11 mai 1994, Bull joly sociétés, 01 juillet 1995,n°7-8,p.662 ; CA Versailles ch. 12 2é sect. ,2 octobre 2008; C.A Versailles 1ére ch.2é sect,21avril 2000 SA Delmas et autre c/vivier

283 La jurisprudence considérait comme société créée de fait, la société nulle pour absence de publicité, ce qui ne la distinguait pas de la société de fait. Puis, la distinction apparut peu à peu, les sociétés créées de fait devinrent celles qui se sont constituées sans contrat

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La société créée de fait résulte donc de l'activité même de personnes, qui n'ont pas voulu créer véritablement une société285, à la différence de la société en participation, dont l'existence est le résultat d'un acte de volonté des parties286.

D’après l’article 1873 du code civil, la société créée de fait est assujettie aux mêmes dispositions juridiques que la société en participation, par conséquent, la société qui a un objet commercial, est soumise au régime des sociétés en nom collectif (article 1871-1 du code civil) et partant, les associés répondent solidairement et indéfiniment des dettes sociales (article L 221- 1 du code de commerce).

La société créée de fait est un dispositif fort alléchant, du fait des avantages qu’elle présente, en l’occurrence, la possibilité d’étendre la responsabilité consécutive à des engagements souscrits à d’autres associés que ceux qui ont effectivement agi287.

Les tribunaux considèrent que la société créée de fait est une véritable société, et qu'elle doit à ce titre remplir les conditions du contrat de société : apports, affectio societatis, partage des bénéfices ou contribution aux pertes.

Il convient ici de relever que la preuve de l'existence des éléments constitutifs du contrat de société va varier selon que, ce sont les associés eux-mêmes, ou les tiers qui la rapportent. Si la cour de cassation maintient à l'égard des associés, l'exigence de la preuve des différents éléments constitutifs, elle considère qu'aux yeux des tiers, l'apparence d'une société créée de fait doit s'apprécier globalement et indépendamment de l'existence des éléments précités288 .

285 Cass.civ, 13 novembre 1980, Bull des arrêts Cour de Cassation Chambre civile 1, n°293

286Cuisance(A), Particularité et régime juridique des sociétés créées de fait, Bull Joly Sociétés, 01 juin 1992 n° 6, p. 666

287 Jeantin (M), droit des sociétés, 3ème éd, Montchrestien, n°185, p.97

288 Cass. civ.1re, 13 mars 1980 : D., 1981, p. 541, note J. Calais-Auloy ; Paris, 2 février 1983 : Rev.Sociétés, 1984, 542, note C. Philippe ; Cass. Com., 11 juillet 1989, JCP, 1989, éd. E., II, 15415, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain.

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Il suffit donc aux tiers d'apporter la preuve que les personnes en cause se sont comportées comme des associés de fait au vu et au su des tiers.

La société créée de fait ouvre une voie intéressante pour les créanciers en général, et pour ceux des créanciers d’un groupe de sociétés en particulier, dans la mesure où, du fait que les groupes de sociétés n’ont pas de personnalité juridique, et partant, pas de patrimoine social, les créanciers auront la possibilité d’exiger leurs dus, à chacune des sociétés associées, à condition que celles-ci aient laissé entrevoir une apparence de sociétés289. C’est le cas principalement, lorsqu’on cherche à imputer la responsabilité d’une filiale à la société mère. Comme on vient de l’exposer, la jurisprudence offre aux créanciers d’un groupe de sociétés, une panoplie de situations de droit pouvant engager la responsabilité de la société mère et ce, en recourant à la théorie de l’apparence, le tiers doit prouver, en l’occurrence, qu’il s’est malencontreusement fié aux apparences, mais pas seulement, il doit aussi démontrer qu’il était de bonne foi ou qu’il s’est trompé sur la personne du contractant.

Cela dit, et malgré son intérêt pour mettre en cause la société-mère à propos des dettes de sa filiale, la théorie de l'apparence comporte des exigences qui peuvent en limiter la portée et qui, en tout état de cause, ont conduit le professeur Sortais à émettre de sérieuses réserves quant à son efficacité290.

Cet auteur estime qu'il n'est pas possible d'appliquer purement et simplement la théorie de l'apparence car , pour que la responsabilité de la société-mère puisse être recherchée, il ne suffit pas que les créanciers aient pu fonder leur croyance légitime sur une apparence, il faut encore qu'il s'agisse d'une apparence trompeuse et que cette apparence trompeuse soit

289 Dondero(B), exécution du jugement condamnant un fantôme…Bull Joly Sociétés, 01 novembre 2008 n° 11, P. 866 ; cass.civ 2ème ,22 mai 2008, Bulletin 2008, II, N° 125

290 A propos de certaines questions de responsabilité suscitées par les groupes de sociétés. Revue de jurisprudence Commerciale 1977, Op. Cit. Spec .p. 89

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consécutive à une faute de la société-mère291, ce qui ramène le problème à la responsabilité

pour faute et peut rendre plus difficile la mise en cause de la société-mère292.

Ces propos ont été contredits par un autre auteur qui pense, quant à lui, que la théorie de l’apparence peut être mise en avant en absence d’une faute.

II. Responsabilité de la société mère sur la base de la fictivité

D’après l’article 1832 du Code Civil : « la Société est constituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent d’affecter à une entreprise commune, des biens ou leur industrie, en vue de partager les bénéfices ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter et s’engagent à contribuer aux pertes». Le contrat de société, exige donc, en sus de l’accord de volonté des parties, leur engagement de collaborer sur un pied d’égalité pour la concrétisation d’un travail commun : « l’affectio-societatis »293.

Mais, il arrive qu’une structure ne soit qu’une coquille vide, constituée pour des fins qui ne sont pas très honnêtes, dépourvue de tout pouvoir d’action, elle est déviée de son but primaire et de sa vocation légale tels que présentés au niveau de l’article 1832 du code civil suscité. La création d’une société se traduit par la naissance d’une personnalité juridique distincte, autonome vis à vis des personnes qui la forment, et c’est cette personnalité morale nouvellement créée qui peut être source d’abus.

Une société est avérée fictive, lorsque les personnes (physiques ou morales) qui la composent se présentent comme associés, alors qu’ils ne sont en réalité que des comparses d’une autre personne elle-même associée294, ou complètement étrangère à la société.

291 Sortais(J.P), op-cit

292 Cass.Com. 5 février 1991,D. 1992, note d’Yves Chartier 293 Arrêt du 25 avril 1984, Bull. Joly 1984. 1004

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La fictivité d’une société est tantôt assimilée à la théorie de l’apparence295, tantôt abordée

comme une simple espèce de la simulation296, alors que la réalité est bien distincte, la

simulation suppose un acte manifeste et une contre-lettre alors que dans une société fictive, il ne peut y avoir de simulation, car il ya absence totale de l’acte manifeste, qui est l’affectio societatis, élément fondamental dans un contrat de société297.

Pourtant pour Bailly-Masson, l’affectio societatis pourrait ne pas être un élément constamment présent dans la vie sociale comme l'est par exemple, le capital, son existence est potentielle, elle peut ou non se révéler298.La situation est vraie aussi pour les sociétés de

capitaux, et spécialement les sociétés cotées, le défaut d’affectio societatis n’empêche pas l’acquisition de la qualité d’actionnaire , alors qu’on peut acheter une action, à seule fin de s’opposer à une décision de la société299.

C’est ainsi que certains auteurs, tenant compte de la réalité économique et du type de société ont proposé d’opposer l’actionnaire-associé à l’actionnaire-investisseur300, ou l’associé

politique à l’associé investisseur301, et c’est logique, le simple fait d’acquérir des titres, qui

peut être à but purement spéculatif, ne suppose pas nécessairement l’existence d’une affectio societatis.

295 Alors que dans la théorie de l’apparence, les tiers font prévaloir leur bonne foi vis-à-vis de l’apparence reflétée, les tiers qui veulent dénoncer la fictivité d’une société s’attachent à la réalité de la situation, comme quoi la société n’a aucune existence

296 Daigre(J.J), entreprises en difficulté redressement judiciaire (Personnes morales et dirigeants), Rép. Com. Dalloz, décembre 1996

297 Bredin(J.D), Remarques sur la conception jurisprudentielle de l’acte simulé, RTD civ. 1956.261, no 18 ; Marty (G) et Raynaud (P), Traité de droit civil. Les obligations, tome. 2, 2e éd., 1989, Sirey, no 273

298 Bailly-Masson (C) ,la fictivité, une épée de Damoclès disparue Petites affiches, 24 janvier 2000 n° 16, P. 4

299 Cozian (M), et alii, Droit des sociétés, LexisNexis, 25e éd., 2012, n°150

300 Lucas (F.X), « Les actionnaires ont-ils tous la qualité d’associé ? », Revue de droit bancaire et financier, juillet 2002

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