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Les insuffisances de la loi Grenelle

Partie I. La recherche de la responsabilité de la société mère du fait de ses filiales au niveau national

Section 2. Apport et évaluation de la loi grenelle

I. Évaluation de la loi grenelle

2. Les insuffisances de la loi Grenelle

- La grande ressemblance avec l’action en insuffisance d’actif ne passe pas inaperçue, et partant, le risque de conflit ; encore plus si les deux actions sont déclenchées en même temps, puisque l’initiative n’émane pas de la même autorité, préfet pour la responsabilité environnementale et ministère public, autorité de saisine du tribunal en cas d’insuffisance

d’actif. Il ne s'agit donc pas de l'introduction d'un nouveau principe en droit français mais plutôt d'une application à la responsabilité environnementale de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif prévue à l'article L. 651-1 du code de commerce.

- L’impossibilité de couvrir tous les types de lien pouvant unir la société mère et ses filiales. Ainsi, l’action en responsabilité prévue pour la loi Grenelle II n’est ouverte qu’à l’encontre des sociétés détenant plus de 50% du capital de la société objet de la procédure de liquidation judiciaire, de sorte qu’il y a des sociétés qui échappent à ce dispositif723, au sens de l’article

L.233-3 du code de commerce. Il faut direque le lien exigé entre l'exploitant de l'installation et la société mère est le plus strict de tous les liens de subordination. Pourquoi s'être restreint à la définition de l'article L. 233-1 du Code de commerce et ne pas avoir fait référence « au contrôle d'une société par une autre »724 ?

723 Seules sont concernées les filiales au sens de l'article L. 233-1

724 Dupouy(S), La responsabilisation environnementale des groupes de sociétés par le Grenelle : enjeux et perspectives, Droit des sociétés n° 11, Novembre 2012, étude 16

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- La nécessité d’une faute caractérisée, pour engager la responsabilité de la société mère, soulève la question de devoir démontrer cette « faute caractérisée ». La qualification de la faute venant ici subordonner la responsabilité éventuelle.Déjà le concept en soi est difficile à cerner, l’exigence d’une faute de la société mère ayant contribué à une insuffisance d’actif de sa filiale suppose de rapporter la preuve que la société mère a, en agissant, réduit les actifs de la filiale, de telle sorte que celle-ci s’est trouvée dans l’impossibilité de subvenir à ses coûts de fonctionnement et d’assurer le paiement de ses dettes.

II. Nécessité d’une responsabilité de plein droit de la société mère

Même si loi Grenelle II portait dans ses pans un projet ambitieux, les apports sont médiocres et restent en deçà des expectatives. On est toujours en présence d’une responsabilité pour faute et même pour « faute caractérisée », ce qui complique plus la chose, et limite sérieusement les possibilités de faire supporter à la société-mère la réparation du dommage. Il n'en demeure pas moins que le principe de cette responsabilité est admis et avec lui l'idée qu'un actionnaire, même non dirigeant725, peut avoir à assumer certaines dettes sociales. L’article 5 de la charte de l’environnement annonce que « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertain en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».

Ainsi, la prise en charge automatique de la société mère devrait être possible que ça soit pour les cas où il existe un risque ou une menace imminente qu’dommage survienne ou pour la réparation, une fois le dommage survenu.

725 Lucas(F.X), risques et responsabilités induits par les procédures collectives, Revue de Droit bancaire et financier n° 1, Janvier 2013, dossier 13

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L’avant projet Catala de réforme du droit des obligations726 a déjà proposé d’assimiler

clairement la remontée des dettes à un mécanisme de responsabilité civile. Ce faisant, il crée un nouveau cas de responsabilité civile du fait d’autrui, non fondé sur la faute, mais fondé sur l’idée de contrôle, quoique Se poseront toujours alors des problèmes relatifs à la preuve727, et

à l’exercice du contrôle.

Ainsi, dans les groupes de sociétés, la mise en jeu de la responsabilité environnementale entre les sociétés du groupe ne serait possible que par une technique juridique spécifique adaptée et entièrement nouvelle728, puisqu’il faut reconnaître que la responsabilité civile n'est pas un instrument juridique créé ni adéquat pour la défense de l'environnement.

726 L’avant projet Catala propose d’introduire dans le Code civil un article 1360, alinéa 2 : « Est responsable celui qui contrôle l'activité économique ou patrimoniale d'un professionnel en situation de dépendance, bien qu'agissant pour son propre compte, lorsque la victime établit que le fait dommageable est en relation avec l'exercice du contrôle ». Il en est ainsi notamment des sociétés mères pour les dommages causés par leurs filiales… »

727 Article 1360, alinéa 2 : « … lorsque la victime établit que le fait dommageable … »

728Hannoun(C), la responsabilité environnementale des sociétés-mères, Environnement n° 6, Juin 2009, dossier 7

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Conclusion 1ère partie

Comme ça a été exposé, il existe en droit français des brèches par lesquelles on peut s’infiltrer pour lever le voile juridique séparant, en théorie, les filiales de leur société mère, et de chercher ainsi, la responsabilité de cette dernière, mais ces instruments juridiques sont loin d’assurer une efficacité à toute épreuve quant à la responsabilité de la société mère. En effet, beaucoup de plaintes introduites restent sans suite freinées par le bouclier de l’autonomie de la personne morale, qui dilue la responsabilité de la société mère, de là les voix qui se soulevées et qui se soulèvent encore en réclamation d’une refonte de la législation existante pouvant aboutir à une incrimination de la société « contrôlante ».

Un moyen d’y accéder serait d’utiliser la notion de contrôle et la relation de pouvoir que la société-mère exerce sur la filiale et qui entraînerait une responsabilité du fait d’autrui, indépendamment du principe d’autonomie juridique. Il est, en effet, nécessaire de revoir cette notion de responsabilité, et d’étendre cette obligation de vigilance, de contrôle et de précaution à la charge de la société-mère, qui existe d’ailleurs déjà, en d’autres matières, comme en droit comptable, en droit du travail, droit de la concurrence, droit de l’environnement, et qui permettent, notamment, de tirer les conséquences en termes de responsabilité sociale, environnementale ou économique des sociétés du groupe, même si l’approche du phénomène du groupe a été différente dans chaque domaine.

Effectivement, la législation en vigueur est largement perfectible, comme en témoigne le caractère fortement hétérogène des pratiques. De fait, le couronnement de cette construction partielle pourrait consister en la reconnaissance d’une responsabilité plus générale de la société mère pour les actes de ses filiales. Dans cette optique, la doctrine, a tenté d’universaliser le principe de la responsabilité du fait d’autrui à la société mère par maintes

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propositions729, et ce, depuis des années maintenant, mais qui peinent à voir le jour, faute de volonté et soutien de la part du législateur.

La dernière tentative en date à ce niveau, et qui n’a d’ailleurs toujours pas abouti, est celle du projet de loi Canfin qui inclut le devoir de vigilance, et qui exige des groupes de sociétés (principalement les multinationales), qu’elles prennent en compte et préviennent les impacts négatifs en matière de droits humains, d’environnement et de droits des travailleurs, pouvant découler de leur activité.

729 Rapport Cousté, déposé en 1970 et 1978 sur le bureau de l’assemblée nationale, rapport Marini rendu public en 1996, avant-projet Catala 2005, rapport Terré, 2008

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