• Aucun résultat trouvé

Les indices de la fictivité

Partie I. La recherche de la responsabilité de la société mère du fait de ses filiales au niveau national

Section 2. La responsabilité de la société mère dans le cadre extracontractuel

1. L’évaluation de la fictivité dans les groupes de sociétés

1.1. Les indices de la fictivité

Pour s’assurer du caractère artificiel d’une société, les juges prennent en considération un faisceau d’indices concordants , il faut en somme démontrer que la société n’existe pas vraiment , notamment par l’identité des associés, du siège social, de la dénomination sociale, défaut d’affectio societatis, absence d’apport… la confusion des organes dirigeants et celle de la comptabilité constituent également des éléments d'appréciation importants310. Aucun indice

n’est déterminant à lui seul, la réunion de plusieurs indices est le plus souvent nécessaire. La jurisprudence a notamment considéré, établi, les indices de fictivité, dans l’absence d’autonomie patrimoniale de la filiale311, l’absence d’activité économique propre312, ou que les

organes sociaux de la société sont de « simples marionnettes entre les mains de la société mère »313.

307 CA Paris 3e ch. sect. A, 16 nov. 1993, n° 93006469 et 93007591 308 Calais-Auloy(J), op-cit

309 Martin Serf(A), J-Cl Sociétés, V° sociétés fictives et frauduleuses, fasc.7-40, 2003, n°25 reprenant les termes de Calais -Auloy

310 Cass.com. 9 octobre 1967 D. 1968, p. 137, hypothèse d'extension de faillite sur la base de la fictivité 311 Cass. 3e civ, 10 octobre 2007, RJDA 1/08, n° 39

312 Cass. Com., 9 juin 2009, Rev. Sociétés 2009, p. 781, note N. Mathey

96

On peut citer à ce sujet un arrêt ayant retenu la fictivité d’une société qui, financièrement, était sous la dépendance totale d’une autre société, et qui n’avait pas d’activité économique réelle, faute d’activité autonome et d’exploitation effective314.

Certains auteurs ont proposé de déceler la fictivité, à partir de la mise en sommeil de la société315, question qui a donné lieu à d'importants débats doctrinaux, mais la jurisprudence a

coupé court à ces nouvelles donnes, elle se montre plutôt encline au fait qu’une société en sommeil, reste une personne morale autonome, peu importe qu’elle n’ait pas une activité effective316.

1.2. Les conséquences de la fictivité

La société fictive ou société de façade ne répond à aucune réalité, mais aux yeux des tiers, elle apparaît comme une société réelle, puisqu'elle a accompli toutes les conditions de fond et de forme exigées par la loi. Ainsi, il y a une dissociation entre l'apparence et la réalité317.

Qu’une société soit déclarée fictive, ne veut aucunement dire que les opérations conclues dans le passé soient nulles, cette décision présente ainsi l’avantage d’obliger le véritable « cerveau » de l’opération, et dans le cas des groupes de sociétés, c’est généralement la société mère, à endosser les conséquences de son artifice, et devenir ainsi personnellement responsable à la place de la filiale (simple marionnette), société fictive318.

La société fictive n’a ainsi point d’effet envers les tiers319, et l’opposabilité est une sanction

314 Cass.com, 21 novembre 1995, JCP 1996 E .II.852, Daigre

315 Diener (P), « Un abus de la personnalité morale : "les sociétés en sommeil" », in Dix ans de droit de l'entreprise, Litec, 1978, p. 83

316 Cass. soc., 28 mai 1998, Bull. Joly Sociétés, 1998, p. 1177, § 359, note B. Saintourens

317 Sakho (A), le droit et les groupes de sociétés, thèse, université Sheikh Anta Diop, Dakar, 1993 318 Cass. Com., 9 octobre 1967 D. 1968,2, page 137.

319 Dom(J.P), de la fictivité à l’inexistence en passant par la simulation, Bull Joly sociétés, 01 février 2000, n°2, p.219

97

bien plus efficace que la nullité de la société, puisqu’elle évite les inconvénients de l’absence de rétroactivité de la nullité, et la survie de la personnalité morale320.

Aussi, dans le cas d’une société fictive, les créanciers peuvent alléguer la confusion321

véritable entre la société mère et sa filiale qui ne forment deux entités qu’en apparence, et invoquer ainsi contre une société mère, les obligations qui, en principe, pèsent sur la filiale.

2. La sanction de la fictivité

La jurisprudence a longtemps hésité sur la sanction à appliquer en cas de fictivité d’une société. Elle avait le choix entre, d’un côté, la nullité, fondée sur le non respect de l’une des conditions de formation spécifiques au contrat de sociétés, en l’occurrence, l’absence d’affectio societatis, et d’un autre côté, l’inexistence. La question de la sanction de la fictivité est d’importance, notamment pour le créancier qui peut voir ainsi ses droits affectés.

Mais aucune des deux solutions ne semble véritablement appropriée pour sanctionner équitablement la fictivité d’une société, l’idéal serait un rétablissement de la réalité juridique322.

2.1.La nullité ou inexistence de la société

La sanction première de la fictivité est la nullité pure et simple de la société, la tendance des tribunaux est constante depuis un arrêt de la cour de cassation323 datant de 1992.

C’est ce qui ressort d’ailleurs du 1er alinéa de l’article 1844-15 du Code civil, « lorsque la

320 Parachkékova(I), retour sur la définition et la sanction de la société fictive, Bull Joly sociétés, 01 janvier 2012, n°1, p.19

321Guyon(Y), L’extension complète d'une procédure collective n'est possible qu'en cas de fictivité de la société ou de confusion des patrimoines, Revue des sociétés 1993 p. 449

322Commanges(L), « Le dangereux paradoxe de la nullité des sociétés fictives », Bull. Joly sociétés, janvier 2003, page 12, n° 2

98

nullité de la société est prononcée, elle met fin, sans rétroactivité, à l’exécution du contrat », la nullité n’est pas rétroactive, disposition, qui est par ailleurs confirmée par l’article L 235-10 du Code de commerce « Lorsque la nullité de la société est prononcée, il est procédé à sa liquidation conformément aux dispositions des statuts ».

Ainsi, la nullité de la société n’est valable que pour l’avenir324, mais se prescrit au bout de

trois ans ; tous les actes par elle conclus avant le prononcé de la nullité, demeurent valides et sont considérés comme réalisés par une société de fait325, avis qui n’est pas partagé par toute la doctrine, parcque on risquerait de reconnaître comme valides pour le passé, des actes accomplis par des sociétés dont l’objet était illicite326.

La fictivité d'une société n'entraîne donc pas sa nullité, elle permet d'étendre la procédure de liquidation judiciaire à la société maître de l’affaire qui se cache derrière le paravent de la société fictive, les dirigeants ou les associés peuvent voir ainsi leur responsabilité civile engagée327, une procédure unique s'ouvre alors aux deux sociétés dont le patrimoine devient le

gage commun des créanciers de ces sociétés328.

L’inexistence, quant à elle, est rétroactive et imprescriptible. Par contre, elle n’offre plus la possibilité de recourir à une procédure collective. Certains auteurs ont appuyé cette vision des choses, en considérant que le mal dont souffre la société est tellement important qu’il remet

324 Cass. Com, 22 juin 1999, n° 98-13611,Bull 1999 IV, n° 136 p. 113

325 M.Cozian,et alii, Droit des sociétés, éd. Litec, 12ème éd., 1999, page 78, n° 228

326 Cutajar-Riviere(C), « La société-écran : essai sur sa notion et son régime juridique », éd. LGDJ, 1998, page 369, l’auteur dit « Cette solution heurte l’idée de justice et la sauvegarde des intérêts de bonne foi ne saurait justifier une telle atteinte [..]. En effet, faut-il admettre qu’une société qui a exercé une activité de blanchiment de fonds dont la provenance est illicite ou qui a organisé la prostitution internationale durant de nombreuses années soit simplement dissoute ? Doit-on en déduire que les contrats conclu par la société avant son annulation sont valables ? Doit-on reconnaître qu’une telle société puisse être liquidée entre les associés conformément aux statuts… »

327 Selon l’article 1844-16 du Code civil, « ni la société ni les associés ne peuvent se prévaloir d’une nullité à l’égard des tiers de bonne foi. »

99

en cause son existence même329. D’autres auteurs ont estimé que l’inexistence était

inapplicable, car une société immatriculée au registre du commerce et des sociétés dispose de la personnalité morale, et a donc une existence propre.

La cour de cassation330, a eu ainsi à se prononcer sur la sanction à appliquer à une société fictive. Dans le cas d’espèce, une société avait été créée juste pour pouvoir constituer une hypothèque au profit d’une banque étrangère, elle ne disposait d’aucune activité réelle, ni même de structure.

La question est d’importance en pratique, notamment pour le créancier qui s’est vu consentir une hypothèque par la société. Si on retient l’inexistence de la société, l’hypothèque ainsi que tous les actes passés par la société seront considérés comme inexistants et seront donc annulés. Le créancier hypothécaire sera alors relégué au simple rang de créancier chirographaire, c’est-à-dire au même rang que les créanciers non munis de sûretés. Si en revanche, on retient une nullité mais sans rétroactivité, l’hypothèque restera valable. Le créancier hypothécaire conservera sa place prioritaire pour le paiement de sa créance. La Cour de cassation fidèle à elle-même, a retenu la nullité, l’inexistence aurait eu pour effet systématique de rendre caducs tous les actes passés par la société en cours de sa vie sociale. La Cour de cassation assure ainsi une protection aux tiers, les actes que ces derniers ont pu passer avec la société sont maintenus. En l’espèce, le créancier hypothécaire conservera donc le bénéfice de sa garantie.

2.2. Défaillance des solutions

329 Calais-Auloy, Rép. Dalloz Sociétés, op-cit

100

Comme on l’a vu ci-dessus, la sanction d’une société fictive varie entre la nullité et l’inexistence, mais aucune des deux qualifications n’est exempte de quelques remarques. Le prononcé de la nullité d’une société fictive a été rapproché de la nullité en raison de l'utilisation du critère du défaut d'affectio societatis ; Un auteur, dont nous partageons l’avis par ailleurs, estime, que la fictivité devrait être dissociée de la nullité331 : « Avant d’être une

cause de nullité des sociétés, la fictivité remettait en cause sa personnalité morale». La fictivité, à l’origine, devait sanctionner le vice touchant la personnalité morale, la nullité, sanction finalement retenu, est la « sanction maximale » des vices de formation d’un contrat de société332, alors on est entrain de sanctionner la société ou les actes conclus par elle ? Pour

la cour de justice européenne, la nullité de l'apport ne constitue pas une cause de nullité de la société anonyme et ne peut fonder sa fictivité333.

Pour ce qui est de l’inexistence, elle soulève de profondes objections pour une partie de la doctrine334, on lui fait le grief335d'être incertaine, illogique (l'acte existe, et le non-respect de

ses conditions appelle la nullité), et inutile (ses effets sont ceux de la nullité absolue)336.

La fin voulue par les dirigeants ou associés qui, ont été à l’origine du montage d’une société fictive est justement de présenter une image qui ne reflète pas la réalité, et ce dans le but de porter atteinte aux droits légitimes de telle ou telle personne. Il est difficile d'imaginer ici une simulation pour un but noble337 , la juste sanction devrait être la négation des personnes

331 Commanges(L), « Le dangereux paradoxe de la nullité des sociétés fictives », op-cit 332 Mémento pratique Francis Lefebvre Sociétés commerciales, 1992, n° 120

333 CJCE, 13 novembre 1990, Marleasing SA ;Bull. Joly Sociétés, 1991, p. 192, § 60 ;voir aussi, Les causes de nullité des sociétés : l'impact de la 1ère directive CEE de 1968 sur les sociétés, interprétée par la Cour de justice des Communautés européennes, Bull. Joly Sociétés, 01 février 1991 n° 2, P. 123§41,on parle de la contradiction frontale entre le droit français et la solution retenue par la Cour de justice européenne 334 LeCannu(P), inexistence ou nullité des sociétés fictives, Bull. Joly Sociétés, 01 septembre 1992 n° 9, P. 875

335 Weill(A) et Terré(F), Droit civil, Les obligations, Dalloz, 3e éd. n° 568 336 LeCannu(P), op-cit

101

morales fictives pour ces comportements frauduleux338, et le rétablissement de cette réalité

qu’ils ont voulue éviter ou cacher et de leur faire assumer leurs obligations en tant que personne morale.

§2. Responsabilité de la société mère pour des actes non frauduleux

Outre la théorie de l'apparence et de la fictivité vues avant, qui sont des actes frauduleux, la jurisprudence a parfois recours à la notion d'immixtion dans la gestion, lorsque les diverses sociétés d'un groupe se présentent comme une entité unique. L’absence d'autonomie de l'une des filiales et l'immixtion des autres sociétés dans sa gestion justifient ainsi la condamnation in solidum339 du groupe vis-vis des créanciers de la filiale.

Le fait d’appartenir à un groupe de sociétés présuppose que la société filiale, aura, à moment ou un autre de sa vie sociale à courber l’échine devant la société mère, puisque celle-ci serait encline à user ou abuser de la situation de subalternisation dans laquelle se trouve sa filiale. Mais en agissant de la sorte, et suivant son degré d’intervention, la société mère peut se voir poursuivie pour immixtion ou pour violation de l’autonomie juridique et patrimoniale de sa fille, soit directement attraite sous le régime de l’article 1382 pour faute.

À la différence de la fictivité et de l’apparence trompeuse vues avant, l’immixtion n’est pas un acte frauduleux.

I. L’immixtion dans la gestion de la filiale

Les risques pris dans la gestion sont une composante de la responsabilité340, du fait de l’ascendant qu’a la société mère sur ses filiales, que ça soit pour l’intérêt commun, pour la

338Dekeuwer-Déffosez(F), groupe de sociétés contrats et responsabilités, colloque du laboratoire d’études et de recherches appliquées au droit, op-cit

339 Cass. Com, 4 mars 1997, n° 95-10.756, Bull 1997 IV ,n° 65 p. 58

340Pariente(M), l’immixtion dans la gestion et l'absence d'autonomie d'une filiale fondement de la responsabilité in solidum des sociétés liées, Revue des sociétés 1995 p. 85

102

dominance économique, pour la stratégie adoptée … il s’avère des fois comme inévitable que la société tête du groupe s’immisce dans les affaires de sa filiale, voire même, la somme à prendre des décisions qui peuvent aller à l’encontre des ses propres intérêts, ce qui va abattre les cloisons juridiques conçues comme des cloisons étanches341.

Ces agissements vont à l’encontre de l’autonomie juridique et patrimoniale de la filiale, et peuvent engager la responsabilité de la société mère sur la base de l’article 1832 du code civil. À ce niveau, il faut souligner la nuance entre d’un côté, l’intervention de la société mère dans les affaires de sa filiale, d’une manière ponctuelle et sporadique, ou à l’occasion d’une opération bien précise, où ses bons offices sont préconisés, voire, recommandés, soit pour son image de marque, son poids économique, son rôle de garant … dans ce cas, il s'agit d'un rapport précis dans une affaire, que l'on peut à la fois définir et isoler du reste, l’immixtion, à ce moment est une intervention ponctuelle à l'occasion de la réalisation d'un acte juridique passé par autrui342,et d’un autre côté, l’immixtion de la société mère dans les affaires de sa filiale de manière permanente, en s’interposant entre elle et ses clients ,fournisseurs et salariés sur toute la ligne.

Mais le critère de l’immixtion ne serait plus, à lui seul, suffisant, pour rechercher la responsabilité de la société mère, en effet, dans l’affaire « Tapie » du 9 octobre 2006343, les

juges retenaient que pour engager la société mère , il fallait que l'immixtion de celle-ci dans l'exécution du mandat délivré à sa filiale, ait été de nature à créer pour les mandants une apparence trompeuse, propre à leur permettre de croire légitimement que cet établissement était aussi leur contractant .

341 Cozian et Viandier, Droit des sociétés, Litec 1988, P. 472 n° 1962

342Marteau(M), « La notion d'acte de gestion et de droit des sociétés », thèse 1992, p. 496 343 Lucas (F-X), n° 06-11.056, Bull. Joly, 2007. 57, n° 5 ; RTD com. 2007. 207, obs. Legeais (D)

103