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La société et le handicap : une relation de donnant-donnant / gagnant-gagnant

«Quand il y a handicap, l’Homme et Dieu ne sont jamais comme avant » (Hubert, D., 2009). En effet, le handicap dans une société ne peut laisser indifférent. Il bouscule les codes sociaux et spirituels121, il biaise des connaissances pré-acquises, il interroge à juste titre sur l’Homme et la société. Pour le philosophe Comte-Sponville, l'existence des personnes en situation de handicap nous oblige par exemple à conclure que « toutes nos définitions fonctionnelles de l'humanité sont fausses, puisque aucune fonction ne fait l'humanité, puisqu'un être humain reste évidemment et intégralement un être humain lorsqu'il a cessé de "fonctionner" normalement ou lorsqu'il n'a jamais pu "fonctionner" normalement » (Comte-Sponville, A., 2007, p. 22). Les types de prise en charge du handicap se sont multipliés et succédé dans le passé et continuent encore aujourd’hui. Les « charges » du handicap portées par la société sont de diverses formes : ce sont des « charges » humaines (il faut assez de personnel qualifié : Mme C., Ent3_TP06_L28-30 / Ent3_TP10_L3-4), financières (il faut une mobilisation de beaucoup de ressources financières122 :

Ent3_TP07_L12-13 / Ent3_TP21_L14-15 / Ent3_TP21_L45-49 / Mme D., Ent4_TP), culturelles (Mr B., Ent2_TP24_L29-35), etc. Le handicap est vu presque comme un

121 « Le discours, la pensée et les actes autour du handicap et de la vulnérabilité ne sont pas totalement dégagés

de la sphère religieuse » (Poizat, D., 2005). Au contraire, le handicap semble avoir été et continue d’être une préoccupation de la religion. Certains auteurs comme Foyer, D. (2009), Dumont, E. (2013) ou encore Doat, D. (in Besmond de Senneville, L., 2013) parlent de théologie du handicap.

« fardeau » pour la société. Autant d’arguments pour nourrir les réactions eugénistes qui prônent la suppression de certains êtres humains en raison de leurs handicaps. A l’extrême opposé des eugénistes, certaines réactions sont bien intentionnées et souvent « trop charitables » (donc n’attendant rien en retour) comme si le handicap n’avait rien à donner en échange.

Il est un autre versant du handicap que les lanternes n’éclairent pas très souvent : il s’agit de cette facette du handicap qui se donne à lire comme un service rendu à tous. « Prendre le handicap au sérieux, ce n'est pas d'abord le nier ou le dissoudre dans l'universelle finitude. C’est l'affronter dans sa particularité, comme un défi, comme une incitation à penser, et essayer d'en tirer, peut-être, quelques leçons » (Comte-Sponville, A., 2007, p. 17). Le handicap, au-delà de ce qu’il peut engendrer comme « douleur » aux personnes qui le portent, reste un atout et une leçon. En effet, nombreuses sont les évolutions médicales, sociales, éducatives, scientifiques ou technologiques réalisées en premier lieu pour le compte des personnes en situation de handicap et qui ont été ensuite mises au service de tout le monde. Quand la société répond aux besoins des personnes en situation de handicap, elle crée ou améliore des cadres sociaux plus propices pour tous. « A chaque fois qu’une initiative est prise pour répondre aux besoins générés par tel ou tel type de handicap, c’est à la société tout entière que profite la mesure prise » (Gohet, P., 2011, p. 10).

Le handicap peut ainsi être au service de tous, et ce, dans tous les milieux sociaux. Mme C. et Mr B., concernant le milieu universitaire et celui du lycée et du collège témoignent :

« Moi je pars à l’université j’explique toujours que quand on fait quelque chose pour un étudiant en situation de handicap, pour un personnel en situation de handicap, pour un visiteur en situation de handicap, n’importe qui, ça profite à plein d’autres gens. Ce qui est indispensable à celui-là parce que lui il a un handicap donc lui il ne pourra pas fonctionner s’il n’a pas cette aide-là sous quelques formes que ce soit, ça va être utile à plein d’autres gens » (Mme C., Ent3_TP22_L20-25).

« D’une manière générale, ce qui est fait pour ces enfants en situation de handicap, en terme d’aménagement pédagogique, peut profiter à tous les élèves, c’est pas une charge. Au début, les enseignants le perçoivent comme

un travail supplémentaire ou une charge. Mais tout simplement si vous avez un élève dyslexique qui a une difficulté avec le code écrit, on sait par exemple que pour ces élèves dyslexiques il faut utiliser une certaine police de caractère et il faut utiliser une certaine taille de caractère. Quand vous faites ça pour cet enfant-là, vous le faites pour tous les autres élèves. Quand vous êtes professeur d’histoire géographie, vous avez un élève dyspraxique, qui a des problèmes de repérage dans l’espace et cetera, bon si vous donnez des documents avec des cartes et cetera sans les adapter, aménager votre document, le dyspraxique ne peut rien faire en terme d’évaluation en terme de travail. Donc si vous adaptez votre document pour lui, vous l’adaptez aussi pour tous les autres. Alors, voyez, ce qui est profitable à ces enfants-là est profitable à tous les autres » (Mr B., Ent2_TP16_L57-69).

Pour rebondir sur ce propos de Mr B., il est évident que l’adaptation en question n’est pas chose aisée d’autant plus que les enseignants ne sont pas toujours formés pour.

La relation qu’entretiennent la société et le handicap sur bien de domaines, pourrait ainsi se lire autrement que sur le seul pôle de la « solidarité », c’est-à-dire sur un plan où toutes les deux parties se rendent service, l’une à l’autre et vice versa dans un esprit d’échange. Car « toute relation qui ne serait pas un échange, conduirait à la soumission de l’un à l’autre, à la disparition des identités. Seule la réciprocité permet de se conserver soi- même, sans fusion ni confusion, sans soumission ni domination » (Ladsous, J., 2010). Cependant, cette relation de « partenariat » n’est pas toujours mise en avant, et il n’est donné seulement qu’aux « grandes sociétés » soucieuses de leurs bonnes relations avec les personnes en situation de handicap, d’y penser.

3. « Dis-moi quels sont tes rapports avec le handicap et je te dirai quelle société tu es ! »

« A la manière dont une société traite certains phénomènes significatifs, elle se révèle. Le problème du handicap est de ceux-là. Parler des personnes handicapées avec quelque pertinence, c’est dévoiler les profondeurs sociales » (Stiker, H.-J., 2005, p. 13). La présence du handicap dans la société est bien normale voire inévitable. « Longtemps confiné dans le secret familial et isolé dans les lieux spécifiques, le handicap occupe l'espace public »

(Blanc, A., 2015, p. 11). Mais les manières avec lesquelles la société appréhende le handicap et les places qu’elle lui réserve témoignent de sa sublimité, ou au contraire de son « handicap » à elle. Les questions qu’elle se pose à propos du handicap et les façons d’y apporter des solutions témoignent « d'une vision de l'Homme en général, d'un imaginaire collectif, qui contribue à dessiner des manière de voir et d'agir » (ibid., p. 14).

Une société se révèle à travers ses rapports au handicap. Une grande société est une société qui accueille bien « ses handicapés ». Car « si une société est capable de penser et de se confronter avec succès aux questions du handicap, elle deviendra plus empathique, plus sécurisante dans son sens de la communauté, et plus compréhensive à la fois de la dépendance, de la vulnérabilité humaine et de la nature humaine et son potentiel » ( Jonathan Wolff cité par Sanchez, P., 2014, p. 13). A l’opposé, comme on peut le lire sur la quatrième de couverture de Voies et voix du handicap (Jouan, M., 2013, dir.), « chaque fois qu'une personne n'est pas (ou n'est plus) en situation de faire valoir les mêmes droits que les autres du fait de son handicap, c'est le fonctionnement de nos sociétés démocratiques qui est mis en jeu » (Jouan, M. (dir.), 2013).

4. Vers une approche socio-éthique du handicap