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2. Le handicap et sa place à l’école : vers de nouveaux jours

2.1. De l’intégration à l’inclusion scolaire : il a bien fallu du chemin

2.2.3. La formation des enseignants au handicap

La possibilité de scolarisation des enfants en situation de handicap en milieu ordinaire préconisée par la loi de 2005 enchante plus d’un : des acteurs de plusieurs milieux (familles, professionnels, y compris nos quatre enquêtés, etc.) trouvent en ces dispositifs de la loi, une innovation de taille97. Pendant longtemps, les « spécialistes » du handicap se

trouvaient uniquement dans des établissements « spécialisés ». Les tendances renversées, les enfants en situation de handicap se retrouvent à l’école ordinaire et parallèlement, les enseignants en face de nouvelles réalités, en face d’une population « inconnue ». Comment alors y faire face ? Comment prendre en compte la diversité des handicaps dans l’espace classe ? Parce que, pour que la présence en milieu ordinaire de l’élève en situation de handicap ne soit pas juste de la figuration, il faut qu’il y ait de la qualité dans les adaptations chez ses enseignants.

Tout d’abord, un enseignant a sa personnalité, ses connaissances sur le monde, ses sensibilités et ses expériences, mais nous pensons que le cadre de sa profession scolaire, c’est sa formation qui devrait constituer l’un de ses réels contacts avec le handicap. Le métier d’enseignant s’apprend (Mr B., Ent2_TP19_L22-23). « Pour arriver à repérer ce qui fait problème chez chaque enfant, enfin ce qui est besoins pour chaque enfant, ce dont il y ait besoin chez chaque enfant, il faut quand même avoir l’œil exercé pour » (Mme C., Ent3_TP12_L17-19). On ne peut pas prétendre enseigner et ignorer à qui cet enseignement est destiné. Or, il se trouve que cette formation fait défaut. Nos enquêtés n’ont pas manqué de déplorer le fait. Le déficit en matière de formation des enseignants est une certitude pour Mme C. : « dans la formation des enseignants ; dit-elle, il y a quelques heures consacrées au handicap. Mais c’est vraiment pas suffisant, c’est évident » (Mme C., Ent3_TP14_L5-6). Les enseignants sont amenés ensuite à se former sur le tas avec des formations continues ou seront obligés, seulement une fois sur le terrain, d’apprendre « au fur et à mesure à comprendre le handicap de l’enfant » (Mme D., Ent4_TP18_L6). Certains enseignants se

97 Plusieurs personnes aussi dénoncent la « fourberie » de ces dispositifs, comme dans ce témoignage de Gillig,

J.-M., (2007) : « En septembre 2006, à l’initiative du docteur Catherine Dolto, a été lancée une pétition nationale ayant recueilli plus de 500 signatures de la part de médecins scolaires, pédopsychiatres, pédiatres, professionnels et parents, qui veulent dire « NON au nouveau dispositif d’intégration scolaire ordinaire défini

par la loi du 11 février 2005 ». Ce dispositif, y est-il écrit, « se sert du désespoir des parents… peut mettre ces enfants en danger, les priver de soins et les abandonner à leur sort » et susciter de « gravissimes dangers…

retrouvent en exercice sans formation du tout, ni initiale98, encore moins une formation au

handicap. Bien qu’il y ait des formations continues, qui leur soient proposées en rachat, le déficit de connaissances en matière de handicap reste notable.

D’autant plus que les handicaps peuvent être souvent multiples dans une même classe ; et que « très largement, la diversité dans une classe est une difficulté pour l’enseignant et pas une source d’enrichissement » (Mr B., Ent2_TP14_L28-31). Cette situation suscite même souvent des plaintes chez les enseignants : « c’est évident […], explique Mme C., vous avez des enfants qui arrivent c’est difficile de prévoir quels types de handicap ils vont avoir » (Mme C., Ent3_TP12_L6-12). Ce serait seulement suite à la découverte effective du « panel de handicaps »99 auxquels ils auront affaire que les enseignants peuvent mettre en place des adaptations à leurs pédagogies pour essayer d’en tenir compte, ce qui demandera de développer des spontanéités. Former les enseignants aurait ainsi pour but de leur faire découvrir qu’ « en faisant une adaptation intelligente de leurs ressources, ils arrivent quand même à couvrir un champ relativement large » (Mme C., Ent3_TP13_L9-12) ; il s’agira ainsi de trouver comment transformer leurs pratiques pédagogiques100 pour prendre en compte les besoins de chacun des élèves (Mr B., Ent2_TP15_L12-14). Leur formation devrait aussi permettre de s’inscrire dans un cadre général où l’enseignant ou le futur enseignant acquiert les bases sur les droits de l’enfant : « on est dans un Etat de droit, donc il n’est pas possible qu’un enseignant méconnaisse les droits des enfants » (Mr B., Ent2_TP29_L11-12). Heureusement, les choses évoluent ; d’après Mme D., des modules sur le handicap, qui jusqu’à présent n’étaient pas forcément prévus, commencent à être pris en compte dans la formation des professeurs (Mme D., Ent4_TP18_L3-5). Des acteurs comme Gillig, ancien inspecteur de l’Éducation nationale chargé de l’Adaptation et de l’intégration scolaires, ont déjà appelé à ce que la formation initiale et continue des maîtres des classes ordinaires aux problématiques des enfants et adolescents en situation de handicap soit revue intégralement. Réduite seulement « à une petite poignée d’heures, elle est absolument incapable de préparer les enseignants à leurs

98 Mr B. témoigne que la formation des enseignants a été interrompue de 2007 à 2012 pour des raisons

politiques, mais aussi pour le fait que la formation à l’enseignement avait été jugée « inutile » : « pour devenir enseignant il suffisait d’aller se former sur le terrain et puis ça allait bien quoi voilà ! » (Mr B., Ent2_TP19_L4- 5).

99 Pour Mme C., « un enseignant aura rarement un panel de 10 troubles différents qui nécessiteraient une prise

en charge très spécifique » (Mme C., Ent3_TP13_L7-9).

100 Pour Mr B., il reste « encore beaucoup de travail pour transformer les pratiques pédagogiques en ce qu’on

missions si l’on songe que tous seront un jour ou l’autre dans leur carrière confrontés à l‘accueil d’un élève handicapé » (Gillig, J.-M., 2007).

En outre, ces propos de Mme C. résument assez bien l’évolution des réactions des enseignants à propos de l’inclusion en milieu ordinaire des enfants en situation de handicap :

« Il y a quelques années de ça avant quand on demandait aux enseignants […] s’ils pouvaient accueillir un enfant handicapé dans leurs classes […], (ils) disaient oulalah non il ne pourra pas venir à l’école, il ne sera pas en sécurité

et puis moi je sais pas faire, enfin bon […]. Et puis chemin faisant, […]

deuxième enquête, on demandait aux enseignant alors, après la loi et là ils disaient oui les enfants ont le droit d’être à l’école, bien sûr il faut qu’il soit à

l’école, mais moi je ne suis pas formé, je sais pas faire. Et aujourd’hui, ils ont

tendance à dire oui ils sont à l’école par contre, alors y a des choses que je sais

faire y a des choses que je sais pas faire. Voyez, on a évolué comme ça, en

plusieurs temps, je pense qu’on a évolué » (Mme C., Ent3_TP23_L9-24).

A côté de cette question de formation des enseignants se soulève une autre liée à l’ « évaluation ». Cette problématique touche largement tout le système scolaire et est même en chantier général depuis deux ans101. Pour Mr B., « l’enseignant français a un rapport à la

norme, à la norme scolaire, au programme et cetera, et il attend de ses élèves qu’ils se mettent à la norme et qu’ils soient tous performants et cetera » (Mr B., Ent2_TP14_L31-33). Cet attachement à la « norme » générerait en effet des conséquences indirectes (peut-être assez directes) et des méandres divers autour de l’évaluation. « Comment on diversifie, comment on différencie, comment nous changeons nos méthodes d’évaluation, c’est tout le débat sur

la notation, pas la notation et cetera, ce que nous appelons une évaluation sanction ou une

évaluation positive qui invite l’élève à progresser » (Mr B., Ent2_TP15_L21-25). Il faut ainsi évaluer de sorte à faire évoluer les élèves et non pour les « sanctionner ». Pour Mr B., une réforme des systèmes d’évaluation serait même très nécessaire : « il me semble que la réforme la plus importante c’est celle de l’évaluation, d’avoir une autre approche d’évaluer les compétences. Evaluer pour apprendre, pour progresser, mais pas évaluer pour

101 La question de l’évaluation avait été au cœur de la Conférence nationale sur l’évaluation en juin 2014 qui

devait contribuer à la construction d'une nouvelle politique d'évaluation des élèves au service des apprentissages (www.education.gouv.fr). Ainsi, pour la rentrée scolaire 2016 par exemple, les modalités d'évaluation vont évoluer, « privilégiant une évaluation positive, simple et lisible, qui valorise les progrès,

sanctionner. Il me semble que le nœud il est là » (Mr B., Ent2_TP25_L9-11). Selon lui, les pratiques d’évaluation centrées sur « les savoirs normés » ne peuvent donner lieu à aucune pédagogie différenciée (Mr B., Ent2_TP25_L12-14). Il faut donc « changer véritablement les pratiques d’évaluation dans le système éducatif » (Mr B., Ent2_TP25_L3). Il faut aussi que l’enseignant s’engage dans une autre manière d’approcher la construction des compétences de l’élève, son savoir, son savoir-faire et son savoir-être (Mr B., Ent2_TP25_L14-17). Les questions qu’il convient de poser, selon toujours Mr B., c’est comment changer le regard de toutes les personnes impliquées dans cette scolarisation parce que pour lui, « fondamentalement, le changement, la transformation de notre école passe par un changement culturel » (Mr B., Ent2_TP24_L31-32). Les élèves (en situation de handicap ou non) eux-mêmes ne sont pas en reste : ils sont dans l’esprit de l’évaluation/compétition au point de jalouser quelques fois des aménagements particuliers destinés à leurs camarades (Mr B., Ent2_TP14_L45-49). D’autre part, cette compétitivité conduit les parents d’élèves à contourner la carte scolaire à la quête de ce qu’ils estiment être « le bon collège » et fuir « le mauvais collège » (Mr B., Ent2_TP14_L34-38). Ils contribuent fortement à établir ce système d’évaluation par un ensemble d’exigences : ils demandent des notes et des devoirs à la maison, etc. (Mr B., Ent2_TP25_L7-9).

« L’accentuation de la compétition scolaire dès le plus jeune âge est un obstacle à la compréhension de l’autre différent et l’acceptation de l’autre différent. Savoir qu’on a une demande sociale aujourd’hui qui est adressée à l’école dès l’école maternelle, qui est une demande de sélection, de compétition, dès le plus jeune âge […] Les parents comparent le stade de développement de leur enfant tout jeune, ah oui mais tout jeune on compare les performances des enfants. Et celui qui n’est pas performant au même âge que les autres, il est regardé comme anormal, en retard et cetera. On consulte de plus en plus jeune les psychologues, les orthophonistes. Et c’est bien l’expression d’une angoisse des familles face à la compétition scolaire et à la sélection » (Mr B., Ent2_TP20_L14-23).

Mais pour Mr B., d’une manière générale, il y a de l’évolution. « Globalement les choses progressent. Fort heureusement. On trouve encore des réactions du type ils seraient

mieux ailleurs que dans ma classe, parce qu’ailleurs ils seraient mieux pris en compte et

minoritaire. Donc on voit bien que les mentalités évoluent » (Mr B., Ent2_TP15_L2-8). En plus, les enseignants sont entourés par des collaborateurs de champs divers, des auxiliaires et autres personnes qui aident à l’organisation de la vie scolaire des élèves en situation de handicap, suppléant en quelque sorte aux manques (de formation et en nombre) des enseignants (Mme C., Ent3_TP10_L1-5). Mme D. souligne par exemple le soutien qui est accordé aux instituteurs par les SESSAD102, qui les aide à comprendre et à mieux prendre en compte les handicaps des enfants (Mme D., Ent4_TP19). D’autre part, il faut noter et saluer le dévouement de certains enseignants qui se posent les bonnes questions, qui cherchent et trouvent des solutions, des outils, qui les essayent avec leurs élèves, et qui enfin réfléchissent à ce qui va et ce qui ne marche pas, etc. (Mme C., Ent3_TP15). « Bien évidemment il y a des enseignants, il y a des personnes, des directions qui sont pleinement persuadés, qui sont impliqués dans la construction d’une école inclusive, donc, qui eux- mêmes ont un regard très bienveillant sur l’autre » (Mr B., Ent2_TP14_L25-28).