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2. Le handicap et sa place à l’école : vers de nouveaux jours

2.3.1. Des représentations sociales de la surdité, de la personne sourde et de la langue des signes

2.3.2.3. La place de la LSF dans les établissements scolaires

Il est à noter que, si les établissements qui dispensent un enseignement de la LSF (langue enseigné) sont relativement nombreux, quelques-uns seulement, malgré la reconnaissance du statut de la LSF comme langue à part entière, donnent des enseignements

en LSF (langue d’enseignement) (Gachet, P.-F., 2010) ; et à cet enseignement de la LSF ne

sont consacrées que seulement quelques heures108 par semaine (Courtin, C., 2009). La LSF

est ainsi statuée comme une « langue seconde » ; pourtant un enseignement de la langue des signes comme langue seconde ne saurait vraiment profiter à ceux dont c’est supposé être « la langue première », ni leur permet d’en « approfondir la maitrise et de s’exercer à son maniement » ; ce serait plutôt, paradoxe, aux élèves entendants « désireux d’explorer des langages exotiques » que cet enseignement présenterait des avantages (Benoit, H., 2003, pp. 120-121)109. Le bilinguisme préconisé semble ainsi être vu du point de vue des élèves entendants et programmé à leur avantage : la LSF est une langue facultative110. Cela révèle une fois de plus que l’élève sourd est vu comme un « entendant qui n’entend pas »111 et le

choix possible du français sans la LSF en est la preuve : comme l’enfant entendant l’anglais, l’espagnol ou la LSF, l’enfant sourd a le choix entre le français et la LSF ou plutôt entre la LSF et pas la LSF. On peut ainsi entrevoir ce système de fonctionnement envers les élèves sourds comme une fabrique d’ « égarés linguistiques », parce qu’aucun enfant sourd112 n’arrive à l’école avec un niveau de maitrise du français comparable à celui de ses pairs entendants, et que très peu seulement y arrivent déjà avec un niveau de maitrise de la LSF comparable au niveau de maitrise du français par leurs pairs entendants (généralement, ce sont les enfants des parents sourds signeurs113). La langue des signes ne devrait donc pas se

présenter pour ces élèves sourds comme seulement une langue subsidiaire. Mais force est de constater que l’introduction de cette langue « repose davantage sur ce que l’on pourrait qualifier de « nécessité » face aux difficultés de l’enseignement/apprentissage auprès de jeunes enfants sourds et nettement moins à travers une réflexion globale sur ce que peut impliquer le bilinguisme et le biculturalisme dans un contexte pédagogique » (Mugnier, S., 2006, p. 429).

108 L’enseignement de la LSF sera dispensé aux élèves concernés dans le cadre horaire de l'enseignement du

français : http://www.education.gouv.fr/cid22247/mene0817503a.html

109 Nous osons citer ici l’écrit de Benoit, H., qui date pourtant de 2003. Il faut croire que les choses n’ont pas

vraiment changé depuis.

110 Roussel (2013) dira de l’option de la LSF comme l’épreuve facultative au bac qu’elle dessert

majoritairement des entendants en langue 3 ou 4 (Roussel, V., 2013)

111 Courtin, C., ( 2009).

112 Exception peut-être pour le cas des moins fréquents d’un enfant devenu sourd après avoir déjà acquis assez

le français oral.

113 Des études internationales montrent que « l’enfant sourd de parents Sourds signeurs a un développement

La problématique du bilinguisme en contexte scolaire de l’enfant sourd est d’autant plus complexe et Mme D. n’en était pas venue par quatre chemins dans sa comparaison : « ben c’est comme les enfants qui sont franco-américains je sais pas euh pour moi. (rire) non mais y a plein d’enfants qui sont bilingues […] Y a des enfants qui sont dans le bilinguisme parce qu’ils ont un parent euh qui parle une autre langue » (Mme D., Ent4_TP22_L3-6). Avant tout, il convient de repréciser la distinction qu’il y a entre les enfants sourds selon leurs situations familiales, selon qu’ils aient des parents eux-mêmes sourds ou non, signeurs ou pas. Parce que la confusion et la standardisation des cas (et donc l’annihilation des réels besoins particuliers) constituent une des difficultés majeures à laquelle est souvent confrontée l’éducation bilingue des enfants sourds. Si l’enfant sourd (déjà signeur ou pas) à son arrivée à l’école peut à quelques égards être comparé à un enfant de parents fraîchement immigrés par le fait que tous deux arrivent sans partager la langue dans laquelle on prétendra leur enseigner (Courtin, C., 2009), leurs cas restent opposés pour ce que tel enfant (l’enfant franco-américain) peut acquérir le français ou l’anglais ou les deux à la fois comme langues premières, tandis que pour tel autre, l’enfant sourd, la seule langue qui pour lui, pourrait être l’équivalent théorique d’une première langue, est la langue des signes (Cuxac, C., 1991). De même, si le bilinguisme dans le premier cas peut être dû au fait que l’enfant partage une autre langue avec un de ses parents (un héritage114), dans le second, il s’agit pour l’enfant

d’un « déshéritage », une contrainte à « partager » une langue qu’aucun de ses parents ne parle115, la langue des signes (un « bilinguisme » avec zéro langue ?). Comment alors

comprendre qu’à l’apprentissage de cette langue ne soit réservée qu’une poignée d’heures ou qu’elle ne soit pas apprise du tout ? Ou devrait-on comprendre un complot d’étouffement masqué ? Roussel (2013) le mentionne, la LSF est encore perçue comme une « concurrente » de la langue française (Roussel, V., 2013). De même, le clivage langue française/intégration et langue des signes/exclusion reste ancré de façon générale aussi bien dans les discours institutionnels que dans les discours de certains acteurs de terrains (Mugnier, S., 2006). C’est bien de cette exclusion que représente la LSF que témoigne l’exclamation de Mme D. : « je sais pas, moi suis en France, je suis contente de parler le français parce que je peux parler avec tout le monde quoi » (Mme D., Ent4_TP22_L12-13).

114 Nous empruntons l’idée d’héritage à Matthey, M., (2010, pp. 237-238) qui parle de « langue héritée » pour

désigner une langue qui s’est transmise d’une génération de migrants G1 où elle était « langue d’origine » aux générations suivantes (G2 pour les enfants, G3 pour les petits-enfants).

115 En rappel, la très grande majorité des enfants sourds naissent de parents entendants, seulement environ 4%

En fait ce propos évoque différentes problématiques dont celle de la minorité, et au-delà, celle de la normalité. La même enquêtée définissait le handicap comme un écart à la norme et n’avait pas manqué de fustiger cette normalité116. Cependant, sans nous y tarder, nous

pensons qu’être du « bon côté », celui de la majorité et des « normaux », n’est pas suffisant en soi, le défi majeur c’est assurément de trouver les meilleures façons de rencontrer l’autre dans la considération de sa singularité. Et c’est principalement parce que visant cette rencontre, que l’éducation bilingue des sourds porte tout son sens.

2.3.2.4.Jusqu’où doivent aller les engagements pour l’éducation bilingue ?

On ne saurait parler de l’éducation bilingue des enfants sourds sans évoquer le rôle de leurs parents. Les choses sont « ficelées » de telle sorte que, c’est la responsabilité des parents qu’il faut pointer du doigt, puisque c’est en effet à eux qu’incombe le « choix » éducatif de leurs enfants. Mr B. mentionne une non-demande des familles :

« Nous n’avons pas ou quasiment pas […] nous n’avons pas de demande de scolarisation de la part des parents en langue des signes. Nous n’en avons pas […] alors, souvent ce sont des parents eux-mêmes signeurs hein, sourds signeurs qui souhaitent que leur enfant soit éduqué uniquement en langue des signes, communique uniquement en langue des signes, nous n’avons pas de demande de ce type dans l’Académie.» (Mr B., Ent2_TP22_L3-13).

Mais les familles ont-elles vraiment le choix ? Il apparait que non. Le bilinguisme qu’autorise la loi n’est pas si accessible et le choix des familles est a priori très limité par le fait même, comme nous l’avions évoqué, du nombre restreint d’établissements proposant cette éducation bilingue de façon appropriée. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles, au contraire même quand de la demande de la part des familles il y a, celle-ci semble aller dans le sens d’une quête implicite de l’oralité ou en tout cas, se révèle être teintée d’indécision et de rejet de responsabilité : « pour avoir participé à une mission d’inspection générale sur le sujet, témoigne Mr B., la demande adressée par les familles aux institutions scolaires est beaucoup plus complexe et diverse que ça. Pour les familles, ils disent moi je

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