• Aucun résultat trouvé

1. D’une histoire agitée et d’une perception confuse du handicap

2.3. La loi de 2005 ou une (re)définition nationale du handicap

2.3.1. Le handicap défini mais compris et nommé de diverses manières

« La notion de handicap est très variable » (Mr B., Ent2_TP01_L20-21), soutient Mr B. En effet, pour cet enquêté, malgré une définition « révolutionnaire » faite par la loi de 2005, le handicap ne jouit pas des mêmes appréhensions, il demeure des variabilités dans la considération des handicaps. Ces variabilités seraient à la base de la meilleure adaptation de certaines villes par rapport à d’autres qui sont moins accessibles (Mr B., Ent2_TP01). De même, la tolérance culturelle envers le handicap serait due à la représentation qu’on en fait socialement, en témoigne le cas de Roosevelt qui à la fin de son mandat, quoiqu’en fauteuil roulant, continuait à exercer ses fonctions de président alors que dans d’autres régions du monde aux cultures différentes, cela aurait pu être inacceptable45 (Mr B., Ent2_TP01_L21- 24). D’après toujours Mr B., les relations aux handicaps différant, il peut souvent être engendré des défaillances dans l’identification de certains handicaps notamment chez les enfants (Mr B., Ent2_TP03_L1-5) sans que cela ne soit l’unique cause46. Par conséquent, si problème d’identification il y a, il sera remarqué des écarts statistiques incohérents quant au nombre d’élèves en situation de handicap par exemple d’une Académie à une autre et souvent d’un département à un autre de la même Académie (Mr B., Ent2_TP01_L33-37).

Même « les maisons départementales du handicap ne font pas toutes la même lecture du même article de la loi » (Mr B., Ent2_TP01_L40-42). D’après Mr B., ces différences d’interprétation et d’évaluation des situations de handicap (particulièrement concernant la scolarisation) avaient bien été identifiées par les MDPH et d’autres acteurs des ministères de la Santé et l’Education nationale. Elles ont conduit à l’élaboration d’un guide commun

45 Aux Comores, la candidature de Hachim Saïd Hassane aux élections présidentielles du 21 février 2016 est

invalidée par la Cour Constitutionnelle du fait du handicap de son colistier (Caslin, O., 2016).

46 A propos des problèmes d’identification des personnes handicapées, Mr B. soutient qu’ « il y a plusieurs

facteurs qui peuvent expliquer cela. Manque d’information des familles, manque de sensibilisation des professionnels, des enseignants qui n’alertent pas, éloignement des centres de dépistage » (Mr B.,

d’évaluation des besoins « qui s’appelle le GEva-Sco47, qui est utilisé par toutes les équipes

qui ont en charge d’apprécier les situations individuelles » (Mr B., Ent2_TP01_L55-64). Ce guide recueille les informations relatives à la situation scolaire des demandeurs de projet personnalisé de scolarisation (GEva-Sco première demande), et les informations relatives au suivi du projet de l’élève (GEva-Sco réexamen). Son objectif, c’est de mettre en place des supports communs d’observation, d’évaluation et d’élaboration des réponses utilisables par les MDPH, les services de l’Education nationale et leurs partenaires dans un cadre harmonisé sur le plan national48. Cette initiative rejoint l’esprit de l’OMS qui proposait en 2001, à plus grande échelle et au niveau international, une formulation commune des axes du handicap. Toutefois, comme le tranche Mme D. sur cette problématique de variations d’interprétation, les différences ne tachent en rien, ou très peu en tout cas, l’intérêt et la grande portée de la loi de 2005 : « vous savez, dit-elle, les lois ce sont des humains qui les mettent en œuvre. Donc il peut y avoir des différences, n’empêche qu’on a tous quand même en commun un socle législatif important » (Mme D., Ent4_TP16_L4-6).

Compris différemment, il en va de soi que le handicap soit nommé diversement. Parce qu’en effet, les dénominations sont souvent fonction de la façon dont on conçoit les choses. Les noms ont beau prétendre être arbitraires, ils restent souvent motivés et motivants. Nommer, c’est révéler une certaine affectivité envers quelqu’un ou quelque chose, lui donner (ou pas) de l’importance, de l’existence49 à nos yeux. Ne change-t-on pas souvent le nom

d’une personne (un(e) amant(e) par exemple) selon qu’on lui devienne plus proche ou plus éloigné ? Comme l’affirme Charles Gardou, les mots sont des regards qui peuvent traduire la réalité, mais qui peuvent aussi la déréaliser (in Barry, V., 2013).En plus de n’être pas seulement arbitraires, les noms des choses et des personnes ont souvent une histoire (une évolution). Il en est ainsi pour ce qui concerne le mot « handicap » dont les définitions (et les représentations) ont connu des changements au fur et à mesure que l’ « affectivité » entre les personnes en situation de handicap et la société s’améliorait. Cependant, malgré les avancées en matière de handicap, sa connaissance et sa prise en charge, la notion de handicap reste entourée d’une certaine équivocité et sème souvent le flou. Lavigne (2004) note par exemple que « le terme handicap désigne des états, des atteintes, des situations des personnes ; tantôt il renvoie au désavantage social qui accompagne les déficiences et non

47 GEva-Sco : Guide d'Evaluation des besoins de compensation en matière de Scolarisation 48 Consulté sur le site de l’Education nationale

pas aux causes. Ou encore, il globalise un ensemble de situations regroupées dans un cadre législatif, indépendamment du type de du degré de déficience » (Lavigne, C., 2004, pp. 59- 60). Ainsi, même défini, le handicap et les personnes concernées restent pour autant confrontés à une pluralité de dénominations qui ne manquent d’interroger souvent sur les relations et les places qui leurs sont réservées ; puisque comme le souligne Weislo (2012), « les ambiguïtés langagières entourant le handicap traduisent finalement assez bien l’ambivalence qu’il suscite dans les rapports sociaux » (Weislo, E., 2012, p. 79). Personne

handicapée, personne en situation de handicap, handicapé, etc., excès ou manque de

termes ? En tout cas l’embarras est souvent là et, même chez les professionnels du handicap, les termes utilisés sont divers.

Mme C. atteste ne jamais faire usage du terme « un handicapé » parce qu’elle estime que l’on n’est pas défini par son handicap « ou alors j’accepte d’être aussi une blonde, bon n’importe quoi ça n’a pas de sens, continue-t-elle, on est d’accord, on n’est pas défini par un critère, ça n’a pas de sens, donc on peut être une personne évidemment en situation de

handicap. Pour moi, ça ne peut être que ça, un étudiant en situation de handicap, un personnel

en situation de handicap » (Mme C., Ent3_TP25_L6-11). Pour elle en effet, une personne ne se résume pas en un seul aspect, et ne la définir que par son handicap serait le reflet d’une négativité réductrice et injuste. « Refuser l'expression situation de handicap pour s'en tenir à handicapé ou même personne handicapée, c'est d'une part, penser l'autre à partir de ce qui lui manque, de ses lacunes, de ses carences » (Gardou, C., 2007, p. 15). Cependant, « personne handicapée », c’est bien le terme que préfère Mme D. parce que, d’après elle, les personnes concernées elles-mêmes préféreraient cette appellation. Bien qu’elle reconnaisse l’implication de l’environnement dans la création de la situation de handicap, cette enquêtée préfère et justifie son choix :

« On disait ben selon son environnement, la personne elle est handicapée ou pas, donc on est bien en situation de handicap, on n’est pas handicapé par essence. Sauf que vous dites ça à mon collègue qui est en fauteuil, il vous dit « ah non mais moi je suis tout le temps en fauteuil, donc je suis handicapé ». Les personnes handicapées elles-mêmes, elles disent « personne

handicapée », elles disent pas « personne en situation de handicap ». C’est

comme euh, ce qu’elles disent les personnes handicapées, c’est comme « femme de ménage » et « technicien de surface », au final on balaie toujours une pièce » (Mme D., Ent4_TP33_L7-14).

Les situations, parce qu’éphémères, primeraient moins, selon Mme D., que « l’attribut » du handicap qui lui, est pérenne : « une personne en fauteuil, elle sera toujours en fauteuil, son quotidien sera vraiment facilité si tout est à niveau, si tout est accessible, mais elle sera toujours dans son fauteuil » (Mme D., Ent4_TP35_L2-4). Nous désapprouvons un tel raisonnement parce que si un fauteuil peut distinguer une personne des autres membres de sa famille ou de ses collègues, il y a bien nombre de situations dans lesquelles il importe peu qu’elle soit ou pas en fauteuil, quand elle sera en train de parler, de donner une conférence50 par exemple. Certes, les personnes les plus concernées peuvent mieux dire les appellations qui leur conviennent au mieux, comme le présente Mme D. (Mme D., Ent4_TP34_L3-5), mais combien sont-elles ces personnes en situation de handicap à préférer être appelées « handicapées » ? Pour ne considérer que les propos de notre enquêtée, il s’avère visiblement qu’elle base son argumentaire uniquement sur un cas particulier en l’occurrence le cas de son collègue, pour ensuite généraliser. A titre personnel, nous en tant que chercheur abondons dans le sens des appellations « positivantes » en ce qu’elles sont une invitation à surpasser le handicap, une réalité pourtant difficile voire douloureuse souvent. Il ne s’agit pas d’une consolation ou d’une fuite de la réalité, mais il serait inapproprié de définir « l'identité d'une personne à partir de notions qui n'ont de sens que dans une situation donnée », ou de confondre des « jugements de valeur liés à un contexte et à des normes particulières avec une nature » (Bonicco-Donato, C., 2013, p. 22). L’évolution du vocabulaire est importante en ce qu’ « elle témoigne de l’approche qu’ont les intéressés de leur propre état, de l’idée que la société se fait de la question du handicap. Elle est aussi le moyen de faire évoluer son regard » (Gohet, P., 2007, p. 5). Les changements terminologiques concernant le handicap sont un grand pas (difficile à faire encore par certaines réticences), mais la course est loin d’être gagnée parce que simplement « changer les mots, cela ne suffit pas non plus à garantir l'égalité des personnes » (Comte-Sponville, A., 2007, p. 18) : il reste des cultures à construire, des représentations à déconstruire.

50 « Dans des conférences, dans des textes, le fait d’être en fauteuil roulant ne s’entend et ne se lit pas. Il n’y a

pas en ce sens d’auteur en situation de handicap, si l’on considère l’auteur en tant que le sujet créateur de l’œuvre, que l’on ne doit pas confondre avec l’individu social qu’il est par ailleurs » (Ancet, P., 2011).

Chapitre 4. Le handicap et son difficile

positionnement dans la société