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Serious games : quelle appropriation ? enquête d’usage sur 10 serious games

Dans le document ACTES de CONFERENCE INTERNATIONALE E-VIRTUOSES (Page 174-178)

Michel Lavigne Maître de Conférences IUT Services &Réseaux de Communication – Université Toulouse III Laboratoire de Recherche en Audiovisuel (LARA) – Université Toulouse II Courriel : michel.lavigne@iut-tlse3.fr Résumé

Depuis plus d’un an nous conduisons des évaluations de serious games par un public étudiant, basées sur 3 critères : qualité de l’univers, plaisir ludique, efficacité sérieuse. Nous présentons ici les résultats pour un corpus de 10 serious games. Il apparaît une difficulté d’appropriation qui se manifeste par une perception ludique limitée et une faible adhésion aux objectifs « sérieux ». Ceci nous conduit à émettre des réserves sur le concept même de serious game.

1. Introduction

Les serious games se présentent comme de nouveaux outils d’accès à la connaissance, bien adaptés aux nouvelles générations dites « digital natives ». Ils intéressent de multiples secteurs tels que la défense, la santé, l’éducation.

Si de nombreux travaux s’attachent à cerner l’objet (Alvarez et Djaouti, 2010, Mauco, 2011, Amato, 2011) ou à présenter des réalisations particulières, la position des utilisateurs est encore trop peu analysée et étudiée. Par ailleurs lorsqu’elle l’est, l’analyse est souvent biaisée, les études de réception étant souvent menées par des personnes qui ont des intérêts liés à ceux des concepteurs, ceci ayant été favorisé par les divers appels d’offre impliquant chercheurs et concepteurs autour de la réalisation de projets de serious games. L’efficacité du serious game est présentée comme une évidence et ne peut plus être mise en discussion (Protopsaltis, 2011).

Afin de mieux cerner la validité de ce nouveau concept, au-delà des promesses du marketing, il nous paraît nécessaire d’interroger les publics. Le « joueur sérieux » est-il satisfait par les produits proposés ? La double promesse - jouer tout en acquérant des connaissances - est-elle tenue ? Le jeu favorise t-il l’apprentissage et l’apprentissage peut-il être un jeu ? Nous voulons questionner l’appropriation réelle des programmes sous ce double aspect, plaisir de jouer et efficacité « sérieuse ». C’est dans cet objectif que nous avons initié en 2012 une démarche d’enquête d’usage auprès d’un public étudiant. A ce jour 10 serious games ont été analysés et évalués. Chaque logiciel présente des situations particulières et des enjeux d’appropriation (ou de rejet) particuliers. Nous souhaitons ici présenter une première synthèse qui peut permettre de dégager quelques situations typiques dans la relation utilisateur / serious game.

2. Méthodologie

Les 10 serious games ont été analysés et évalués par un public d’étudiants en première année de formation universitaire technologique, dans un département d’IUT Services et Réseaux de Communication. Leur formation a pour objectif l’acquisition d’une culture à la fois technique, communicationnelle et esthétique pour la conception de programmes multimédias. Le secteur professionnel principal visé est celui du webdesign. Ce public, au stade de notre analyse (milieu de la première année), possède quelques compétences en matière d’analyse de programmes interactifs, lui permettant de discriminer un certain nombre de critères esthétiques, communicationnels et techniques.

Par ailleurs il se situe dans la tranche des 18 / 20 ans. Il est donc représentatif de la génération « biberonnée » au numérique qui a pour caractéristique une pratique quotidienne et souvent intensive des jeux vidéo. Il présente donc l’avantage de disposer à la fois d’une certaine expertise numérique et de la culture vidéoludique propre à sa génération.

Notre enquête a démarré en 2012 et se poursuit en 2013 avec une seconde vague d’étudiants. Chaque promotion a reçu préalablement une formation d’une heure sur les principes ludiques et leurs modalités de classification en s’appuyant en particulier sur les travaux de Caillois (1958) et pour les serious games d’Alvarez et Djaouti (2010). Ceci s’ajoute aux connaissances déjà acquises dans le domaine des programmes interactifs : ergonomie logicielle, architecture, programmation, critères esthétiques ou sémiologiques.

Nous avons pris soin d’éviter tout jugement dans la présentation des concepts. Par ailleurs pour les deux promotions, au démarrage de l’enquête, aucun étudiant n’avait une expérience des serious games, ni même une connaissance du concept.

Les modalités de l’analyse reposent sur la présentation collective d’un serious game particulier durant une séance d’une heure par un binôme d’étudiants en interaction avec un public composé de 30 à 50 étudiants évaluateurs. Les étudiants procèdent à l’analyse au moyen d’une fiche en deux parties :

• une partie analyse dans laquelle ils notent les éléments structuraux du programme : présentation technique, principes esthétiques, ergonomie, structure narrative, finalité sérieuse, principes

Colloque Serious Games et Outils de simulation

ludiques ;

• une partie évaluation dans laquelle ils donnent une note et portent une appréciation sur 3 critères : évaluation de l’univers, qualité ludique, efficacité sérieuse. La notation nous permet de disposer de résultats quantitatifs et les appréciations de l’aspect qualitatif.

Nous avons choisi de travailler sur un corpus de serious games librement accessibles sur Internet avec une sélection de programmes destinés à une cible jeune : enfants, adolescents, jeunes adultes. Le corpus a été établi en recourant à des sites spécialisés répertoriant des serious games. Nous avons établi une liste d’une cinquantaine de propositions parmi lesquelles les étudiants ont librement choisi celles qui leur paraissaient les plus intéressantes. Les 10 serious games choisis sont :

America's Army : immersion en 3D dans l’armée américaine ;

Cartel euros 3000 : simulation de gestion d’entreprise ;

Catacombs : immersion en 3D dans la Rome antique ;

Death in Rome : résolution d’une énigme dans la Rome antique ;

Ecoville : jeu de gestion pour construire une ville en harmonie avec l’environnement ;

EDF Park : jeu de gestion pour construire un parc d’attraction en gérant les ressources en énergie ; •Happy night club : jeu d’aventure pour la prévention

des comportements à risque liés à l’hyperalcoolisation ;

Passeur de mémoire : découverte de l’histoire des conflits armés ;

Premiers combats : vidéo interactive pour la prévention des addictions ;

Tapis rouge : découverte des métiers de l’informatique.

3. Résultats quantitatifs

Les résultats que nous présentons aujourd’hui (février 2013) font état des évaluations sur ces 10 serious games. Le relevé des notes sur les 3 critères permet de tracer un graphique des résultats avec une notation sur 20.

L’évaluation des univers fait apparaître une importante dispersion des notes, de 5,60 à 15,53 (variance de 11,73). La répartition fait apparaître un jugement largement positif : seuls deux serious games n’obtiennent pas la moyenne (Cartel euros 3000 et Ecoville) et la moyenne générale est de 12,24.

Pour les deux autres critères les écarts se resserrent si ce n’est une exception : America’s Army (AA) qui obtient des résultats très supérieurs à tous les autres jeux, avec 14,06 pour le plaisir ludique et 15,40 pour l’efficacité sérieuse. Si l’on exclue AA les notes sont plutôt faibles pour le plaisir ludique, allant de 8,60 à 11, 25 (moyenne de 9,90) et la variance peu élevée (1,56).

De la même façon, en excluant AA, on obtient des notes à peine plus élevées pour l’efficacité sérieuse, de 9,01 à

10,83 (moyenne de 10,19) et une variance très faible (0,52).

Fig. 1. Evaluation de dix serious games Notation sur trois critères : univers, ludique, sérieux. Les résultats font donc apparaître une grande diversité de jugement sur les univers proposés que l’on peut mettre directement en relation avec la qualité les fonctions et procédés mis en œuvre. Par contre le plaisir ludique semble peu au rendez-vous et nos étudiants sont également sceptiques quant-à la perspective d’efficacité sérieuse, ce qui laisse présager une médiocre appropriation potentielle de ces logiciels.

4. Résultats qualitatifs

Les appréciations portées par les étudiants nous permettent de mieux comprendre la signification de ces résultats. Nous traiterons d’abord du cas d’AA. Nous l’avons ajouté postérieurement à la liste des propositions. Ce serious game est considéré comme le fondateur du genre : financé par le gouvernement américain il a bénéficié de gros moyens de production pour en faire un jeu en ligne de type FPS (First Person Shooter) comparable aux plus appréciés du genre tels que Counter Strike.

Ce serious game est destiné au recrutement dans l’armée américaine. Il a été très efficace si l’on en croit les chiffres donnés par l’armée. Il est aussi un vrai jeu rassemblant une importante communauté sur le net et donnant lieu à des compétitions internationales. Nos étudiants ont bien reconnu ses qualités, tant sur l’aspect ludique que sérieux. Les seules réserves notables viennent de jugements moraux mettant en cause le fait de détourner le jeu vidéo, à priori activité pacifique, à des fins militaristes.

Les autres serious games analysés ont bénéficié de moyens plus modestes. Certains obtiennent néanmoins de très bonnes appréciations pour la qualité de leur univers. A titre d’exemple Premiers combats qui obtient 15,53 et met en scène la vie de jeunes adultes est jugé « réaliste » et

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proche des problèmes de la vie quotidienne de nos étudiants.

Mais pour une bonne part, quelque soit la qualité de leurs graphismes ou de leur mise en scène, les programmes analysés ne sont pas identifiés comme des jeux : soit le scénario est trop contraignant et non motivant (Premiers combats, Happy night club, Tapis rouge), soit les qualités ludiques générales sont estimées trop faibles par rapport aux jeux de divertissement comparables (Catacombs, Ecoville) voire totalement absentes (Cartel euros 3000). Les trois serious games obtenant plus de 11,00 pour la qualité ludique sont un jeu de gestion (EDF Park), un programme constitué de multiples mini-jeux (Passeur de mémoire), un programme à la mise en scène pauvre mais dont le scénario est focalisé sur un seul objectif de type énigme et qui relègue en arrière-plan les aspects sérieux (Death in Rome). Il semble que moins la finalité sérieuse est apparente plus le plaisir vidéoludique a des chances de fonctionner.

Enfin les étudiants jugent l’efficacité sérieuse de l’ensemble des programmes (sauf AA) peu convaincante. Les deux logiciels dédiés à la prévention des addictions (Premiers combats, Happy night club) leur semblent beaucoup trop dirigés pour permettre une bonne appréhension des dangers qu’ils veulent dénoncer.

Les autres serious games ont des objectifs plus ou moins éducatifs : d’une façon générale nos étudiants ne sont pas persuadés de leur efficacité. Beaucoup pensent que la lecture d’un livre serait aussi, voire plus, efficace. Ils constatent que dans bien des cas les procédés ludiques peuvent même être un obstacle à la connaissance et constituer une inutile perte de temps.

5. Conclusion

Notre enquête nous conduit à relativiser l’enthousiasme actuel pour le concept de serious game. Par ailleurs la variété des productions et des procédés mis en œuvre nous amène à critiquer l’aspect globalisant du concept qui est appliqué à des productions qui parfois ne sont pas des jeux mais de simples simulations ou des présentations interactives. Cet usage abusif de l’évocation du jeu avait déjà été constaté avec les logiciels dits ludo-éducatifs (Kellner, 2000).

Il est aussi probable que la faiblesse des budgets consacrés, en comparaison à ceux des jeux de divertissement de qualité, soit un handicap au succès de ces productions qui paraissent de tristes et faibles imitations. Pour plusieurs serious games qui reprennent les codes des jeux de gestion les étudiants demandent pourquoi on n’utiliserait pas plutôt Sim City qui est mieux réalisé, plus riche et plus ouvert.

Ceci est aussi confirmé par le succès d’AA qui a bénéficié de gros moyens et qui, dans une certaine mesure, peut être confondu avec de vrais FPS de divertissement.

Il est également à noter que la majorité des serious games étudiés se donnent des objectifs éducatifs. Si AA prouve l’efficacité du serious game dans une finalité de propagande, ce modèle est-il transposable vers des finalités éducatives ?

AA est un logiciel persuasif qui cherche à convaincre, voire à endoctriner, démarche opposée à la pédagogie qui a pour but le développement de la personne et de son esprit critique pour exercer sa liberté de choix.

Il apparaît que bien des serious games qui se veulent éducatifs reposent sur des procédés relevant d’une relation de type behavioriste : quizz, jeux d’adresse, priorité aux réflexes sur la réflexion, temporisations induisant une ambiance de stress, choix limités par des parcours très contraints.

Nous pensons que, dans une visée éducative, le concept de micromonde développé par Seymour Papert (1981), qui valorise l’autonomie et l’activité créative, est plus fructueux que celui de serious game.

Références

Alvarez Julian, Djaouti Damien, (2010), Introduction au serious game, Questions théoriques.

Amato Etienne-Armand, (2011), Les utilités du jeu vidéo sérieux : finalités, discours et mises en corrélation, CJTL RCAT, n° 37.

Caillois Roger, (1958), Les jeux et les hommes, Gallimard. Kellner Catherine, (2000), La médiation par le cédérom « ludo-éducatif ». Approche communicationnelle. Thèse de doctorat, Université de Metz.

Mauco Olivier, (2011), Les serious games, un objet en construction, Ina global, la revue des industries créatives et des médias.

Papert Seymour, (1981), Jaillissement de l'esprit, Flammarion.

Protopsaltis Aristidis & al., (2011), Serious Games and Formal and Informal Learning, eLearning Papers, n°25

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