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Evaluer les représentations du joueur de serious game Mesure de la collaboration par échelle ordinale sérielle

Dans le document ACTES de CONFERENCE INTERNATIONALE E-VIRTUOSES (Page 170-174)

Sébastien ALLAIN

Pôle i&i, IREGE, Université de Grenoble TECFA, FPSE, Université de Genève

Société Dæsign sebastien.allain@univ-savoie.fr

1. Introduction

Le serious game d'apprentissage propose de faire évoluer les connaissances ou comportements de son joueur. Si une telle ambition requiert a minima de la part du jeu d'évaluer les choix du joueur – pour proposer par exemple une interaction ou des commentaires pédagogiques adéquats –, cette évaluation n'a selon nous pas de sens si elle exclut les représentations individuelles qui s'y rattachent. Ainsi, le serious game se devrait avant tout d'évaluer la communication qu'il instaure : est-il en capacité de communiquer la compétence pour laquelle il a été conçu, c'est-à-dire de faire écho à aux représentations individuelles ? Plus spécifiquement concernant l'apprentissage d'une compétence comportementale, peut-on rendre compte de la réception de cette dimension ? Si en détecter des manifestations dans la perception du joueur ne garantit pas qu'il y ait apprentissage, le serious game assurerait déjà un socle de représentations communes et un potentiel cognitif. En d'autres termes, vérifier une mise en phase de la communication donnerait une première légitimité à l'évaluation du joueur par le jeu.

Notre proposition a consisté dans un premier temps à fondre un dispositif de recherche dans le serious game EHPAD™ pour recueillir les représentations de ses joueurs. Nous avons pour cela utilisé le principe d'une enquête par questionnaire interactif avec un format qui sera dit "sériel", car fractionné et ventilé au cœur de l'expérience. Nous expliciterons les interactions narratives que ce questionnaire provoque et soulignerons ses bénéfices : d'une part nous décrirons ce format comme permettant de préciser la perception qu'il interroge ; d'autre part, il nous permettra de mesurer l'influence de deux modalités communicationnelles sur la posture adoptée par le joueur. De fait, notre approche est communicationnelle et narrato-cognitive.

Un court état de l'art et des bases théoriques s'appuieront sur une communication à venir (Allain, 2012) pour souligner l'opportunité de rapprocher le questionnaire de recherche des questionnaires métacognitifs classiquement utilisés pour l'apprentissage médiatisé. Après quoi la méthodologie employée avec ces questionnaires sera exposée en prenant comme support l'étude d'une des compétences visées par le jeu : le travail en équipe (Lelièvre, 2011; Mucchielli, 2009, p. 76). L'accent sera

mis sur l'utilisation d'une échelle ordinale – construite et validée en ce sens – dont les réponses recueillies en deux points du jeu seront traitées par une analyse quantitative. Nous en dégagerons à la fois des résultats significatifs et des limites. Pour conclure, nous ouvrirons sur le potentiel de ce dispositif hybride pour déclencher et évaluer durablement les représentations individuelles en les considérant non seulement activées par la mise en scène de la compétence à acquérir, mais plus largement par sa

mise en abyme dans le dispositif.

2. Méthodologie

Les recherches en éducation (Bruner, 2002; Verhesschen, 2006) et sociologie (Ethis) nous permettent de considérer la narration jusque dans les questionnaires et d'entrevoir l'importance de ses interactions dans un format sériel.

2.1. Soubassement narratif

Selon Bruner, les récits sont un outil cognitif qui permet d'organiser et de transmettre l'expérience individuelle du monde (2004, p. 18). Si la science utilise plutôt le mode

de pensée paradigmatique, Herman (2009) souligne la

difficile entreprise de démêler le récit des autres formes de représentation telles que l'explication ou la description. Herman dégage par ailleurs quatre éléments de base pour définir le récit, parmi lesquels le contexte, tout aussi indispensable pour le fonder que pour l'interpréter (Idem, p. 74). De même chez Bruner, narration et contexte sont imbriqués et se structurent l'un l'autre. Avec ces auteurs, nous dépassons la terminologie du "recueil d'information narratif" (Ketele & Roegiers, 2009, p. 131), car la narration n'est plus seulement l'objet du recueil, mais aussi son processus. L'importance du contexte appuiera quant à elle le format sériel permettant de s'immiscer au plus près du jeu.

2.2. Narrativité du questionnaire

Un autre argument plaide pour un format d'enquête mêlant questionnaires et narration, car Ethis (2003, 2004) considère le questionnaire comme une "fiction narrative" à part entière. Selon lui, en se confrontant aux propositions de réponses, jamais tout à fait endossables par le répondant, le questionnaire demande de se transporter au-delà de soi-même. Les questions enclenchent un récit intérieur, une auto-évaluation pour se situer en regard de ses pairs. Notre intention est de

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2 réinvestir le rôle de cette "fiction narrative" : le questionnaire produisant un récit, la "sérialisation" permettrait de filer une narration commune avec le jeu pour traverser le dispositif de part en part.

2.3. Hypothèse sur le format sériel

Nous attendons de l'alternance des phases (jeux/questionnaires) d'une part que le récit intérieur déclenché par les questionnaires se "réfléchisse" dans les temps de jeu et d'autre part que l'histoire du jeu l'englobe et le poursuive dans les réponses ultérieures. Par hypothèse, la perception du serious game et de la dimension comportementale visée est donc en partie construite par le questionnaire ; son recueil est facilité par la récurrence et la narrativité des questions. L'hypothèse aurait été rejetée si nous ne pouvions pas constater une évolution/construction des réponses dans le temps ; or d'une part elle a déjà trouvé des échos dans des focus groups exploratoires (Allain, 2012), mais surtout nous pourrons la valider ici dans une analyse quantitative. Pour la démonstration, nous utiliserons un couple de questions appariées servant "d'amorces" et de "résonateurs" respectivement pour déclencher ou amplifier la réflexion et recueillir les représentations. Une analyse intra-sujet étant trop sensible aux effets "maturation" et "test principal" (Malhotra, 2007, p. 155–156), nous lui adjoindrons l'analyse inter-groupe expliquée ci-dessous.

2.4. Protocole expérimental

Notre terrain d'étude est le serious game mono-joueur EHPAD™ qui a pour objectif de former les personnels des Établissements Hospitaliers pour Personnes Agées Dépendantes. Il met en image certaines "bonnes pratiques" dans 3 jeux de simulation de relations interpersonnelles (voir Fig. 2) et s'attache particulièrement à la compétence collaborative du travail en équipe. Le protocole expérimental a été suivi par ≃200 personnes dans le cœur de cible. Chacun d'eux a joué successivement aux 3 jeux auxquels se sont superposés 4 questionnaires auto administrés (voir Fig. 1). Un plan d'expérience a visé une comparaison inter-groupe pour mesurer l'incidence de différentes versions d'une situation. Sans exposer les différences communicationnelles des 3 jeux, nous comparerons 2 groupes avec pour variable indépendante l'autonomie du personnage de la situation 3 (S3) : dans la version S3 dite classique, celui-ci exécute les choix du joueur au titre d'avatar, alors que dans la version S3 dite collaborative, il est doté d'un esprit critique, discute les choix et manifeste une "relation" d'équipe.

Fig. 1. Alternance des phases

Fig. 2. Accueil du jeu

3. Mesure par échelle ordinale et résultats

Le couple amorce-résonateur examiné utilise une question répétée dans les questionnaires Q1 et Q3. Cette question interroge le joueur sur sa posture par rapport au personnage de S3 pour déceler la dimension "collaboration". Pour répondre, trois verbes d'action étaient proposés comme alternatives aux côtés d'une saisie libre et d'une non-réponse (NSP). Ces verbes sont issus d'entretiens exploratoires qui en ont d'abord dégagé une dizaine avant de les recouper. Ceux-ci ont ensuite fait l'objet d'une ordination par les pairs avec la méthode de Kendall (Reuchlin, 1982, p. 60–65; Vessereau, 1965, p. 29–31; Yannou & Limayem, 2002). Enfin, un test du Khi2 inter-groupe nous a permis de dégager des tendances marquées et une évolution significative des réponses dans les directions attendues.

4. Discussion & perspectives

Deux points seront discutés pour amorcer de prochains travaux. Premièrement, alors que nous neutralisons en partie les effets des 3 situations entre elles – en nous attachant à une comparaison inter-groupe des versions de S3 –, il sera intéressant de détailler plus avant les différents gameplay. En effet, ceux de S1 et S3 ne contribuent pas de la même manière à l'apprentissage de la compétence visée. On peut résumer S1 comme étant une mise en scène de la collaboration, entre deux personnages virtuels, dont le joueur est distancié et grand ordonnateur, alors que S3 collaborative est davantage une

mise en situation concrète du joueur par la mise en abyme

de la compétence à acquérir : celle-ci n'est plus seulement

communiquée par des éléments sémiotiques ou narratifs,

mais aussi reflétée dans l'interactivité fonctionnelle dont use nécessairement le joueur pour faire ses choix. Il conviendra donc de renouveler un plan d'expérience pour tester spécifiquement les deux gameplay au sein d'une même situation. Aux vues de nos premiers résultats, l'enjeu est de taille pour affiner l'étude des représentations déclenchées par le dispositif dans son entier. Le second point envisagera à partir de là une nouvelle manière pour le jeu d'évaluer son joueur, ne mesurant plus seulement les actions d'un avatar, mais aussi la posture d'un joueur en regard d'un authentique collaborateur.

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Références

Allain, S. (2012). Questionnaires en série, interactions et potentiel narratif pour l’évaluation des pratiques.

Actes à paraître  : La contribution des SIC aux débats publics. Présenté à SFSIC 2012, 30, 31 mai et 1 juin,

Rennes.

Bruner, J. S. (2002). Pourquoi nous racontons-nous des

histoires  ? Forum éducation culture. Paris: Retz.

Bruner, J. S. (2004). Life as Narrative. Social Research,

71(3), 691–710.

Ethis, E. (2003). Le questionnaire, objet de médiation et fiction narrative.

Ethis, E. (2004). Pour une po(i)étique du questionnaire en

sociologie de la culture: le spectateur imaginé.

L’Harmattan.

Herman, D. (2009). Basic elements of narrative. Chichester: Wiley-Blackwell.

Ketele, J.-M. D., & Roegiers, X. (2009). Méthodologie du

recueil d’informations  : Fondements des méthodes d’observation, de questionnaire, d’interview et d’étude de documents. De Boeck.

Lelièvre, N. (2011). La collaboration aides-soignants infirmiers - Définition, domaine de compétence et responsabilité juridique. Consulté avril 11, 2012, de http://goo.gl/nt8a4

Malhotra, N. (2007). Etudes marketing avec SPSS. Pearson Education.

Mucchielli, R. (2009). Le travail en équipe  : Clés pour

une meilleure efficacité collective (11e éd.). ESF

Editeur.

Reuchlin, M. (1982). Précis de statistique  : Présentation

notionnelle (3e éd.). PUF.

Verhesschen, P. (2006). Pratiques de la recherche narrative  : avantages et limites. Dans L. Paquay, M. Crahay, & J.-M. D. Ketele (Éd.), L’analyse

qualitative en éducation (p. 199–212). De Boeck.

Vessereau, A. (1965). Les méthodes statistiques appliquées au test des caractères organoleptiques.

Revue de statistique appliquée, 13(3), 7–38.

Yannou, B., & Limayem, F. (2002). Les méthodes de comparaison par paires. Intérêt fondamental,

Méthodes pratiques, Avancées scientifiques, Logiciel, 12.

97 L 2 / p

2013

LARSEN Proceedings

Serious games : quelle appropriation ?

Dans le document ACTES de CONFERENCE INTERNATIONALE E-VIRTUOSES (Page 170-174)

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