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3.1 L'estime de soi : une notion multidimensionnelle

3.1.1 Le sentiment de compétences scolaires

Comme nous l’avons montré dans les paragraphes précédents, l’estime de soi est un terme générique qui comprend plusieurs dimensions, dont la perception des compétences scolaires. Cette dernière fait référence à l’autoévaluation que font les élèves de leurs propres compétences ainsi qu’au sentiment qui l’accompagne. Par compétences scolaires, nous entendrons dans cet exposé les connaissances, les procédures, les stratégies et les processus d’autorégulation que l’élève active pour atteindre un but, pour accomplir une tâche telle qu’il la perçoit. Dans la suite de ce paragraphe, nous nous centrerons donc sur le sentiment de compétences scolaires, et de fait, sur le sentiment de compétence des élèves.

Plusieurs auteurs ont défini le sentiment de compétences scolaires, mais ont toutefois élargi ce terme à celui des compétences scolaires et cognitives, car il s’agit des compétences et des ressources cognitives mises en œuvre pour atteindre ce but. Selon Pelgrims (2009), la perception

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des compétences scolaires désigne « la perception que l’élève a de ses capacités et compétences à accomplir les actions requises pour accomplir une tâche ou atteindre un but dans une discipline scolaire » (p. 141). Le sentiment de compétence scolaire englobe ainsi la perception qu’a l’élève de ses capacités à accomplir une tâche, mais également les perceptions qu’il a du degré de difficulté de cette tâche, ainsi que du résultat ou degré de réussite qu’il pense atteindre, c’est-à-dire du degré d’expectative de réussite (Pelgrims, 2006).

Bandura (1998, cité par Pelgrims 2006) associe le sentiment de compétences scolaires au

« sentiment d’efficacité personnelle [qui] désigne la croyance en ses propres capacités à organiser et à exécuter une suite d’actions requises pour produire un niveau désigné de performances » (p. 53).

En somme, il s’agit de la perception que l’élève a de ses capacités à réussir ou à échouer dans une tâche donnée. Ce même auteur nomme « croyances » les expectatives de réussite, qu’il caractérise comme étant « ce que les individus pensent produire comme résultats dans leurs actions » (Bandura, 1998, p. 53, cité par Pelgrims 2006). En conséquence, nous concevons le sentiment de compétences scolaires dans cette étude, comme comprenant les probabilités des élèves à atteindre un but donné par l’élève lui-même, par la tâche et/ou par l’enseignant.

Aussi, Bandura (2004) explique qu’il est possible d’avoir un sentiment d’efficacité faible et en même temps une forte estime de soi au sens de valeur de sa personne. Il montre ainsi qu’il ne faut pas confondre estime de soi et sentiment d’efficacité personnelle. Il illustre d’ailleurs ces propos de la manière suivante :

Quelqu’un peut s’estimer être un très mauvais cuisinier, sans que cela n’entame le moins du monde son estime de soi. Ceci est l’occasion de souligner qu’on ne peut pas stricto sensu, parler de sentiment d’efficacité dans un sens général. Il n’y a que des sentiments spécifiques d’efficacité, liés à telle ou telle activité. Même l’expression sentiment d’efficacité sportive, par exemple, n’est pas assez précise. On peut avoir un fort sentiment d’efficacité en football et un très faible sentiment d’efficacité au tennis.

(Bandura, 2004, pp. 61-62)

Pelgrims (2006) soutient cette conception puisqu’il convient selon elle « de distinguer le sentiment de compétence spécifique à une discipline, les élèves discriminant, à partir des expériences encourues dès leur entrée à l’école, le statut et les enjeux scolaires de chaque discipline » (p. 85). En effet, le sentiment de compétences scolaires est différencié selon les branches scolaires et les domaines de savoirs. Un élève peut se sentir très compétent dans un domaine et, au contraire, avoir une vision amoindrie de ses compétences dans un autre domaine. Le « sentiment de compétence est variable selon les disciplines : un ensemble de travaux montre en effet qu’un élève, qu’il soit scolarisé en classe ordinaire ou spécialisée, peut se sentir tout à fait capable d’apprendre et de réussir en mathématiques et éprouver un sentiment d’incompétence en français » (Pelgrims, 2007, p. 11). Des études ont d’ailleurs montré que le degré de corrélation entre les différents sentiments de compétences des élèves déclarés en difficulté et scolarisés en classe ordinaire ou spécialisée dans les disciplines scolaires, est faible (Maltais & Herry, 1997 ; Pelgrims, 2006, 2007). Un sentiment de compétence élevé dans un domaine n’influence pas systématiquement le sentiment de compétence dans un autre. En outre, des travaux réalisés en classe ordinaire (Boekarts, 2001) et en classe spécialisée (Pelgrims, 2006) montrent clairement que le sentiment de compétence varie en fonction de situations didactiques et de tâches à accomplir. Dès lors, quand nous interrogeons des faits liés au sentiment de compétence, il est primordial de le discerner selon les disciplines et en fonction des situations d’activité didactique. L’approche située de l’activité d’apprentissage en contexte scolaire consiste précisément à saisir la sensibilité des dimensions socio-affectives de l’apprentissage, dans les micro-contextes scolaires et situations dans lesquelles les élèves déploient leur activité.

Le sentiment de compétence se construit à travers un processus complexe de perceptions, d’appréciations et d’autoévaluations. Effectivement, le sentiment d’être compétent dans une

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discipline donnée se construit sous l’effet de plusieurs facteurs, notamment liés à l’élève lui-même et à l’environnement scolaire dans lequel il se trouve. L’élève accorde à ses compétences une certaine valeur, valence ou orientation : son sentiment d’être compétent peut être faible, moyen ou élevé. Toutefois ces orientations sont largement déterminées et influencées par les caractéristiques des expériences vécues, des actions, du contexte et des interactions sociales. L’élève intériorise un référentiel de critères subjectifs sur lequel il se base pour évaluer ses compétences. Ces repères internes à l’élève se construisent à travers les normes, les attentes de l’enseignant et des camarades.

Le contrat didactique instauré en classe, le décodage des attentes et les pratiques évaluatives vont donc jouer un rôle majeur dans l’intériorisation de ce référentiel (Pelgrims, 2006). À titre d’exemple, si l’élève perçoit une pression à réussir constante en classe, et que la place accordée à l’erreur est faible, alors il éprouvera certaines craintes et appréhendera l’expérience de l’échec, et son sentiment de compétence pour accomplir et réussir des tâches s’en trouvera de fait négativement infléchi.

Aussi, comme il a été montré dans la partie sur l’estime de soi, le regard porté par autrui contribue nettement à infléchir la perception de soi, et de fait, de la perception de ses compétences. Ainsi, le jugement d’autrui et plus particulièrement celui des personnes significatives, comme les acteurs pédagogiques et les personnes à qui l’élève accorde de l’importance (amis, famille...), contribue à l’évaluation qu’il fait de ses propres capacités. Si une personne affirme à un élève que ses compétences sont très élevées en arts visuels par exemple, celui-ci entend et interprète ce commentaire à la lumière de ses propres attentes et critères de réussite, et les associera à ses compétences dans ce domaine. L’élève colore donc son sentiment de compétence en fonction de

« l’intégration des représentations et expériences nouvelles, positives ou négatives » (De Léonardis

& Oubrayrie, 1995, p. 237).

De plus, les comparaisons interindividuelles appuient les jugements personnels. Un élève évalue ses compétences aussi par référence aux attentes du milieu, et en comparaison avec les compétences de ses pairs. Ces processus d’interprétation, de comparaisons intra-individuelles et inter-individuelles contribuent à réorienter le sentiment de compétence. La construction du sentiment de compétence relève donc de processus dynamiques et est en constante évolution en fonction des jugements d’autrui, des expériences vécues, et des normes situées.

Néanmoins, certains biais peuvent inférer dans ce processus. Le référentiel interne de l’élève peut en effet comporter des critères soit trop, soit pas assez exigeants. De tels biais entraînent alors une sous-évaluation de ses compétences dans le premier cas, une surévaluation dans le second cas. En effet, l’élève peut se construire un référentiel de critères irréalistes, inatteignables, conduisant à une dévalorisation systématique de ses compétences. C’est ce que Bouffard, Vezeau, Chouinard et Marcotte (2006) appellent « l’illusion d’incompétence ». À l’opposé, l’élève peut abaisser les attentes généralement attendues par l’enseignant dans une discipline donnée, et de fait surévaluer ses compétences. De tels biais dans l’internalisation du référentiel de critères relèvent notamment des pratiques d’enseignement (Pelgrims 2006). Des pratiques peu explicites sur les objectifs à atteindre et sur les critères de progression et de réussite sont peu décodables par les élèves précisément en difficulté. Certains d’entre eux tendent aussi à uniquement sélectionner des expériences de réussite, ce qui les conduit donc à évaluer plus positivement leur sentiment de compétence alors que d’autres élèves se focalisent essentiellement sur les échecs et les erreurs qu’ils ont rencontrés dans la discipline.

À la lumière des processus de construction du sentiment de compétence, on voit donc que le contexte scolaire et les pratiques d’enseignement peuvent largement affecter les perceptions des élèves. L’élève construit son référentiel de critères par rapport aux attentes du système scolaire.

Pour que ce référentiel soit proche des attentes et des critères de l’enseignant, des pratiques plus explicites sont préconisées (Allal, 1999 ; Pelgrims et Wegmuller, 2009). Il s’agit pour l’enseignant de rendre ses attentes claires, grâce notamment à des démarches d’évaluation formative. C’est donc

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à travers des exigences, des objectifs, des critères de maîtrise, de réussite ou d’échec manifestes que l’élève pourra juger ses propres compétences de façon plus réaliste et nuancée. D’autre part, autrui étant essentiel dans la construction de soi et de la perception de ses compétences, l’attitude de l’enseignant envers les capacités, ou encore ses pratiques d’évaluation, influencent aussi les perceptions des élèves. Des commentaires évaluatifs négatifs et dévalorisants n’aideront évidemment pas l’élève à mieux estimer ses compétences.

Valeur de soi et sentiment de compétence scolaire des élèves déclarés en difficulté

D’après la revue d'études de Pelgrims (2006) sur les dimensions motivationnelles socio-affectives de l'apprentissage, les élèves de l'école primaire intégrés (ou maintenus) en classe ordinaire auraient une valeur de soi similaire à leurs pairs de classes ordinaires et spécialisées. En ce qui concerne le sentiment de compétences scolaires, plusieurs recherches ont comparé le sentiment de compétence des élèves scolarisés en classes ordinaires, des élèves scolarisés en classes spécialisées et enfin des élèves déclarés en difficulté, intégrés en classe ordinaire. Les élèves à besoins éducatifs particuliers intégrés en classe ordinaire tendent à avoir un sentiment de compétence scolaire plus faible que leurs pairs en classe spécialisée et que leurs pairs sans difficulté en classe ordinaire. Cette différence pourrait être expliquée selon Pelgrims à l’aide d'aspects contextuels dans lesquels sont placés ces élèves. Effectivement, les élèves intégrés sont maintenus dans des conditions pédagogiques et didactiques similaires à celles de leurs camarades sans difficulté déclarée ; les critères de réussite, les moyens d'enseignement et d'apprentissage, les conditions, les démarches d'étayage, sont en effet peu différenciés. Face à des normes uniques, ces élèves intégrés sont dès lors exposés à plus de comparaisons ascendantes avec des pairs plus compétents, et exposés aux jugements sociaux de la part des enseignants d’une part, et de leurs camarades d’autre part. En outre, comme nous l’avons signalé à plusieurs reprises, les jugements d’autrui infléchissent la perception que nous avons de nos propres compétences (Harter, 1998). Si, de plus, l'élève est institutionnellement déclaré en difficulté, il prend le statut d'élève en difficulté, ce que les relations en classe risquent de renforcer.

Toutefois, ces effets négatifs sur le sentiment de compétences scolaires des élèves déclarés en difficultés intégrés ou maintenus en classe ordinaire sont nuancés, atténués par des pratiques de différenciation pédagogique explicite (Pelgrims 2009, 2010). Il apparaîtra en effet que l’enseignant qui met en œuvre des stratégies de différenciation des conditions (démarches d'évaluation formative, modalités d'apprentissage coopératif,…) augmente ses interactions à caractère didactique avec l’élève intégré (Jordan & Stanovich, 2001). En somme, les croyances des enseignants sur les difficultés d’apprentissage et sur l’éducabilité de tous leurs élèves, les pratiques de différenciation explicites et les modalités de gestion des ressources d’appui (co-enseignement) réduisent les comparaisons ascendantes par rapport à une seule norme et, ainsi, contribuent à maintenir un meilleur sentiment de compétences scolaires des élèves intégrés en classe ordinaire.

Dans une classe inclusive, les élèves à besoins éducatifs particuliers doivent atteindre des hauts standards, ce qui est n'est pas réalisable si les pratiques d'enseignement ne sont pas adaptées aux besoins spécifiques (Pelgrims, 2010). Pourrait-il en être différemment dans un système inclusif sans classe spécialisée ? Peut-être que oui, aussi longtemps que les attentes scolaires correspondent aux habiletés des élèves. Un système inclusif d'éducation permet peut-être d'éviter les effets de la classe spécialisée quand celle-ci ne fait pas partie du système scolaire ordinaire. Dans ces classes ségréguées, on trouve généralement une pédagogie du succès, une réduction des évaluations formelles et une baisse des attentes. Ces pratiques ont un impact parce qu'elles influencent moins le sentiment de compétences des élèves à besoins éducatifs particuliers en classe spécialisée que lorsqu'ils sont intégrés en classe ordinaire.

Différentes recherches (Ninot et al., 2000 ; Pierrehumbert et al., 1998) mettent en évidence que le sentiment de compétences des élèves de classes spécialisées est plus élevé que celui de leurs

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camarades de classes ordinaires avec ou sans difficulté. Les élèves scolarisés en classes spécialisées, en institutions ou en filières parallèles se perçoivent plus positivement que des élèves de même âge scolarisés dans le milieu ordinaire. Effectivement, Pierrehumbert et al. (1998) soutiennent que « les élèves suivant un cursus retardé [classes spécialisées] ne se dévalorisent pas forcément sur le plan des compétences scolaires » (p. 189).

Plusieurs auteurs ont alors cherché à comprendre pourquoi ces élèves de classes spécialisées qui ont, pour la plupart vécu des situations d’échec, perçoivent de manière plus positive leurs compétences scolaires que les élèves scolarisés en classe ordinaire.

Ils rapportent alors que le contexte de classe et l’environnement pédagogique dans lequel sont placés les élèves influencent incontestablement la perception de soi et de ses propres compétences.

Effectivement, « les caractéristiques de la filière spécialisée (pédagogie de la réussite, diminution des évaluations formelles, assouplissement des exigences) altéreraient moins le sentiment de compétence des élèves en échec que les caractéristiques de filières ordinaires, peu prestigieuses, accueillant des élèves à faibles performances » (Pelgrims, 2003, p. 219). Pierrehumbert et al. (1998) plaident également pour cette thèse en expliquant que « peut-être la pédagogie pratiquée dans ces classes, orientée vers le renforcement des succès davantage que celui des échecs, contribue à restituer aux élèves une réelle satisfaction d’eux-mêmes » (p. 190). On voit donc combien le contexte de scolarisation a une influence considérable sur les différentes composantes de l’estime de soi des élèves. Contrairement aux idées reçues, le sentiment de compétence scolaire des élèves avec des difficultés d'apprentissage est plus en relation avec les pratiques scolaires, les expériences et les performances qu'avec l'estime globale personnelle dans le domaine des relations sociales (Pelgrims, 2003).

Le sentiment de compétence selon les disciplines scolaires

Pour Pelgrims, un problème des études comparatives de Pierrehumbert et al. (1998) et s’inspirant des travaux de Harter (1998) réside dans le fait que les auteurs considèrent le sentiment de compétences de façon globale sans lien avec des dimensions contextuelles tel le statut scolaire de chaque discipline scolaire. Considérant les disciplines, Pelgrims (2006, 2007) rapporte que

il ressort des différents travaux comparatifs que les élèves scolarisés en classes spécialisées se sentiraient moins compétents en français et en mathématiques que les élèves sans difficulté ; leur sentiment de compétence dans les autres disciplines n’apparaît par contre pas systématiquement différent (p. 85) Effectivement, les résultats relatifs aux classes spécialisées tendent à montrer que les élèves de classes spécialisées se disent aussi compétents que les élèves de classes ordinaires pour les disciplines secondaires telles que l’éducation physique, la géographie et l’histoire qui sont peu sélectives. En revanche, ils se perçoivent nettement moins compétents dans les disciplines majeures telles que le français et les mathématiques, qui sont plus sélectives. De plus, ces deux disciplines sont sélectives dans le passage d’un degré à l’autre, et jouent « un rôle prédominant dans le signalement pour les mesures spécialisées » (Pelgrims, 2006, p. 86).