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2.2 De la notion d'intégration à l'école inclusive

2.2.2 De l'intégration vers l'inclusion

Dès les années 1960 débute un mouvement revendiquant le droit et l’accès à l’école publique pour les enfants handicapés. Ce droit est acquis dans différents pays occidentaux à partir des années 1975. Dans certains systèmes (Suède, Italie…) on privilégie d’emblée l’intégration à l’école et en classe ordinaire. Dans la majorité des pays, on met en place des structures différenciées d’enseignement spécialisé allant de l’intégration en classe ordinaire vers une scolarisation en institution ou en école séparée, toute forme de classe à effectif réduit plus ou moins proche de

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l’ordinaire. On assiste alors aux politiques dites « intégration » ou « normalisation » (integration-mainstreaming) (Doré, Wagner & Brunet, 1996). Doré et al. (1996) le résume par les propos suivants : « La notion d'intégration scolaire est un construit historique qui est apparu à la fin des années 60, qui se révèle tributaire des façons nouvelles de considérer la société, l'école et, tout particulièrement, certaines populations historiquement marginalisées » (p. 30).

Dans les pratiques scolaires, le concept d’intégration se traduit par différentes niveaux. En effet, les pratiques intégratives en classe ordinaire peuvent être très différentes et plus ou moins effectives.

Les auteurs proposent de distinguer trois niveaux d'intégration : l'intégration physique, l'intégration fonctionnelle et l'intégration sociale (Fuster & Jeanne, 2003, pp. 165-170). La première est élémentaire; il s'agit d'un placement scolaire. Dans un contexte scolaire, une intégration physique revient à placer un élève à besoins éducatifs particuliers dans le même espace que ses pairs ordinaires. L'intégration est une décision structurelle. Un ou plusieurs élèves avec des déficiences sont placés dans des classes ordinaires pour effectuer des tâches différentes de leurs pairs, ou parfois même pas de tâches scolaires. Comme Doré (2001) le spécifie, « ce niveau d'intégration n'implique pas nécessairement des interactions entre les individus physiquement réunis » (p. 4).

Cette intégration d’ordre physique est alors déterminée par le fait que des personnes différentes se trouvent dans les mêmes lieux physiques. Gillig (2006) définit d’ailleurs cette intégration par des

« temps communs où les uns et les autres se côtoient physiquement » (p. 176). Ce type d’intégration se résume donc à la présence d’individus différents dans un même lieu au même moment.

L'intégration fonctionnelle est plus complexe parce qu'en plus d'être dans le même espace, les élèves à besoins éducatifs particuliers doivent réaliser des tâches d’apprentissage comme les autres élèves. La fonction de leur placement est d'effectuer des tâches dans le même environnement que d’autres élèves dits « ordinaires ». Ces tâches n’étant pas nécessairement les mêmes que celles assignées aux autres élèves, l’élève ainsi intégré n’apprend pas avec les autres.

Ces deux formes d’intégration comprennent :

l’enseignement en commun d’enfants en situation de handicap et d’enfants dit normaux dans le cadre de classes ordinaires, tout en leur proposant le soutien nécessaire (pédagogique, thérapeutique) pour faire face aux besoins spécifiques de leur environnement sans avoir recours à la séparation scolaire. (Bless, 2004, p. 14)

Cette définition conçoit l’intégration comme étant tout d’abord physique, puisque un ou plusieurs élèves sont placés avec des élèves de classes ordinaires. Elle présente également un caractère fonctionnel car l’élève doit pouvoir évoluer comme ses camarades dans cet environnement social qu’est la classe et l’institution scolaire en générale. La définition de Bless (2004) ne sous-entend cependant pas le fait que l’intégration doit permettre à l’élève en situation de handicap de travailler avec ses camarades ordinaires. En somme, intégrer un enfant ayant des besoins éducatifs particuliers revient à aménager l’environnement pédagogique et didactique dans lequel il se trouve, pour répondre à ses besoins spécifiques. Bless (2004) affirme que « l’intégration est une mesure pédagogique qui est appliquée en garantissant une prise en charge adéquate et individualisée de tous les enfants » (p. 14).

Finalement, l'intégration sociale, que certains appellent également intégration scolaire, implique que les élèves à besoins éducatifs particuliers réalisent de réelles tâches d'apprentissages dans des conditions leur permettant d'assumer leur rôle social : être un élève, et apprendre avec et parmi les autres. Cette intégration est aussi appelée intégration pédagogique par certains chercheurs (voir Doré, 2001). Cela consiste en des relations sociales positives entre les élèves, c'est-à-dire entre les élèves à besoins éducatifs particuliers et les élèves ordinaires. Ce type d’intégration implique également des interactions didactiques entre les enseignants et tous les élèves dans le but de favoriser les apprentissages scolaires de tous les élèves ordinaires ou intégrés (Pelgrims, 2009, 2011).

Bien que la notion d’intégration scolaire ait été définie précédemment, il nous parait important de pointer une confusion conceptuelle à propos de celle-ci. Cette confusion théorique apparait souvent

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dans les pratiques scolaires ainsi que dans la littérature. Les pratiques d'intégration qui ne sont pas sous-tendues par des attentes spécifiques d'apprentissages scolaires, mais plutôt par des interactions sociales tout venantes, sont souvent désignées par intégrations sociales. De ce point de vue, certains enseignants essaient d'offrir à leurs élèves à besoins éducatifs particuliers un espace, hors situations d’enseignement-apprentissage, pour créer des relations sociales positives avec les autres élèves.

Généralement, cette forme d’intégration a lieu durant les leçons de musique, d'éducation physique ou de travaux manuels, par exemple. Il ne s'agit donc pas d'une intégration sociale au sens scolaire décrite ci-dessus, puisque les élèves dits « intégrés » interagissent avec leurs pairs sans assumer le même rôle social d’élève-apprenant attendu par l'école et par l'environnement socio-culturel (Pelgrims, 2009). De notre point de vue, nous réservons l’intégration sociale pour désigner les pratiques visant à intégrer des élèves à besoins éducatifs particuliers dans une classe ordinaire avec des attentes et des objectifs d'apprentissage clairement définis dans des disciplines socialement reconnues et valorisées (par exemple dans le domaine de la communication orale, des langues et des sciences). Celle-ci peut alors être appelée intégration scolaire par certains enseignants.

Même si l'élève est bien intégré dans la classe ordinaire, il est toujours rattaché à la classe spécialisée. C'est comme une étiquette. L'élève est toujours vu et reconnu comme quelqu'un de différent dans la classe. Dans chaque classe ordinaire, l'appartenance administrative à l'enseignement spécialisé et l'appellation de l'élève à besoins éducatifs particuliers intégré exacerbe les différences de statuts entre élèves; des différences inter-individuelles existent. La continuité des pratiques ségrégatives est une des raisons pour laquelle les professionnels, durant les années 1990, ont commencé à parler d'inclusion scolaire plus que d'intégration scolaire (Doré et al. 1996).

La définition de l’intégration montre que ce concept revient à scolariser un individu dans un autre groupe en lui apportant l’aide dont il a besoin pour y parvenir. En somme, il s’agit de « maximiser la participation (potentielle) d’une personne dans le courant de la culture principale de sa société » (Doré et al., 1996, p. 32). Ces propos mettent en évidence l’objectif principal de l’intégration qui est de ne laisser personne en marge de la société, puisqu’elle tend à les intégrer dans des conditions les plus proches de la norme. Grâce aux mesures d’intégration, les élèves présentant certaines difficultés ou handicaps sont donc intégrés à l’école, lieu adapté en fonction de leurs besoins spécifiques.

Cette définition de l’intégration renvoie alors à la norme. Doré et al. (1996) nous éclairent à ce sujet :

La notion clé en matière d’intégration est la normalisation. Pour l’essentiel, le principe de normalisation vise, dans la mesure du possible, à rendre accessibles aux personnes socialement dévalorisées des conditions et des modèles de vie analogues à ceux que connaissent, de façon générale, l’ensemble des personnes d’un milieu ou d’une société donnés. (p. 32)

L’intégration tend donc à réduire les inégalités de traitement entre les élèves présentant une déficience et les élèves ordinaires.

Inclusion : définition conceptuelle

Dans les années 1990, un autre modèle s’est mis en place. Effectivement, des chercheurs Outre-Atlantique proposent le terme d’inclusion scolaire qui est « une démarche visant à repousser les limites du programme d’enseignement et de gestion de classe pour y inclure une plus grande diversité d’élèves aux caractéristiques différentes » (Elliot, Doxey & Stephenson, 2009, p. 17).

Dans cette démarche, « tous les enfants doivent être inclus dans la vie sociale et éducative de leur école et classe de quartier et pas seulement placés dans le cadre scolaire normal (mainstream) » (Doré et al., 1996, p. 36). Autrement dit, selon cette optique il s’agit d’aménager entièrement l’environnement de l’élève de façon à ce que celui-ci trouve tout ce dont il a besoin au même

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endroit que ses camarades ordinaires. Cela se traduit par le fait que les élèves sont ensemble afin d'accomplir des tâches scolaires, en permettant à tous d'assumer leur rôle social, ce qui est un pas de la ségrégation vers l'inclusion. Celle-ci permet aux élèves de vivre, d'apprendre et de se développer au sein d'un même contexte et à travers des interactions d'enseignement-appprentissage capables de prendre en compte les besoins spécifiques de chacun. L’école inclusive serait une école accessible à tous : la classe ordinaire devient alors « le lieu principal ou exclusif de scolarisation des élèves en difficultés » (Doré et al., 1996, p. 39). Ainsi, « sans être incompatible avec la notion d’intégration, celle d’inclusion institue l’intégration de façon plus radicale et plus systématique, et met l’accent sur les applications pratiques de l’intégration » (Doré, et al., 1996, p. 37). Le modèle inclusif reproche à l’approche intégrative de vouloir intégrer un individu qui fait déjà partie du groupe.

L’inclusion scolaire vise alors essentiellement à créer un milieu scolaire adapté à tous les individus d’une population, en accordant à chacun d’eux d’être scolarisés dans un même lieu, selon leur âge et leur quartier de domicile. En somme, « c’est à l’institution scolaire de s’ouvrir, de se mettre à portée d’enfants singuliers, et non le contraire » (Bertin, 2007, p. 241). Dans le système inclusif, il s’agit alors non seulement de prendre en compte les différences, mais de proposer un milieu, un environnement pédagogique qui puisse répondre aux besoins de tous.

Très souvent, l'inclusion est perçue comme étant un synonyme de l'intégration, mais la littérature nous montre que c'est une confusion terminologique. L'inclusion est une étape supplémentaire à l'intégration. Elle est éminemment procédurale et structurale (Pelgrims, 2009, 2011). Selon Doré et al. (1996), l'inclusion signifie une instruction adaptée et différenciée ainsi que des ressources pour répondre aux besoins spécifiques des élèves. En Finlande, l'inclusion scolaire est le principe fondateur de l'éducation puisque, en effet, les discours politiques énoncent que « le système éducatif finlandais est basé sur l'égalité, la valeur de l'apprentissage et sur le principe de l'inclusion3 » (Järvinen, 2007, p. 1). De manière plus précise, « l'inclusion se réfère au placement d'élèves avec une ou plusieurs déficiences dans une classe ordinaire d'âge équivalent avec les supports et accompagnements nécessaires. L'inclusion est basée sur la conviction que tous les élèves sont capables d'apprendre » (Arzola, 2007, p. 1086). Comme nous l’avons mentionné plus haut, il s’agit du principe d'éducabilité. Le bureau national finlandais d'éducation déclare que « la première alternative pour attribuer des mesures d'enseignement spécialisé est d'inclure les élèves à besoins éducatifs particuliers dans les classes ordinaires et, si nécessaire, d'offrir de l'enseignement spécialisé dans des groupes restreints4 ». C'est un important changement de perspective.

Effectivement plutôt que d'appartenir à la classe spécialisée et d'être intégrés en classe ordinaire pour quelques leçons, les élèves appartiennent à la classe ordinaire et reçoivent un soutien spécifique dans ou en dehors de la classe en fonction de leurs besoins. La classe de référence, d’appartenance scolaire du moins administrative, est la classe ordinaire. Dans le système finlandais, selon le bureau national d'éducation, l'inclusion scolaire signifie que « l'évaluation des élèves se base sur des critères du programme ordinaire ou selon un programme individuel d'éducation5 ».

Bien que les politiques actuelles et les systèmes ne soient plus si ségrégatifs, mais plutôt déclarés comme intégratifs voire inclusifs, des situations ségrégatives peuvent encore avoir lieu, spécialement lorsque les élèves à besoins éducatifs particuliers sont détachés des classes ordinaires pour se retrouver dans un petit groupe ou une classe ressource comme cela peut être le cas en Finlande. Dans le contexte de l’enseignement spécialisé genevois, la plupart des institutions localement dits Centres médico-pédagogiques, sont séparées de l’enseignement ordinaire rendant l’éloignement des écoles ordinaires plus saillant. D’autres situations de ségrégation peuvent aussi avoir lieu en classe ordinaire quand les élèves à besoins éducatifs particuliers reçoivent un soutien

3 Traduit par Natalina Meuli 4 Traduit par Natalina Meuli

5http://www.oph.fi/english/education/educational_support_and_student_wellbeing/special_needs_education, consulté le 15 avril 2013, 12:37, traduit par Natalina Meuli

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individuel. Une étude menée en Norvège a démontré que les élèves à besoins éducatifs particuliers se sentent plus étiquetés pendant les leçons que les chercheurs ne l'avaient imaginé. Selon eux,

« l'utilisation accrue de mesures d’appui hors de la classe ordinaire peut être interrogée particulièrement si celles-ci sont utilisées à des fins de drill qui pourraient être menées dans le contexte de la classe ordinaire 6 » (Nes Mordal & Strømstad, 1998, p. 115).

Même en classe ordinaire dite « inclusive », des élèves dits « inclus » peuvent vivre des situations d’exclusion des activités sociales, pédagogiques et didactiques de la classe. Ceci a conduit à proposer différents niveaux d’intégration, concepts utiles à l’once de pratiques effectives d’intégration.