• Aucun résultat trouvé

6.1 Problématique et questions de recherche

6.1.1 Problématique

La problématique que nous avons décidée d’éclairer dans cette recherche concerne le sentiment d’intégration au groupe-classe des élèves malentendants intégrés en classe ordinaire. En effet, suite à la revue de la littérature, nous pouvons constater combien l’intégration des élèves, selon leur point de vue et en situation d’action, est peu étudiée. Or c’est bien au moment même où se déploie l’activité d’apprentissage que se pose la question de l’intégration, non au sens structural (spécialisé versus ordinaire) mais en tant qu’activité cohérente avec les tâches et le rôle social attendus (Pelgrims, 2011).

Les personnes atteintes de surdité se trouvent dans certains cas en situation de handicap, c’est notamment le cas des élèves malentendants intégrés en classe ordinaire. Effectivement, ces derniers éprouvent quelques difficultés à communiquer avec leurs pairs entendants. La communication est délicate puisque les élèves malentendants utilisent très peu la langue française orale et favorisent une communication en langue des signes, alors que leurs camarades entendants emploient uniquement un français oralisé. Par ailleurs, on sait que la classe constitue un milieu social spécifique où l’interaction entre les différents partenaires se réalise dans une situation de communication essentiellement orale. On peut alors largement penser que les élèves intégrés soient exclus du groupe entendant en ne pouvant interagir directement avec ce dernier dans la langue normée de l’école. D’ailleurs, Goasmat qui s’est intéressé à l’intégration sociale du sujet déficient auditif relate que « scolariser un enfant handicapé dans un groupe d’enfants exempts du handicap dont il est affecté accentue sa solitude en tant qu’il se retrouve seul de son espèce, support de toutes les projections fantasmatiques des autres, adultes et enfants concernant l’anormalité » (Goasmat, 2008, p.

150). Ces propos renforcent donc l’idée d’un certain rejet des élèves malentendants dans leur contexte d’intégration scolaire en raison de l’écart entre les élèves intégrés et leurs pairs de classe d’intégration.

La surdité n’est pas nécessairement considérée par les élèves entendants comme un signe d’infériorité. Toutefois, la langue des signes peut-être perçue de manière néfaste au niveau des relations. Effectivement, « le soupçon d’une langue de moindre valeur ou de moindre statut est le pendant d’un statut d’infériorité sous l’argument d’une différence radicale » (Le Capitaine, 2004, p. 87). La langue des signes interpelle souvent les élèves entendants qui se demandent comment cette langue visuo-gestuelle peut être aussi efficace et aussi complète que la langue orale qu’ils emploient. De cet à priori naît souvent un jugement fréquent de la part des

66

personnes entendantes, sur l’infériorité (intellectuelle, psychique…) des sourds et des malentendants dû à la langue. Ce jugement est néanmoins non fondé puisque la langue des signes est une langue à part entière qui permet d’exprimer autant de choses que les langues orales. Notons toutefois que ce jugement hâtif évolue très souvent au cours des échanges entre les différents protagonistes.

On peut alors se demander dans quelle mesure les élèves malentendants intégrés en classe ordinaire sont acceptés par leurs camarades malgré leurs différences, et comment les sujets intégrés perçoivent leur appartenance et leur intégration au groupe classe. En effet, Le Capitaine (2004) met très clairement en évidence les difficultés que peuvent rencontrer les personnes en situation de handicap dans les relations intersubjectives, ainsi que le degré d’acceptabilité par les pairs des sujets déficients auditifs lorsqu’il affirme :

Dans le domaine de la déficience auditive, la langue fait écueil à l’accueil de l’autre. Ce qui constitue la base de la relation pédagogique, la communication, et en particulier à travers ses aspects linguistiques, fait obstacle pour considérer l’autre, sourd ou malentendant, comme ayant sa place parmi les autres. (Le Capitaine, 2004, p. 104)

De nombreuses recherches ont été et sont menées pour mesurer l’efficacité de l’intégration des élèves présentant des besoins éducatifs particuliers et identifient les pratiques qui semblent favorables à l’intégration. En revanche, les dimensions socio-affectives sont relativement peu étudiées et se limitent, pour beaucoup, à l’étude de l’acception sociale de ces élèves de manière générale, en dehors d’une situation d’activité scolaire effective.

Toutefois, nous pensons qu’un élève malentendant peut se sentir bien accueilli, respecté et jugé comme les autres et se sentir appartenir au groupe avec lequel il doit réaliser une tâche dasn certaines situations d’enseignement-apprentissage, mais que dans d’autres situations au contraire, l’élève pourrait se sentir exclu à cause de sa différence. Nous nous demandons alors dans quelle mesure les dynamiques interactionnelles et socio-affectives se modifient en fonction des situations. Cette recherche aura donc pour objectif de se centrer sur le caractère situationnel de l’intégration en contexte scolaire ordinaire. En ce sens, cette recherche s’inscrit dans une approche située des dimensions socio-affectives et motivationnelles de l’apprentissage (Pelgrims, 2006).

Par conséquent, il est important de définir à l’avance quels genres de situations seront observées. Nous ne pouvons en effet considérer toutes les situations de l’intégration scolaire.

Nous examinerons l’activité socio-affective dans deux situations dont les enjeux scolaires et les modalités d’interactions sont très contrastés, afin de voir si les relations entre élèves, l’acceptation par les pairs et le sentiment d’appartenance au groupe des élèves changent en fonction de celles-ci.

Comme il a été montré dans le cadre théorique, les élèves appréhendent les disciplines de manière singulière. Dans leur parcours scolaire, leur sentiment de compétences et les valeurs telles que l’intérêt et l’utilité, varient en fonction de chaque discipline et sous l’effet des situations et des expériences sociales qu’ils vivent en classe. C’est pourquoi, nous souhaitons étudier les perceptions des élèves autour des deux disciplines contrastées que sont les mathématiques et l’éducation physique. Effectivement, ces disciplines ont des statuts scolaires et sociaux très différents puisque la première fait partie des disciplines majeures et sélectives, alors que la seconde est une matière dite mineure, dont les résultats et les compétences des élèves ne sont pas pris en compte dans les décisions de promotion ou d’orientation vers l’enseignement spécialisé. Certains élèves admettent donc l’importance des mathématiques dans leur cursus scolaire sans pour autant avoir de l’intérêt pour celles-ci. Au contraire, l’éducation physique plait à certains élèves, mais occupe une moindre place dans leur esprit.

67

Différents travaux montrent combien les perceptions et les valeurs varient en fonction de ces disciplines (p. ex, Russo, 2007), corroborant qu’elles présentent des enjeux scolaires différents.

D’autre part, puisque les statuts scolaires de ces deux disciplines sont différents, on peut faire l’hypothèse que les dimensions liées à l’acceptation sociale des élèves intégrés soient également variables. Effectivement, on peut supposer que les élèves de classe ordinaire préfèrent travailler en mathématiques avec leurs pairs dits ordinaires en raison des préjugés sur les compétences des élèves intégrés qu’ils pourraient avoir. Au contraire, on peut émettre l’hypothèse que les élèves de classe ordinaire n’accordent pas d’importance à la surdité en situation d’éducation physique puisque cette discipline est secondaire. Il s’agit de suppositions qui renforcent le choix des disciplines à étudier ; il faudra donc, aux vues des résultats d’analyse, les valider ou les invalider.

Après avoir déterminé les disciplines scolaires, il est essentiel de définir dans quel contexte social se dérouleront les activités de recherche. La littérature nous indique que le sentiment d’appartenance au groupe classe se construit à travers et grâce au groupe. Ainsi, nous pensons que l’étude de situations où les élèves travailleraient individuellement ne serait pas un indicateur optimal de la dimension traitée dans cette recherche. Nous choisissons donc d’axer cette étude sur des situations didactiques impliquant des interactions entre pairs.

Les tâches proposées par les moyens de mathématiques en vigueur en Suisse romande relèvent d’une approche socioconstructiviste et favorisent des activités permettant aux élèves de travailler et d'apprendre en collaborant. Aussi, en éducation physique, les enseignants proposent essentiellement des jeux de balle où l’équipe est indispensable pour pouvoir jouer. Ces deux situations permettent donc des relations entre les élèves. Ces derniers sont, à priori, placés dans une situation pédagogique égalitaire. En somme, la surdité de l’élève intégré serait, a priori, le seul élément qui pourrait conférer un statut scolaire différent et affecter l’activité sociale et affective de l’élève malentendant. De fait, le choix de ces situations semble pertinent afin d’évaluer le sentiment d’appartenance au groupe des élèves malentendants intégrés. Cette recherche s’intéressera donc à un dispositif d’interactions où un groupe hétérogène d’élèves collaborent pour atteindre un but collectif, et où les élèves s’aident mutuellement pour que chacun acquière la notion en jeu dans la tâche proposée, ceci tant en mathématiques qu'en éducation physique.

Enfin, la revue de la littérature nous montre les liens entre les composantes du concept de soi et d’autres dimensions socio-affectives. La perception des compétences sociales est liée, notamment, au sentiment d’appartenance au groupe, à la perception de sa propre acceptation sociale et au degré d’acceptabilité par les pairs. Ces trois dimensions évoluent conjointement.

Ainsi, dans le cadre de cette étude, c’est directement en situation didactique que nous nous intéresserons à la perception des compétences sociales et à la perception des compétences scolaires pour réaliser une tâche commune.

6.1.2 Questions de recherche

Nous examinerons les liens entre le sentiment de compétences, la perception des compétences des pairs, la perception d’être accepté par les pairs, l’acceptabilité par les pairs, le sentiment d’appartenance au groupe, la perception du climat relationnel entre élèves, l’intérêt pour le groupe et la perception de la dynamique du groupe, en fonction de deux situations relevant chacune d’une discipline scolaire différente. Ces dimensions sont considérées comme des indicateurs de l’intégration des élèves malentendants en classe. Comme l'indique Pelgrims (2006 ; 2011), les perceptions qu’ont les élèves de leur contexte de classe et des situations didactiques, ainsi que les dimensions socio-affectives de l’apprentissage, renseignent sur le degré de participation des élèves aux activités d’apprentissage. Nous adoptons ce postulat pour

68

étudier le degré d’intégration d’un élève malentendant en comparaison avec les autres élèves de la classe ordinaire dans deux situations didactiques.

Ainsi, cette recherche est guidée par la question générale suivante :

Dans quelle mesure l’élève déficient auditif et scolarisé en classe ordinaire se sent-il intégré lors de situations en mathématiques et en éducation physique?

Pour répondre à cette question générale, cette dernière est guidée par des questions spécifiques.

Cela permettra dès lors d’appréhender chaque dimension en situation de mathématiques et en situation d’éducation physique.

Les questions spécifiques sont les suivantes : Question 1

Dans quelle mesure l’élève se perçoit-il en général intégré et accepté par les autres élèves de sa classe ? Dans quelle mesure se perçoit-il différemment des autres élèves ?

a. Comment se positionne l’élève intégré selon les dimensions étudiées par rapport à ses camarades de classe ordinaire ?

b. Dans quelle mesure le sentiment de compétence varie-t-il en fonction des disciplines ? c. Dans quelle mesure les élèves intégrés sont-ils choisis en premier ou en dernier dans les

activités de groupe en éducation physique et en mathématiques ? (Etude du sociogramme)

Le rapport de recherche initial (Zuccone, 2011) comprend les résultats des perceptions qu’ont les élèves de leur intégration de manière globale, dans la classe, au travers des dimensions socio-affectives précitées mais sans référence à une situation d’action effective. Pour cet ouvrage, nous avons choisi de nous limiter à l’étude situationnelle de ces dimensions en extrayant les résultats les plus significatifs. Ainsi, dans la suite de ce travail seront uniquement présentés les résultats liés à la seconde question de travail. Nous résumerons toutefois les résultats obtenus concernant la première question de travail qui orientait notre regard sur les perceptions de l’élève de manière plus générale.

Question 2

En situation de travail de groupe, en éducation physique et en mathématiques, dans quelle mesure l’élève malentendant se sent-il et se perçoit-il intégré par rapport aux autres élèves de sa classe ?

a. Dans quelle mesure les dimensions socio-affectives de l’activité de l’élève malentendant varient-elles en fonction des deux situations de travail de groupe en éducation physique et en mathématiques ?

b. Dans quelle mesure les dimensions de l’activité de l’élève malentendant étudiées (sentiment de compétence spécifique à la tâche, la perception des compétences des pairs, et l’intérêt pour le groupe) diffèrent-elles des autres élèves de la classe ordinaire ?

69

6.2 Démarche méthodologique

Cette partie présente la démarche méthodologique adoptée dans cette recherche. Elle concerne tout d’abord le contexte de la recherche et l’échantillonnage, puis sur les instruments de recueil de données, à savoir des questionnaires, et la procédure de recueil de données ainsi que quelques difficultés rencontrées lors de la passation des échelles. Et enfin, les différentes étapes de la démarche d’analyse des données seront présentées.