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INNOVATIONS MANAGERIALES

CHAPITRE 1 MODELES DE DIFFUSION ET ACTEURS

2 LA MODIFICATION DES INNOVATIONS MANAGERIALES AU COURS DU PROCESSUS DE DIFFUSION

2.3 Les sentiers de modification au cours du processus de diffusion

Ansari et al. (2010) approfondissent cette réflexion sur les modifications des innovations en proposant une vision dynamique. Ils décrivent les types de modification qui apparaissent au fur et à mesure de la diffusion des innovations, et mettent en avant les différences de modifications et d’adaptations entre les premiers et les derniers adopteurs de l’innovation managériale. En d’autres termes, ils proposent des sentiers de modifications qui vont dépendre du type d’inadéquation entre l’innovation et les organisations, à partir des deux dimensions des adaptations : la fidélité et l’extensivité. Ainsi, les auteurs considèrent-ils que les types d’inadéquation provoquent des mécanismes et des modèles d’adaptation différents au cours du processus de diffusion.

Afin d’expliquer les différences de modifications des pratiques managériales réalisées par les premiers et les derniers adopteurs, les auteurs s’appuient sur deux types de justification de la décision d’adoption : les raisons rationnelles et sociales.

Selon certains travaux, les organisations adoptent une nouvelle pratique parce que ce choix se révèle être rationnel au vu de l’utilité et des caractéristiques de la pratique. Dans la diffusion des pratiques, la notion d’incertitude et les mécanismes associés à l’apprentissage sont importants. En effet, au début du processus de diffusion, l’incertitude liée à l’efficacité et aux caractéristiques des pratiques managériales est grande ; une inadéquation entre la pratique et l’organisation qui l’adopte a donc de grandes chances de se produire pour les premiers adopteurs. Au fur et à mesure de la diffusion de la pratique et donc des adoptions successives par de nombreuses organisations, l’incertitude sur la pratique diminue et les derniers adopteurs peuvent s’appuyer sur les connaissances issues de toutes les expériences d’adoption

précédentes. Ils sont donc en mesure d’éviter des pratiques qui auraient une faible adéquation avec leur organisation.

D’autres travaux rejettent ces raisons rationnelles et mettent en avant des raisons sociales. Dans ce cas, les décisions d’adoption sont le fruit de l’existence de pressions à être conforme et à apparaître légitime. Au début du processus de diffusion, les organisations ne sont pas encore soumises à une pression pour adopter une pratique qui ne serait pas en adéquation avec ses objectifs. Cependant, au fil de la diffusion, les pressions augmentent et contraignent les organisations à adopter les pratiques qui ne répondent pas nécessairement à leurs besoins ou ne sont pas adaptées à leurs caractéristiques.

Ansari, Fiss et Zajac (2010) s’appuient donc sur ces deux types de justification de l’adoption pour décrire les modifications au cours du processus de diffusion : les adaptations sont à la

fois des processus rationnels et sociaux.

2.3.1 Adéquation technique

L’adéquation technique est le degré avec lequel les caractéristiques d’une pratique sont compatibles avec les technologies déjà utilisées par l’organisation. Dans le cas de l’adéquation technique, l’existence de connaissances sur la pratique qui se diffuse est le mécanisme clé qui influence les adaptations. Au début du processus de diffusion, les décideurs ont peu d’information sur la nouvelle pratique. La mise en œuvre de la pratique se fait donc avec précaution et de manière incrémentale. Ainsi, les premiers adopteurs vont-ils éviter l’expérimentation et adopter les versions les plus fidèles de la pratique. Au fur et à mesure de la diffusion, les efforts d’adaptation s’intensifient et la pratique devient plus élaborée, avec plus de détails et plus de versions, ce qui conduit à moins de fidélité. En effet, l’incertitude diminue, les connaissances sur la pratique augmentent et les derniers adopteurs sont exposés à de nombreuses possibilités de mise en œuvre de la pratique. Au fil du processus de diffusion, des pratiques plus adaptées et personnalisées apparaissent. De la même manière, les premiers adopteurs, avec une connaissance réduite sur la pratique, et limités dans leur capacité à réduire l’inadéquation technique, vont choisir d’adopter une version peu extensive de la pratique managériale. La baisse de l’incertitude et l’augmentation des connaissances vont conduire à la mise en œuvre de versions plus extensives.

Le manque d’adéquation technique se traduit donc par un modèle d’adaptation de « faible

un modèle d’adaptation « sur-mesure », adaptation peu fidèle et extensive, à la fin du processus d’innovation.

2.3.2 Adéquation culturelle

L’adéquation culturelle correspond au degré de compatibilité des caractéristiques d’une pratique avec les valeurs et croyances de l’organisation. Ce type de problème d’adéquation va conduire à des modifications différentes de l’adéquation technique. Dans ce cas, la pression à la conformité est le mécanisme clé qui provoque les modifications face à l’inadéquation culturelle. Au début du processus de diffusion, les pressions à la conformité n’existent pas, les modèles à suivre n’ont pas encore émergé. Les premiers adopteurs peuvent donc expérimenter la pratique et la modifier afin qu’elle réponde à leurs besoins. Dans la suite du processus, la pression à la conformité augmente et limite la capacité des nouveaux adopteurs à adapter la pratique pour réduire l’inadéquation culturelle. Ils sont donc contraints, contrairement au début du processus, à mettre en œuvre une version fidèle de la pratique. De plus, comme les premiers adopteurs peuvent réduire l’inadéquation culturelle en adaptant la pratique, ils vont mettre en place une version extensive. En revanche, les derniers adopteurs, soumis aux pressions de conformité, vont mettre en place une version peu extensive pour réduire les coûts d’inadéquation qu’ils ne peuvent maîtriser par une adaptation. On se trouve ici dans une situation proche du decoupling, dans laquelle la mise en place est symbolique.

Les modèles d’adaptations à une inadéquation culturelle, au cours d’un processus de diffusion, sont opposés à ceux présentés pour l’inadéquation technique. Au début du processus de diffusion, l’adaptation est « sur-mesure » puis elle devient une adaptation de

« faible dosage ».

2.3.3 Adéquation politique

Enfin, l’adéquation politique correspond au degré avec lequel les caractéristiques normatives, implicites ou explicites, d’une pratique sont compatibles avec les intérêts des adopteurs potentiels. Dans ce cas, deux mécanismes influencent l’adaptation de la pratique : la pression d’application et le compromis. La pression d’application correspond à l’existence d’un contrôle qui vise le suivi de la conformité. Au début du processus de diffusion, les adopteurs doivent mettre en place une version très fidèle de la pratique et ne peuvent donc pas réduire

l’inadéquation. Le compromis est une réponse qui satisfait la demande d’un environnement politique hétérogène. Cela conduit à la mise en place d’une version peu fidèle et peu extensive de la pratique. Le compromis émerge généralement de la maturation et de la contre- mobilisation. Au début du processus de diffusion, les adopteurs adoptent la pratique sans adaptation. Dans la suite du processus, la pratique murit sous l’influence de la contre- mobilisation et de la contestation. De nouvelles versions de la pratique émergent, les adopteurs peuvent adapter la pratique pour réduire l’inadéquation. De la même manière, à la fin du processus, les adopteurs vont pouvoir mettre en œuvre des versions moins extensives. Dans le cas d’inadéquation politique, au début du processus de diffusion, la mise en œuvre est

complète et fidèle, puis fait place à un modèle d’adaptation « distant », peu fidèle et peu

extensif.

Le manque d’adéquation technique, culturelle et politique est le principal moteur de l’adaptation, alors que la connaissance limitée de la pratique, les pressions de conformité ou encore les pressions d’application et le compromis contraignent l’activité d’adaptation à différents moments du processus d’adaptation. Ces mécanismes déterminent dans quelle mesure et à quels moments du processus, l’inadéquation, qu’elle soit technique, culturelle ou politique persiste ; ou au contraire si une activité d’adaptation permet de la réduire.

Dans la mesure où nous nous intéressons uniquement au processus d’émergence des innovations managériales, ces résultats de recherche peuvent nous servir à caractériser les

adaptations réalisées par les pionniers et premiers adopteurs de l’innovation. Ces travaux

nous montrent que des versions différentes de l’innovation originale peuvent apparaître dès les premières adoptions à partir d’adaptation « faible dosage » ou « sur-mesure » dans le cas d’inadéquations techniques ou culturelles. Dans la mesure, où nous faisons l’hypothèse d’un processus d’émergence récursif, ces versions testées par les organisations pionnières peuvent ensuite être formalisées et étiquetées pour se diffuser.

2.4 Processus de modification influencés par les attributs des innovations