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INNOVATIONS MANAGERIALES

CHAPITRE 1 MODELES DE DIFFUSION ET ACTEURS

1 LA DIFFUSION DES INNOVATIONS MANAGERIALES

1.1 Perspective classique de la diffusion

1.1.1 Définition de la perspective classique

Le processus de diffusion est l’un des aspects les plus analysés dans la littérature sur les innovations. Rogers (1995) est un des auteurs majeurs sur la question. Ces travaux ont été mobilisés en particulier pour comprendre la diffusion des innovations managériales (Alcouffe, 2004). La diffusion est perçue dans une acception large qui intègre les aspects spontanés et les aspects planifiés. Elle est définie comme « le processus par lequel une innovation est communiquée à travers certains canaux, dans le temps, au sein des membres d’un système social »1 (Rogers, 1995). Dans ce modèle de la diffusion, l’innovation est une idée, une

pratique ou un objet perçu comme nouveau par l’individu qui l’adopte. Le caractère nouveau n’est donc pas objectif.

La notion de « perception » peut être intéressante à interroger dans notre recherche : comment le concepteur peut-il faire en sorte que l’innovation soit perçue comme innovante ? On peut supposer que le travail de rhétorique sur la méthode aura un rôle important dans ce processus.

1 « the process by which an innovation is communicated through certain channels over time among the members of a social system »

1.1.2 Processus de diffusion selon la perspective classique

Selon Rogers (1995), les informations sur l’innovation se transmettent entre les individus par le biais de deux canaux de communication principaux : les médias et les canaux interpersonnels. Les médias représentent le canal le plus rapide et incluent tous les médias de masse, comme la radio, la télévision, les journaux, qui permettent d’atteindre une très large audience. Les canaux interpersonnels sont ceux qui permettent l’échange d’informations entre un petit nombre d’individus, par le bouche-à-oreille ou le face-à-face. Ainsi, les individus se fondent-ils davantage sur les avis subjectifs de ceux qui ont testé l’innovation que sur une analyse scientifique des apports de l’innovation.

Selon Rogers (1995), le cycle de vie de la diffusion peut être représenté sous la forme d’une

courbe en S, à partir de la fréquence d’adoption cumulée de l’innovation. Ainsi, un faible

nombre d’acteurs adopte-t-il l’innovation au début de son entrée sur le marché, puis le nombre d’adoptions augmente de manière importante avant de se stabiliser. Selon les innovations, la vitesse d’adoption sera plus ou moins rapide, ainsi le S sera-t-il plus ou moins incliné. Cette courbe en S traduit l’existence de différentes catégories d’adopteurs au cours du cycle de vie de l’innovation (Rogers, 1995). Ces catégories sont définies en fonction du degré d’ « innovativeness », que l’on peut traduire par « inventivité » des individus, qui détermine le degré avec lequel un individu adopte de nouvelles idées plus tôt que les autres membres du système.

Les « innovateurs » composent la première catégorie d’adopteurs qui sont des chercheurs actifs d’information et qui ont un fort degré d’exposition aux médias, ainsi qu’un réseau interpersonnel très étendu. Ces individus peuvent supporter un degré d’incertitude élevé par rapport aux autres catégories dans leur décision d’adoption. Il est intéressant de noter que ces « innovateurs » (« innovators ») sont en réalité les « pionniers » qui adoptent l’innovation. Ils ne sont pas à l’origine de l’innovation, mais sont des innovateurs sociaux dans la mesure où ils transgressent l’ordre établi en adoptant l’innovation.

La deuxième catégorie est celle des « adopteurs précoces » (« early adopters ») qui adoptent dans un second temps l’innovation, après avoir observé et pris connaissance de l’expérience des « innovateurs ». Ces « adopteurs précoces » ont un fort degré de leadership, et sont plus intégrés au système social que les « innovateurs ». Ainsi, les adopteurs potentiels les consultent-t-ils pour obtenir conseils et informations sur l’innovation. Ils permettent d’accélérer la vitesse de diffusion de l’innovation en réduisant l’incertitude autour de

l’innovation en l’adoptant et en formulant une évaluation subjective via des canaux interpersonnels.

Vient ensuite la « majorité précoce » (« early majority »), qui correspond aux individus qui adoptent l’innovation juste avant l’individu moyen du système, mais n’ont pas une position de leader d’opinion. Ces individus, dont le processus de décision est relativement long par rapport à ceux des deux premières catégories, ont une position centrale dans la diffusion : ils assurent le lien entre les premières catégories et les individus qui n’ont pas encore adopté l’innovation.

La « majorité en retard » (« late majority ») adopte l’innovation juste après l’individu moyen du système. L’adoption est le résultat d’une nécessité économique et de l’augmentation de la pression des autres acteurs du système. Le poids des normes doit être totalement en faveur de l’innovation pour provoquer l’adoption. La plus grande part d’incertitude sur l’innovation a été supprimée, ce qui permet à cette majorité en retard de se sentir en sécurité en adoptant l’innovation.

Enfin, la dernière catégorie est celle de individus « à la traîne » (« laggards »), dont le point de référence est le passé et qui sont suspicieux face aux innovations.

L’existence de ces catégories d’adopteurs nous permet de situer la période que nous souhaitons analyser dans notre recherche : celle entre l’invention et la diffusion au sens d’une diffusion d’une innovation établie. Nous pensons que cette période correspond à celle de

l’adoption par les « innovateurs », qui n’ont pas inventé la méthode mais qui vont la mettre

en place et participer ainsi à sa validation pratique. Il est possible que cette période inclue également l’apparition des premiers « adopteurs précoces ». Ayant pris connaissance des expériences des innovateurs, ils peuvent être amenés à adopter l’innovation, même si son statut d’innovation « établi » n’est pas encore atteint.

1.1.3 Facteurs d’influence de la diffusion

Rogers (1995) explique les différents taux d’adoption des innovations par la présence et l’importance relative de certains attributs perçus de l’innovation. Le taux d’adoption correspond à la vitesse relative avec laquelle une innovation est adoptée par les membres d’un système social et est mesuré par le nombre d’individus qui adoptent une nouvelle idée dans une période donnée. A nouveau, les attributs ne sont pas nécessairement objectifs mais ils

doivent être perçus par les adopteurs. Rogers identifie cinq attributs qui expliquent ce taux d’adoption.

On trouve, tout d’abord, les avantages relatifs de l’innovation qui correspondent au degré avec lequel l’innovation est perçue comme meilleure, possédant certains avantages par rapport à l’existant. Plus les avantages relatifs seront importants, plus la diffusion sera rapide et conséquente.

Le deuxième attribut est celui de la compatibilité, en d’autres termes, le degré de cohérence de l’innovation avec les valeurs, les expériences passées et les besoins des adopteurs. Si le degré de compatibilité est faible, l’adoption nécessite d’être accompagnée d’un processus long de transformation du système de valeurs ou de culture. Cette compatibilité inclut également le besoin ressenti des adopteurs. Ceux-ci ne ressentent pas toujours le besoin d’adopter l’innovation, mais dès qu’ils ont connaissance de l’innovation et de ses apports, ils peuvent prendre conscience de ce besoin que l’innovation satisfait. A nouveau, plus le degré de compatibilité sera fort, plus la diffusion sera importante.

Le troisième attribut est celui de la complexité de l’innovation, c’est-à-dire le degré avec lequel l’innovation est perçue comme difficile à comprendre et à utiliser. L’adoption d’une innovation peut impliquer le développement de nouvelles connaissances et compétences afin d’adopter l’innovation. Dans ce cas, plus le degré de complexité est élevé, moins le taux d’adoption sera important.

Le quatrième attribut est celui de l’ « essayabilité » (« triability »). Cet attribut correspond à la possibilité de tester l’innovation de manière partielle, avec des bases limitées. Il n’est pas nécessaire de mettre en œuvre l’intégralité de l’innovation pour pouvoir observer son efficacité. Ainsi, plus le degré d’essayabilité est fort, plus le taux d’adoption sera élevé. Enfin, l’observabilité des résultats de la mise en œuvre de l’innovation est le dernier attribut qui permet d’expliquer les différents taux d’adoption. Cette observabilité correspond à la possibilité de voir et de démontrer facilement les bénéfices de l’adoption de l’innovation. Cette observabilité concerne à la fois les adopteurs de l’innovation mais aussi les personnes extérieures qui peuvent observer les résultats obtenus par les adopteurs. Ainsi, plus le degré d’observabilité est important, plus la diffusion sera importante.

Cette réflexion en termes d’attributs de l’innovation pourra être menée dans le cadre de la phase particulière de la vie des innovations managériales : ces attributs ont-ils également