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INNOVATIONS MANAGERIALES

CHAPITRE 2 OUTILS DE GESTION, RHETORIQUE ET CONCEPTION

2 LES APPORTS DE LA LITTERATURE SUR LA RHETORIQUE

2.2 La rhétorique : d'Aristote à Laufer

Pour Aristote, la rhétorique est avant tout un art utile. Elle a pour fonction de communiquer les idées, en dépit des différences de langage des disciplines. Aristote fonde ainsi la rhétorique comme science oratoire autonome de la philosophie. Cet art de la rhétorique se divise en cinq parties : l'invention, la disposition, l'élocution, l'action et la mémoire. L'invention correspond à la recherche d'arguments. La disposition est l'ordre suivant lequel les arguments doivent être exposés. L'élocution est la façon dont il convient de formuler l'argument. L'action est la façon dont les arguments doivent être prononcés. Enfin, la mémoire est le développement de procédés mnémotechniques qui permettent que la rhétorique soit prononcée sans note. On retrouve donc trois ensembles : l'argumentation proprement dite (invention et disposition), la formulation des arguments (élocution) et la transmission (action et mémoire).

Il distingue trois espèces de rhétorique (ou trois genres du discours), qui correspondent chacune à une classe d'auditeurs et visent un certain type d’effet social (Aristote, Rhétorique) : le genre judiciaire, le genre délibératif et le genre épidictique, que nous détaillerons plus loin.

Laufer (2008) conçoit la rhétorique comme une théorie de l’argumentation, et propose d’analyser les processus rhétoriques à trois niveaux : celui de la technique, celui des présupposés de la technique et celui des fondements de ces présupposés. Laufer (2008) considère qu'il est possible de décrire la rhétorique sans se référer de façon explicite à la question de ses fondements, mais qu'en revanche, il est impossible de ne pas définir ses présupposés. Ces présupposés correspondent en réalité au genre rhétorique défini par Aristote. Son analyse l’amène à définir le marketing comme un nouveau genre rhétorique, qu’il place à côté des trois genres rhétoriques distingués par Aristote (judiciaire, délibératif et épidictique). Le rapport entre le niveau de la technique et celui des présupposés est le lieu où se déroule l'argumentation. En effet, il est nécessaire qu'il y ait un contact entre l'orateur et son auditoire pour que l'argumentaire soit « entendu ». Les présupposés constituent donc les lieux, les occasions, les textes et les rôles qui forment les possibilités de l'échange que la rhétorique suppose.

Laufer cherche à préciser dans quelle mesure les présupposés de la rhétorique managériale sont différents de ceux des trois genres rhétoriques définis par Aristote. Il identifie ainsi un quatrième genre de rhétorique : le marketing. Ces quatre genres différents par leurs présupposés qui assurent l'application de la technique. Pour chacun, il est donc possible de définir le lieu où se réalise la rhétorique (dispositif physique de l'échange), les rôles des divers acteurs qui peuvent potentiellement prendre part aux échanges, l'enjeu de la rhétorique et enfin le but ou la fin de l'échange, en d'autres termes le critère qui prévaut pour déterminer la pertinence des arguments (Tableau 8).

La principale différence entre les genres classiques de la rhétorique et le marketing tient au fait que la rhétorique classique est interpersonnelle, tandis que le marketing est une « rhétorique organisationnelle » : c’est une organisation, et non une personne, qui s’adresse à une foule dispersée. Cela suppose donc une définition de l’organisation comme « système de communication » (Barnard, 1938). Cette rhétorique se construit à travers une multiplicité d'interactions personnelles, entre tous ceux qui prennent part à son élaboration et sa mise en œuvre. Cette rhétorique organisationnelle est duale, mobilisant à la fois une « rhétorique normative » et une « rhétorique interpersonnelle ». La rhétorique normative définit « la norme d'action et la norme de communication entre ceux qui participent à son élaboration et/ou à sa mise en œuvre ». La rhétorique interpersonnelle incarne concrètement ce processus de communication. Le caractère dual se traduit par le fait que la modification d'une des rhétoriques affecte immédiatement l'autre. En effet, la rhétorique normative n'existe que parce que la rhétorique interpersonnelle permet de lui donner une réalité. La rhétorique

interpersonnelle ne peut exister qu'avec une rhétorique normative qui définit le rôle de chacun et un cadre de mise en œuvre.

Cette distinction est intéressante pour notre sujet, car elle nous offre un double niveau d’analyse du discours sur l’innovation : suivant la norme de communication employée d’une part, et suivant sa matérialisation d’autre part.

Genre Judiciaire Délibératif Epidictique Marketing Lieu physique Tribunal Le conseil La place du

marché (Agora)

Le marché

Les rôles Plaideurs/Juges/ Avocats

Membres du conseil

Orateur/foule Entreprise/concu rrent/marché

Enjeux Jugement Décision Magnifier les valeurs communes

Vendre

But/Fin Le juste et

l'injuste L'utile et l'inutile Le beau et le laid La valeur d'un bien ou d'un service

Tableau 8 - Les genres de la rhétorique - Laufer (2008)

Parmi les pistes de recherche évoquées par Laufer, nous retiendrons celle qui porte sur les présupposés de la rhétorique et qu’il appelle « la méthode des archives de surface » (2008). Les présupposés sont l'ensemble des conditions nécessaires à la réalisation de ce que Chaïm Perelman (cité par Laufer, 2008) appelle « le contact des esprits ». Il s’agit donc d’établir des « lieux communs », physiques ou psychiques, afin que la communication puisse avoir lieu entre les acteurs de l’échange rhétorique. C’est ce corpus, constitué des lieux communs obligatoires, que Laufer nomme « archives de surface ». Cette notion de « lieu commun » est intéressante pour notre recherche car elle est critique dans le cas de l’innovation. En effet,

comment tenir un discours sur l’innovation, tout en restant à l’intérieur du lieu commun qui rend la communication possible ? Ne risque-t-on pas de perdre l’interlocuteur et de

rompre la communication en employant des termes trop nouveaux, et donc inconnus de l’interlocuteur ? Comment maintenir le «contact des esprits » dans un contexte d’innovation ?