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Sandrine BONNEL

Dans le document Prise en chargede la psychopathie (Page 103-106)

Psychiatre, 11èmesecteur de Seine-Saint-Denis EPS Ville-Evrard, Centre Psychiatrique du Bois de Bondy

INTRODUCTION

C'est autour de l'expérience de partenariat mené depuis maintenant plus de dix ans par un secteur de psy-chiatrie adulte de Seine-Saint-Denis et un CHRS (Centre d'hébergement et de réinsertion sociale), la Cité Myriam, accueillant une population d'une centaine d'hommes entre 18 et 65 ans, implanté sur ce même sec-teur, que s'articule cette réflexion sur la prise en charge des psychopathes. La représentation initiale simple d'un service réciproque : soin psychiatrique des hébergés contre hébergement possible de malades psychia-triques, s'est vue à la fois contrariée, complexifiée et enrichie au fil des prises en charge par la rencontre du fonctionnement et des limites de chacune de nos institutions. La question de la psychopathie, abordée peut-être en termes plus quantitatifs que qualitatifs, notamment par rapport à la psychose, de nos sujets com-muns, est au centre de cette expérience de réalité.

MATÉRIEL ET MÉTHODE

Notre secteur, situé à la périphérie de l'est parisien, regroupe une population connaissant les difficultés propres à l'ensemble du département, sinon d'une partie croissante des banlieues des grands centres urbains : faibles, voire très faibles revenus, bas niveau de qualification scolaire ou professionnelle, insertion souvent absente, marginale, obsolète ou peu gratifiante dans le monde du travail, histoires personnelles et familiales marquées par les ruptures affectives, historiques, culturelles, habitus cannabique ou alcoolique fré-quent — ceci au sein d'un tissu urbain mélangeant zones pavillonnaires et cités de taille moyenne, ce qui tempère quantitativement ce que nous nous permettrons d'appeler la « donne sociale du terreau psychopa-thique » par rapport à d'autres communes du département.

Ce préambule a pour objet de situer l'exercice de notre secteur au-delà de son partenariat avec un CHRS : la confrontation avec la question de la prise en charge des psychopathes n’est pas de son fait, pas plus que la dégradation des conditions économiques et du tissu social ainsi que la restriction des moyens à l'ordre du jour dans les secteurs sanitaires et sociaux ne sont l'apanage de la Seine-Saint-Denis. Nous avons néan-moins fréquemment le sentiment, à défaut de faire de la recherche au sens habituel du terme, de travailler au sein d'une forme de laboratoire de la misère urbaine, ce qui n'est pas sans fruit, notamment sur le plan de la réflexion clinique et institutionnelle, et ne doit en tous cas pas le rester, sous peine de partager la carence élaborative et la tendance à l'agir brutal et inadéquat de nos patients psychopathes. La traduction de cette expérience par un service de secteur échappera toutefois aux critères de scientificité en vigueur dans les publications psychiatriques modernes.

Le dispositif de soins de notre secteur comprend :

- un CMP (Centre médico-psychologique), pour les consultations « régulières » des psychiatres et des psychologues ainsi que les soins infirmiers ambulatoires sur place ou au domicile du patient,

- un CATTP (Centre d'activités thérapeutiques à temps partiel),

- un Centre d'Accueil, situé au sein d'un hôpital général mais distinct des urgences, pour des consulta-tions rapides d'évaluation et d'orientation, ainsi que des prises en charge soutenues comportant des soins médicaux et infirmiers, permettant le cas échéant de ne pas recourir à l'hospitalisation,

- une unité d'hospitalisation de 20 lits.

Le partenariat mis en place comporte au plan formel une réunion bi-mensuelle, au CHRS, entre le praticien hospitalier responsable du centre d'accueil et l'équipe des travailleurs sociaux du CHRS, soit une dizaine de personnes ayant chacune en charge une douzaine d'hébergés, selon le fonctionnement propre de

l'institu-tion. Les situations individuelles à même de relever d'une intervention de soin psychique selon l'évaluation intuitive ou documentée de l'équipe (en fonction des antécédents connus, d'une symptomatologie consta-tée, de problèmes rencontrés avec l'hébergé), sont discutées et font, ou non, l'objet d'une orientation soit vers les structures de secteur, soit vers d'autres partenaires du CHRS, tels qu'un cabinet associatif de psy-chologues et les structures spécialisées dans la prise en charge de l'alcoolisme et de la toxicomanie.

Au plan informel, la connaissance réciproque du mode de fonctionnement de nos institutions : recrutement, possibilités, limites, doublée de rencontres personnalisées récurrentes, téléphoniques ou directes entre les différents membres de nos équipes, au gré des prises en charge ou des temps institutionnels auxquels nous nous convions, permet de faciliter les contacts, parfois de résoudre des problèmes, et tend au moins à limi-ter la portée des désaccords et des malentendus lorsque nous rencontrons, ce qui est inévitable, les limites de nos possibilités d'action ou de compréhension.

Enfin, un psychologue de notre secteur assure une réunion mensuelle de supervision d'équipe à destination des seuls animateurs du CHRS, de manière totalement indépendante des prises en charge communes avec le secteur.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Ceux-ci sont en matière de « soin » des psychopathes à l'honneur du CHRS, et pas du secteur psychiatrique, ce paradoxe apparent n'ayant sans doute rien pour surprendre les psychiatres, qui connaissent la difficulté et doivent parfois reconnaître leur peu d'empressement à suivre ces sujets. Ce raccourci recouvre toutefois une situation complexe, dont les déterminants relèvent à la fois de la psychopathologie propre des patients et de l'organisation des systèmes pouvant les accueillir.

C'est dans la prise en charge des troubles psychotiques, aigus, subaigus, ou récurrents des sujets présen-tant un fonctionnement psychique de type psychopathique prédominant que l'intervention psychiatrique s'avère la plus efficiente, grâce au recours au traitement médicamenteux, notamment neuroleptique, en ambulatoire ou en hospitalisation, sous contrainte ou libre. L'expression symptomatique peut être plus vio-lente, l'instauration et le maintien des soins plus difficile, voire très difficile, mais il s'agit, même temporaire-ment, de prendre en charge un psychotique, ce qui est le savoir-faire traditionnel de la psychiatrie de sec-teur. Il est hélas envisageable de dire « était », car la pénurie de personnel médical et infirmier, la féminisation des équipes, la disparition du diplôme infirmier spécialisé, la modernisation des locaux dans une optique de réduction des coûts non corrigée par les lunettes de l'expérience de la violence psychiatrique, amène le sec-teur à peser et parfois à discuter aux confins de la mauvaise foi ses indications de soins, notamment en matière d'hospitalisation.

Lorsque la dimension d'addiction est prédominante, elle peut déboucher sur une prise en charge dont la régularité, la durée et les bénéfices seront soumis aux aléas de l'instabilité psychique et existentielle définis-sant le psychopathe. Intervient alors la question de la capacité d'adhésion au projet de soin, fonction de l'in-vestissement des enjeux existentiels, affectifs ou concrets, distincts des bénéfices apportés par l'addiction et avec lesquels ils vont entrer en concurrence.

Notre CMP a fait le choix de refuser la pratique de la prescription des produits de substitution aux opiacés, que ce soit la méthadone ou le Subutex. Ce refus est argumenté par le souci d'éviter de surcharger une file active déjà pléthorique par des consultations d'approvisionnement médicamenteux sans véritable demande de soin. Intervient également le souci de ne pas exposer les équipes et les patients habituels du CMP aux

« dommages collatéraux » traditionnels de l'habitus toxicomaniaque : violences, trafic. Par ailleurs, un centre spécialisé pratiquant la substitution et situé à proximité, La Mosaïque, répond aux besoins.

Le manque d'expérience de certains praticiens de secteur en matière de prise en charge de la toxicomanie est toutefois réel, de même que l'inélaboration théorique tant au plan psychodynamique que neurobiologique des voies de glissement entre addiction et psychose. La classique « pharmacopsychose » reste bien souvent un simple corrélat clinique.

Le clivage des pratiques induit donc fréquemment un tri primaire des patients, qui écarte de fait bon nombre de sujets psychopathes du secteur, qu'ils fassent ou non l'objet d'une injonction de soin. Il en est de même pour les sujets dont la dépendance alcoolique est au premier plan, fréquemment orientés vers les structures spécialisées tels que les Centres d'Hygiène Alimentaire.

Ce constat d'une certaine carence du secteur ne saurait être imputé à lui seul : la psychiatrie, le psychiatre font toujours peur, cette image gardant un lien avec un faible niveau d'éducation et d'ouverture sociale, ce qui est le cas de bon nombre de sujets psychopathes. Au CHRS (comme ailleurs), le vœu des équipes (de l'entourage) de voir un sujet consulter en raison de son impulsivité, de sa tension interne, de la violence de ses réactions, rencontre le célèbre « je ne suis pas fou ». La résistance est souvent d'autant plus forte que la symptomatologie est intense. Les consultations dans ce cadre ont fréquemment lieu au Centre d'Accueil, de façon ponctuelle, en semi-urgence. Lorsqu'un lien existe avec un psychiatre traitant au CMP, le suivi est rarement régulier. La prescription à visée apaisante y est au premier plan, un agir médical contre l'agir psy-chopathique.

Comme pour les addictions, comme dans le cadre des injonctions de soins, la contre-pression des investis-sements existentiels est déterminante : garder sa place au CHRS est souvent une motivation importante, un engagement aux soins pouvant être inclus dans le contrat d'hébergement, d'emblée ou en cours de séjour.

Il est à ce propos intéressant de noter que contrairement aux idées reçues, notamment des psychiatres, le CHRS ne tolère fondamentalement pas plus les manifestations relationnelles de la psychopathie que le sec-teur ou le reste de la société : la violence physique est un motif d'exclusion immédiate, il est interdit d'y intro-duire des toxiques, le non-respect du projet d'insertion et des contraintes peut interrompre le séjour. C'est par la cohérence et la continuité de son cadre, à la fois bienveillant, patient, mais ferme, l'appréciation nuan-cée de chaque situation, la personnalisation des projets, l'élaboration collective des décisions délicates, qu'un CHRS de qualité pour ne pas dire d'exception comme la Cité Myriam parvient à infléchir la trajectoire existentielle désespérante, désespérée, de ses hébergés. La dimension réparatrice du cadre éducatif fami-lial et social antérieur défaillant est frappante, comme le paradoxe : le sujet psychopathe pourra bénéficier du CHRS comme des soins dans la mesure où il ne l'est suffisamment pas, pour pouvoir tenir dans la durée au CHRS, pour accepter de voir un psychiatre, pour répondre à ses obligations légales, par exemple.

Cette question de la limite apparaît au final déterminante, car elle engage à la fois le sujet et le corps social dans son ensemble. On ne saurait opposer à la toute puissance infantile du psychopathe la toute puissance supposée d'une unique institution, qu'il s'agisse de l'institution psychiatrique (« ils sont à soigner »), de l'ins-titution judiciaire (« surveiller et punir ») ou du secteur socio-éducatif (« les pauvres ! »). Le sujet psychopathe, comme le sujet psychotique d'ailleurs, doit rester le citoyen d'un état de droit et de devoir. Sa responsabilité doit être engagée dans les possibilités qui lui sont offertes, sous peine d'un transfert aux effets pervers : per-vers au plan thérapeutique individuel, car rejouer l'histoire de la toute-puissance parentale, vécue comme surprotectrice, maltraitante ou délaissante ne saurait qu'entretenir le sujet dans sa position psychique et favoriser son désir d'échappement ; pervers au plan social, car la chamaillerie des institutions au dessus d'un sujet infantilisé (« il est pour qui ? ») épuise tout le monde sauf le sujet, qu'elle abandonne ; pervers enfin au plan politique, car la psychiatrisation de la délinquance et la répression de la misère brouille les esprits, bafoue les consciences, et menace l'espoir avec la liberté.

C'est peut-être dans cette optique, à l'échelle modeste de notre partenariat secteur-CHRS que s'effectue la partie la plus spécifique et la plus intéressante de notre intervention auprès ou plutôt autour de la psycho-pathie. L'évocation avec les équipes des situations problématiques, l'analyse des conduites, des propos, du contexte, permet tantôt de confirmer l'indication de prise en charge psychiatrique, notamment en cas de symptomatologie d'allure psychotique, tantôt de discuter ou de valider une réponse éducative ou institution-nelle du CHRS, ces deux positions ne s'excluant pas forcément.

Que pouvoir attendre, et souvent ne pas pouvoir attendre, du passage d'un hébergé devant le psychiatre, en fonction de ce dont il souffre et de ce qu'il en attend lui-même est une question-clef. La meilleure réponse est celle qui rencontre l'assentiment des partenaires, qui doivent pour cela se connaître, se comprendre, et se respecter. La place de l'autre, la limite de l'autre, permet de rencontrer la sienne, et ce message, traduc-tible en terme éthique par les mots de responsabilité et de liberté, en terme psychanalytique par la question de la relation d'objet, est au cœur de la problématique psychique du sujet psychopathe : la rencontre avec lui ne saurait l'oublier. En est il d'ailleurs autrement pour chacun d'entre nous ?

DIAGNOSTIC ET PRISES EN CHARGE DE L’ADULTE

Accepter la ressemblance et la différence des personnes accueillies ;

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