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Daniel ZAGURY*

Dans le document Prise en chargede la psychopathie (Page 123-126)

Psychiatre des hôpitaux - Centre psychiatrique du Bois de Bondy

LE PRINCIPE DE LA LOI

L’état de démence (article 64 de l’ancien Code Pénal), puis l’abolition du discernement (article 122-1, alinéa du Code Pénal), l’atténuation de la responsabilité (circulaire Chaumié), puis l’altération du discernement (article 122-1, alinéa 2 du Code Pénal), sont des formules génériques du langage courant. Il n’est pas dicté à l’expert quel doit en être le contenu. Par analogie avec le Droit, on peut parler de jurisprudence expertale.

Avec Georget, élève d’Esquirol, l’état de démence est devenu synonyme d’aliénation mentale et le principe en a été longtemps conservé, malgré un certain affinement. Au fur et à mesure du temps qui passe, parallèlement aux progrès des soins psychiatriques, les experts se sont montrés beaucoup plus exigeants. Au tri médico-judiciaire (les aliénés à l’asile et les autres en prison), a fait place l’exigence d’un rapport direct et exclusif entre l’état mental pathologique et l’infraction pour conclure à l’état de démence puis à l’abolition du discernement.

Comme le souligne le rapport de l’IGAS en 2001, le pourcentage des non-lieux obtenus en 1987 avec l’article 64 du Code Pénal par rapport au nombre de personnes mises en examen est pratiquement identique à celui obtenu en 1999 avec le premier alinéa de l’article 122-1 du nouveau Code Pénal. La modification de la loi n’a donc pas eu d’effet réel sur le taux de malades mentaux bénéficiant d’un non-lieu pour irresponsabilité.

Il convient d’insister sur un point : il ne peut y avoir de nosographie de l’abolition du discernement, de liste d’affections déresponsabilisantes, parce que c’est contraire à la loi elle-même. Pour le dire simplement, la démarche expertale implique un examen clinique qui aboutit à un diagnostic actuel, puis une analyse rétrospective de l’état mental au moment de l’action, enfin une évaluation du rapport entre l’état mental et les faits. C’est d’ailleurs là que la notion de jurisprudence expertale trouve une limite car ce rapport relève d’une étude au cas par cas, bien que des situations types puissent être étudiées et que le principe même de la loi ne devrait pas susciter des interprétations divergentes de la part des experts.

SON APPLICATION CHEZ LES PSYCHOPATHES

De façon constante, les déséquilibrés ont été exclus du champ de l’irresponsabilité pénale quand seule l’économie psychopathique est en jeu dans la commission de l’infraction. Si le débat est nécessairement ouvert sur les limites entre troubles de la personnalité et maladies mentales, entre axe 1 et axe 2 du DSM, entre approches catégorielle et dimensionnelle, renoncer définitivement à cette distinction aurait des conséquences majeures. C’est la question qui a été posée par Kendell pour répondre au gouvernement britannique, à propos d’une loi visant à la détention indéfinie pour toute personne responsable d’un délit majeur et présentant des troubles majeurs de la personnalité, notamment psychopathiques. On connaît la tentation de l’alibi médical consistant à transformer l’exclusion en soin, fût-ce un soin à perpétuité. Le train des bons sentiments, ici celui du soin à tout prix des psychopathes, peut en cacher un autre. Georges Lantéri-Laura allait jusqu’à qualifier d’escroquerie la démarche qui consiste à confondre le signe, au sens de la sémiologie médicale, et la déviation des conduites. Le principe d’une distinction claire entre maladie mentale et troubles de la personnalité demeure parfaitement valide. Une meilleure connaissance des mécanismes psychopathologiques en jeu et des tentatives thérapeutiques courageuses ne doivent pas nous amener à confondre le soin sans consentement et l’injonction de soin, le soin alternatif au processus judiciaire et le soin associé au processus judiciaire.

Ce principe général de la responsabilité des psychopathes a bien sûr des exceptions, dans l’esprit même de la loi. Nous connaissons depuis longtemps la vulnérabilité particulière des déséquilibrés aux bouffées délirantes, aux épisodes excito-délirants, aux troubles de l’humeur : Gérard est condamné à la suite d’un vol à main armée. Il purge sa peine. En fin de détention, il est impressionné par un codétenu qui évoque des phénomènes paranormaux et lui parle de démonologie. Peu de temps après sa libération, il présente une bouffée délirante en tous points caractéristique, au cours de laquelle il met le feu à sa propre maison afin de pouvoir la refaire

*Daniel ZAGURY, Psychiatre des Hôpitaux, Centre psychiatrique du Bois de Bondy (Etablissement Public de Santé Ville Evrard), 13-15 Voie Promenade, 93147 Bondy Cedex.

à neuf. Mis en examen pour incendie volontaire, il bénéficie de l’application de l’article 122-1, alinéa 1 du Code Pénal. Il n’est pas exclu qu’à l’issue de son hospitalisation d’office, il ait repris son existence de psychopathe marginal émaillée d’infractions.

La véritable complexité de la question de l’expertise des psychopathes concerne le champ de l’héboïdophrénie, des psychoses pseudo-psychopathiques et de certaines évolutions psychopathiques vers la psychose dissociative. Un contingent non négligeable de sujets primitivement étiquetés psychopathes évolue d’incarcérations en incarcérations vers des tableaux de psychose avérée.

C’est à leur propos qu’il y a souvent désaccord et polémique entre experts et psychiatres en milieu carcéral.

En liberté, ils consument leur tension interne dans la fuite en avant, l’alcool, les drogues, la marginalité…

Entre les murs de la prison, c’est la béance hémorragique qui se démasque. Dans ces cas difficiles, seule l’analyse rigoureuse des rapports entre l’état mental et l’infraction permet de conclure.

Si la plupart des actes violents commis par les psychotiques sont un sursaut de survie au bord du gouffre de la dissolution psychique, les infractions psychopathiques répondent habituellement au court-circuit, à la décharge, au défi, à la toute-puissance, au recours à l’acte face à la menace d’effondrement, l’un de leurs traits caractéristiques étant l’incapacité à se déprimer authentiquement.

Citons parmi d’autres une situation archétypique : dans un moment de passivation insupportable, de vécu d’abandon, après des ébauches de recherches de travail à la sortie de prison, c’est le risque de réouverture de la faille et le rebond dans l’acte. Le sujet verbalise qu’il ne pouvait pas faire autrement, qu’il n’avait pas d’autre choix, légitimant son infraction, accusant le « système », se posant comme victime sans percevoir la moindre part d’implication.

Les autres dimensions de l’expertise médico-légale des psychopathes

L’expert ne rencontre pas seulement un « psychopathe », mais un sujet, à un moment donné d’un parcours souvent « chaotique ». Il convient de rendre compte de la dynamique de l’échange qui s’est instauré et des singularités de sa personnalité. Il arrive que cette rencontre ne se fasse pas, le sujet refusant l’expertise sur un « coup de tête ». Il n’est d’ailleurs par rare, eu égard à sa variabilité thymique et émotionnelle, qu’il accepte l’expertise à la tentative suivante.

Pour un même repérage de traits de personnalité de base indiscutablement psychopathiques, les expressions cliniques peuvent en être très diverses et hétérogènes. Aussi est-il absolument impossible de toutes les citer.

J’en donnerai seulement quelques illustrations par les questions qui peuvent être soulevées par l’expert, selon les cas. Les perspectives seront d’ailleurs très différentes selon qu’il s’agit d’un violeur à répétition, d’un délinquant utilitaire, d’un sujet commettant des actes de violence contre les personnes, etc. De même les enjeux pronostics seront évidemment différents si l’on examine un petit déséquilibré qui oscille entre l’hôpital et la prison pour vol, et un tueur en série. Chez ce dernier, on repère toujours un tripôle à pondération variable (psychopathie, perversion narcissique ou perversité sexuelle, angoisse néantisante) :

- Le sujet fait-il une halte dans son parcours de fuite en avant pour s’interroger, ne serait-ce que fugacement, ou répète-t-il ce qu’il a déjà dit à de multiples experts, dans un discours fermé ?

- Ses propos sont-ils dominés par une projectivité sans appel ? Se vit-il comme une victime permanente (« C’est la faute au système ») ou bien lui arrive-t-il par instant de s’arrêter et de douter ?

- Repère-t-on dans sa biographie des moments de moindre instabilité, à l’occasion d’un emploi, au gré d’une relation tutélaire, grâce à une aide thérapeutique ou éducative acceptée pour un temps ?

- A-t-il été momentanément contenu par une institution, telle l’armée, ou cela a-t-il été au contraire l’occasion de ruptures et de transgressions (désertions à répétition) ?

- Retrouve-t-on dans son passé des carences massives et généralisées ou y a-t-il des personnages qui surnagent, tels une grand-mère, un éducateur, une famille d’accueil, etc. ?

- Observe-t-on un contraste entre une existence échevelée à l’extérieur et un certain apaisement en prison, comme si les murs de l’institution pénitentiaire lui donnaient un contenant pare-excitant ?

- Tolère-t-il d’évoquer les violences subies dans l’enfance ou énonce-t-il abruptement que « le passé c’est le passé » ?

- A-t-il recours à la mythologie du taulard victime du système ou perçoit-il un malaise devant tant d’années passées en prison ?

- Trouve-t-il normal « de payer sa dette » ou justifie-t-il ses infractions par les injustices subies ?

- S’est-il lié à des femmes qui ont fini par se lasser ou a-t-il recherché des compagnes plus âgées, maternantes, liens éventuellement ponctués de violences quand la dimension incestuelle était trop insupportable ? - Repère-t-on une ébauche de sentiment de culpabilité ou bien la dimension autopunitive est-elle écrasante ? - Accepte-t-il de se pencher sur ses infractions passées, ou bien le sentiment de discontinuité interne est-il

tel que ses actes passés ne sont pas vraiment vécus comme lui appartenant ? La liste des questions n’est évidemment pas exhaustive.

A l’issue de cette rencontre expertale et des investigations suscitées par le jeu des questions et des réponses, l’expert pourra ébaucher un pronostic et suggérer une conduite d’aide thérapeutique, si nécessaire.

Rappelons que l’expert peut en indiquer les principes généraux mais qu’il ne lui appartient pas d’indiquer le détail des propositions de soin, ce qui relève exclusivement du choix de l’équipe médicale, en milieu carcéral ou libre.

1. DIEDRICHS A., «Le temps des expertises dans la vie des psychopathes», in Confrontations Psychiatriques, n° 18, 1980, pp. 151-159.

2. KENDELL R.-E. : «The distinction between personnality disorder and mental illness», in British.

J. Psychiatry, 180, 2002, pp. 110-115.

3. SENON J.-L., MANZENARA C., «Distinction entre troubles de la personnalité et maladie mentale : un vieux débat en pleine actualité», in Biopsy, n° 3, vol. 6, 2004, pp. 13-17.

4. SENON J.-L., «Soins ambulatoires sous contrainte : une mise en place indispensable pour préserver une psychiatrie publique moderne», in L’Information Psychiatrique, vol. 81, n° 7, septembre 2005, pp. 627-634.

5. ZAGURY D., «Irresponsabilité pénale du malade mental. Rôle de l’expert», in Actualité Juridique, Dalloz, n° 9, 2004, pp. 311-315.

6. ZAGURY D., «Pour une clarification de l’interprétation médico-légale», in L’Information Psychiatrique, vol. 80, n° 4, avril 2004, pp. 325-328.

Références

Dans le document Prise en chargede la psychopathie (Page 123-126)