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Maurice BERGER

Dans le document Prise en chargede la psychopathie (Page 46-50)

Pédopsychiatre - CHU de Saint Etienne

1. INTRODUCTION

En France, on s'est d'abord intéressé à l'aspect le plus visible de la violence des jeunes, celle des adolescents, parce qu'ils ont une force physique qui occasionne des dégâts importants. Avec l'expérience acquise dans notre service, nous pouvons affirmer que dans de nombreuses situations, cette violence n'a pas d'âge

« chronologique », au sens où nous l'avons vue se constituer chez des enfants très petits et évoluer ensuite de manière continue. Les dossiers d'un certain nombre d'adultes violents et/ou violeurs montrent cette continuité.

Guy Georges présentait les signes décrits ci-dessous dès sa petite enfance.

Il existe un écart énorme en coût humain et financier entre les actions de prévention, même si elles sont complexes, et l'extrême difficulté des soins nécessaires ultérieurement lorsqu'un sujet présente une violence pathologique structurée de manière fixée (longue durée de la prise en charge, abord psychothérapique aléatoire, mise en place d'un dispositif contenant, etc.); d'où l'importance de dépister la construction des « processus violents » au moment où elle s'effectue.

2. MATERIEL ET METHODE UTILISES 2.1 MATERIEL

2.1.1 Lieu d'étude

Le service de pédopsychiatrie de l'hôpital Bellevue à St Etienne s'est spécialisé dans l'accueil de situations en provenance du dispositif de protection de l'enfance (177 en 2004 dont 57 pour avis), couplé à un dispositif de recherche et à un diplôme universitaire. Ce service reçoit, entre autres, des enfants qui, du fait de leur violence, ne peuvent plus être accueillis dans d'autres lieux. Si une hospitalisation est nécessaire, elle peut durer quatre à cinq ans en hospitalisation quotidienne de jour, et deux ans et demi en hospitalisation temps plein.

Certains autres services de pédopsychiatrie, au contraire, ont pris l'option de traiter essentiellement le moment de crise, et renvoient ensuite très rapidement ces enfants vers les institutions socio-éducatives et les juges des enfants. Nous pensons qu'un processus thérapeutique suffisamment long permet plus facilement d'avoir accès au fonctionnement psychique de ces enfants et préadolescents.

2.1.2 Population sélectionnée

Nous avons retenu toutes les situations dans lesquelles des enfants ont présenté une violence pathologique extrême depuis six ans, soit 58 : 15 suivis en hôpital de jour, 14 en hospitalisation temps plein, 5 en consultation au long cours, 4 en pouponnière départementale, 20 en expertise. L'âge au moment du début de la prise en charge se situe entre 15 mois et 12 ans.

2.1.3 Pathologie de la population concernée : la violence pathologique extrême Ce type de violence se définit de la manière suivante.

- Elle concerne un sujet individuellement. Il s'agit donc d'un domaine différent des violences « groupales ».

- Elle n'est pas dirigée spécialement contre les figures parentales ou d'autorité et de loi.

- Elle peut apparaître n'importe quand, n'importe où, sans raison. Elle est omniprésente, irraisonnable, dirigée autant contre les objets que contre les personnes. L'enfant est insensible à toute proposition de compromis ou à la sanction, son attaque violente ne peut être interrompue et se déroule jusqu'à son « terme naturel ».

Une frustration minime peut parfois être à son origine, mais dans ce contexte, cette frustration n'a qu'un rôle de « prétexte ».

- Elle n'est suivie d'aucun sentiment de culpabilité ; l'enfant violent est indifférent à la douleur d'autrui. Il est par ailleurs parfaitement au courant de ce qui permis ou non.

- Il existe un déni de la gravité de l'acte, et un effacement de ses conséquences. Il est impossible d'en reparler avec l'enfant : pour lui, « c'est du passé ».

- L'enfant présente des troubles de la sensibilité corporelle qui sont habituellement peu explorés par les professionnels (non perception de certaines zones corporelles). Il recherche parfois des perceptions douloureuses pour se sentir « vivant ».

- Il ne délire pas, mais ces accès de violence sont des équivalents hallucinatoires. Le sujet subit la reviviscence, le re-surgissement en lui de sensations et de sentiments qu'il a éprouvés dans le passé, le plus souvent à la période préverbale, dans des circonstances où il se trouvait impuissant, débordé, terrifié, et dans la solitude la plus totale car sans adulte avec lequel partager ce qu'il ressentait. Contrairement à une idée souvent avancée, un tel enfant n'est pas dans la « toute-puissance ». Il n'a pas eu d'autre choix que de mettre « en lui » l'image terrifiante d'un parent sadique et violent, dans une sorte « d'incorporation » globale (une

« identification introjective » en termes psychanalytiques). En fait cet enfant est impuissant face au surgissement hallucinatoire de l'image de son père ou de sa mère violent en lui.

- Ces troubles se fixent rapidement, souvent en moins de 18 mois.

On se trouve donc face à une authentique pathologie, dont l'origine est à mettre en relation avec une pathologie psychique parentale grave qui ne peut être réduite à des éléments sociologiques ou à la précarité.

2.2 METHODE : RECUEIL DU MATÉRIEL

- Relecture de la totalité des rapports précédents dans des dossiers judiciaires et socio-éducatifs portant souvent sur plusieurs années.

- Visionnage de films familiaux pris pendant la petite enfance.

- Rencontres avec les professionnels ayant suivi l'enfant lorsqu'il était nourrisson.

- Expertises successives permettant de constater éventuellement l'évolution d'un enfant lorsque nos propositions précédentes n'ont pas été suivies.

- Suivi thérapeutique d'enfants hospitalisés bénéficiant de quatre à cinq entretiens hebdomadaires.

3. RESULTATS

3.1 Les signes précurseurs

Le travail d'anamnèse permet d'identifier des signes spécifiques précoces (C. Rigaud, 2001) 3.1.1 Au niveau de l'enfant avant 3 ans

- Apparition de signes de violence dès 15-16 mois, au moment où la marche libère les mains, permettant alors à l'enfant petit de frapper de la manière décrite ci-dessus. Cette violence peut s'accompagner de cruauté, en particulier à l'égard des animaux (mammifères, oiseaux). Elle est rapidement signalée en crèche et en maternelle. Elle coexiste avec des sentiments de terreur insurmontables à d'autres moments (pour traverser seul un couloir, ou le soir), ce qui souligne l'aspect hallucinatoire des processus psychiques en jeu.

Auparavant, d'autres signes ont pu apparaître (S. Fraiberg, 1993) :

- Evitement spécifique du contact avec le visage du (des) parent(s) angoissant(s) dès le troisième mois. Plus tard, angoisse chez le nourrisson dès que n'importe quel adulte essaie d'entrer en contact avec lui.

- Gel des affects dès cinq mois.

- Renversement des attitudes dès neuf mois, avec une transformation de la peur en rire théâtral, moments de rage, de gestes autodestructifs,

3.1.2 Au niveau des interactions précoces

- Parents le plus souvent psychotiques, paranoïaques, psychopathes, incohérents, négligents, délaissants.

Leurs troubles sont fréquemment la conséquence de l'enfance désastreuse qu'ils ont eux-mêmes subie.

- Nourrissons maltraités physiquement et/ou psychiquement (soumis à une grande violence verbale).

- Nourrissons soumis au spectacle de scènes de violences conjugales sans avoir jamais été frappés, à une époque où ils ne se sentaient pas complètement différenciés du monde extérieur. Ces bébés ressentent la violence comme s'ils en étaient partie prenante, auteurs et/ou victimes. Les travaux récents sur le syndrome de stress post-traumatique chez l'enfant de moins de trois ans montrent que le genre d'événement qui traumatise le plus un enfant est la violence domestique, en particulier lorsque l'enfant est témoin d'une menace sur la personne qui s'occupe de lui (Keren M., 2005) . Puisque l'enfant n'a pas été frappé directement, l'importance de ce facteur est fréquemment sous-estimée par les professionnels, comme d'une manière générale l'impact des traumatismes psychologiques chroniques.

- Enfants soumis à une torsion majeure de la relation : dès les premiers jours, le nourrisson est soumis à une désignification de l'ensemble des signaux corporels qu'il adresse à l'autre, à une déformation ou une annulation de leur sens. Ceci entrave son accès à la symbolisation car il ne peut faire l'expérience que les signaux qu'il émet (sourires, cris, ..) ont un sens.

- Absence d'attirance de la part des parents pour le corps de leur bébé. La mère ne trouve pas son enfant séduisant, mignon, elle n'a aucun plaisir à s'occuper de lui. Plus même, ce corps répugne à certains parents, et les travailleurs sociaux qui passent à domicile constatent que l'enfant est laissé de longs moments dans son berceau, devant prendre seul, parfois très tôt, son biberon calé par un coussin. De plus, le rapport de ces parents au corps de leur enfant est très particulier, comme s'ils en avaient une mauvaise perception dans ses caractéristiques physiques : la taille, le poids, la résistance à la pression…

- Dans 6 situations sur 58, dès ses premiers jours, l'enfant s'est trouvé pris dans une relation « imaginaire » pathologique de la part des parents, qui ont projeté sur lui l'image d'un de leur parent violent et/ou séducteur.

Dans ces contextes, l'enfant n'est ni frappé ni rejeté.

3.2 Au niveau des professionnels

- Confusion fréquente entre violence et agressivité, cette dernière étant plus structurée, dirigée vers des personnes précises (un enfant puîné, un parent), et s'accompagnant de culpabilité.

- Sous-estimation de la gravité des troubles psychiques de l'enfant, favorisée par le fait que le langage est parfois acquis sans retard.

- Non-évaluation du développement psychomoteur du nourrisson avant deux ans. Or on constate souvent un retard au niveau du quotient de développement, au fil des évaluations successives faites grâce au test de Brunet Lézine. On attribue trop facilement ce retard à de la carence alors que ces enfants bloquent leur pensée car réfléchir sur ce qui se passe est trop angoissant pour eux. De même, par la suite, le QI n'est pas évalué alors qu'il peut être abaissé pour les mêmes raisons.

- Lorsqu'une séparation parent-enfant a dû être effectuée, la protection de l'enfant petit a été insuffisante au moment des contacts avec ses parents, du fait de l'absence de visites médiatisées ou de visites médiatisées mal gérées. Ainsi un enfant de cinq ans placé à deux ans agresse physiquement et sexuellement les enfants et les éducatrices dans l'internat où il séjourne. Un dimanche sur deux, sa mère l'accueille et laisse le père violent l'emmener chez lui, d'où l'enfant revient angoissé et violent.

- De plus, si l'enfant a dû être placé en pouponnière ou en institution, il ne lui a souvent été proposé aucune figure d'attachement stable et sécurisante pendant de nombreuses années. Ceci peut être à l'origine d'un attachement désorganisé-désorienté qui se manifeste par des affects de rage. A noter la longueur délétère de certains séjours en pouponnières (1000 jours) uniquement parce que des juges des enfants refusent de décider sur le fond.

- Lorsqu'une prise en charge thérapeutique est décidée, le temps de soins est souvent insuffisant, une à deux demi-journées par semaine en hôpital de jour par exemple. D'une certaine manière, nombre de ces enfants « n'appartiennent« à personne, au sens où leurs parents ne sont pas capables d'exiger un projet de soins et d'avenir cohérent pour eux; et aucun professionnel ne se sent responsable de leur évolution péjorative. De plus, ces enfants découragent souvent les soignants et éducateurs d'entrer en contact avec eux car ils vivent la relation qu'on leur propose plus comme une source de souffrance psychique que comme une aide (Bonneville, 2005).

- Non-prise de conscience du problème de la part de nombreux psychiatres d'adultes qui laissent des bébés exposés à des parents présentant des troubles sévères de la personnalité, sans faire le lien avec le fait qu'une partie importante des adultes qu'ils reçoivent ont été soumis, enfants, à ce genre d'interactions pathogènes. Le même processus existe de la part de certains juges des enfants qui sont compétents pour la protection d'adolescents, mais qui ne réalisent pas que ce sont des mesures judiciaires insuffisantes dans la petite enfance qui sont à l'origine de la pathologie actuelle de ces adolescents.

- Peur des professionnels face aux parents violents, ce qui les empêche de prendre les mesures protectrices nécessaires.

4. UNE PREVENTION EST-ELLE POSSIBLE ?

Ce n'est pas certain. On peut cependant émettre les propositions suivantes.

4.1. Formation obligatoire autour du thème de la violence du petit pour tous les professionnels intervenant en petite enfance, en crèche, PMI, centres sociaux, enseignants, pédopsychiatres, psy-chiatres d'adultes, psychologues, inspecteurs de l'Aide Sociale à l'Enfance, magistrats, etc.

4.2. Utilisation d'un référentiel d'évaluation des situations de dysparentalité (guide d'évaluation des capacités parentales du Québec, ou jalons d'évaluation de Bellevue, etc.).

4.3. Au niveau de la prise en charge précoce :

- Ne pas considérer l'aide à la parentalité comme devant être mise en place automatiquement; ce doit être une indication précise choisie parmi d'autres dispositifs. Elle doit reposer sur des principes précis, comporter en particulier une réflexion sur l'enfance des parents. Si elle est tentée, l'accompagner d'une évaluation répétée de l'état du nourrisson en étant attentif à une fixité des troubles et en évitant une reconduction systématique de cette aide. Il existe plusieurs modèles structurés d'aide à la parentalité (Québec « A

chaque enfant son projet de vie permanent » ; Lamboy, 2005). Nous n'avons pas d'élément permettant de savoir s'ils sont efficaces sur les situations de violence pathologique extrême.

- Travail avec les professionnels de crèche et de maternelle pour les aider à contenir les enfants violents (F.A.R.E., 2004).

- Si les parents ne sont pas mobilisables, ce qui est fréquent, et si leur comportement apparaît comme très nocif, mise en place d'une séparation parents-enfant durable, accompagnée si besoin de visites médiatisées jusqu'à la majorité. Dans le cas de parents dangereux, il peut même être nécessaire de suspendre les visites. Il est indispensable de proposer simultanément à l'enfant un lien d'attachement stable et sécurisant dans le cadre d'un placement familial par exemple .

- Utilisation d'un protocole précis pour protéger les professionnels et les experts des parents violents.

- Nécessité de responsabiliser au civil et au pénal les professionnels qui laissent un enfant exposé à des facteurs d'environnement très nocifs, qui l'amènent à évoluer vers une déficience intellectuelle, une violence extrême et des troubles psychiatriques. La notion de préjudice subi devrait être introduite.

- Mise en place de dispositifs de recherche avec des suivis longitudinaux et une évaluation des résultats thérapeutiques en fonction des modalités de prise en charge mises en place. Il est nécessaire de créer en France un Institut universitaire consacré à la protection de l'enfance, avec une authentique recherche afin de créer un intérêt pour ces situations. L'évaluation et la prise en charge dans les situations de défaillances parentales devraient être considérées comme une véritable spécialité en pédopsychiatrie.

4.4 . Le problème de fond, c'est l'idéologie du lien familial qui règne en France, et qui amène à ten-ter de maintenir à tout prix un enfant dans sa famille, dans des situations où les parents sont fortement nocifs et n'ont pas la capacité d'évoluer dans un délai compatible avec les besoins affectifs de leur enfant.

Actuellement, on théorise mieux l'origine de la violence précoce mais seule la création d'une loi spécifique sur la protection de l'enfance, centrée sur l'intérêt de l'enfant défini comme la protection de sa sécurité et de son développement affectif et intellectuel permettra une action cohérente. A la différence de ce qui s'est passé dans d'autres pays, il n'est pas certains qu'un tel changement législatif soit pensable dans notre pays.

1. À chaque enfant son projet de vie permanent,

http://www.mtl.centresjeunesse.qc.ca/pdf/programme_projet_vie.pdf 2. BERGER M.. (2004), L’échec de la protection de l’enfance, Paris, Dunod.

3. BERGER M. (2005), Ces enfants qu'on sacrifie… au nom de la protection de l'enfance, Paris, Dunod.

4. BERGER M., FERRAND A., « Notes cliniques sur la cruauté chez l'enfant » , Cahiers de Psychologie Clinique, 2003.

5. BONNEVILLE E. (2005), L’acte agressif : de la petite enfance à l’adolescence, exposé fait au 14eCongrès de criminologie, Université de Pennsylvanie (USA).

6. F.A.R.E. (2004), Prévention précoce de la violence du jeune enfant, Association de formation et recherche pour la santé mentale infanto-juvénile, Mairie de Toulouse.

7. FRAIBERG S. (1993), « Mécanismes de défense pathologiques au cours de la petite enfance », Devenir, vol. 51, p. 7-29.

8. Guide d'évaluation des capacités parentales

http://www.centrejeunessedemontreal.qc.ca/evaluation/pdf/guide_competences_parentales.pdf

9. KEREN M. (2005), Traumatisme précoce et jeune enfant : aspects cliniques et psychopathologiques, Conférence prononcée à l'Hôpital Ste Justine, Montréal, 6-10-05.

10. LAMBOY B. (2005), Pour une prévention précoce du trouble des conduites : une revue. Devenir, vol. 17, n°2, p.153-170.

11. MONMAYRANT M., LACROIX M-B., (1999), Enfants terribles, enfants féroces, Erès.

12. RIGAUD-BERTHET Catherine (2001), Violence et contention : la fonction phorique du soin, D.E.A. de Psychopathologie et de Psychologie Clinique, Université Lumière Lyon 2, Institut de Psychologie.

13. RIGAUD C., BERGER M., Soigner la violence ? Réflexion sur les processus de pensée de l’enfant violent et leur abord thérapeutique. Exposé fait au Colloque « Famille, violence, incestualité« , Cercle d'Etudes psychanalytiques des Savoie (Société Psychanalytique de Paris), Chambéry, 2002.

Références

EXISTE-T-IL DES SIGNES PRÉCURSEURS

Dans le document Prise en chargede la psychopathie (Page 46-50)