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Michel DUBEC

Dans le document Prise en chargede la psychopathie (Page 120-123)

Psychiatre - Expert - Paris

INTRODUCTION

L’obligation judiciaire de soins en matière de psychopathie est une nécessité et une aporie.

La nécessité est imposée par la violence incontrôlée de l’individu, le souci du service psychiatrique et l’intérêt social.

L’aporie sera analysée en quatre points :

1. Une obligation judiciaire ne peut être décidée sur les caractères des délits qui sont multiples et variés.

À l’inverse, un diagnostic n’est pas une catégorie juridique 1.

2. La psychopathie peut donner lieu à des manifestations antisociales dès l’âge pubertaire et se prolonger au-delà de quarante ans. Une obligation judiciaire de soins devrait sinon couvrir cette étendue, au moins courir sur une longue durée. Elle devrait, de ce fait, traverser les juridictions pour mineurs et les juridic-tions pour majeurs, sans être interrompue.

3. Il est souhaitable qu’une personne ou qu’un service de contrôle reste unique et se maintienne tout au long de la mesure, quels que soient les lieux de commission des nouvelles transgressions ou les changements de domicile.

4. En comparaison de la loi du 17 juin 1998, les relations entre les acteurs thérapeutiques et les référents judiciaires seraient plus aisées du point de vue déontologique car le psychopathe se charge de faire savoir lui-même qu’il transgresse les lois. Les services de soins, qui ont à pâtir de lui, sont en droit de se plaindre également. Certains individus relèveront à la fois de cette obligation judiciaire de soins et de la loi du 17 juin 1998.

LES CONSTATS ET LES BESOINS D’UNE ORGANISATION LEGALE DISTINCTIVE

Il n’y a pas de pathologie, dans les services psychiatriques, qui ne suscite autant le vœu d’un recours à la loi que la psychopathie. La collaboration avec les services judiciaires devrait donc se faire avec enthousiasme.

La difficulté est suscitée par la nature des institutions judiciaires et psychiatriques. Non pas qu’elles soient antinomiques ou simplement étrangères l’une à l’autre comme on le pensait jadis. Au contraire, les points de passage sont aujourd’hui multiples et désirés par les co-contractants.

L’embarras réside dans la nature même de la conduite psychopathique car c’est de conduite dont il s’agit, d’un style de vie, et non pas d’un type d’infraction ou d’un symptôme clairement identifié.

Le paradoxe se traduit dans les termes suivants : le magistrat ne peut juger un comportement, le psychiatre ne peut sanctionner un style.

Cependant l’évolution sociale, l’interpénétration actuelle et à venir des domaines psychiatriques et judiciaires vont contraindre à dépasser cette difficulté de principe.

La création future d’unités hospitalières spécialement aménagées concernera les détenus présentant des troubles mentaux et recevra pour une large part des psychotiques et probablement des psychopathes, bien que ces deux populations se tolèrent mal.

Il faut envisager en dehors de cette collaboration judiciaire et psychiatrique en lieu clos une articulation en milieu ouvert par une obligation de soins ambulatoires 2.

Le psychopathe inspire la crainte dans les services hospitaliers qui préfèrent le voir commettre son délit à l’extérieur. Le souci du service est d’abord de se débarrasser du personnage, au détriment de la tranquillité urbaine.

« La répression, l’emprisonnement ordinaire ne font que renforcer les tendances psychopathiques comme aussi un libéralisme sans contrôle… L’internement en hôpital psychiatrique ne peut être une solution que pour les psychopathes de type psychotique. Les autres ne gagnent rien à être internés et le service qui les reçoit risque d’en être lui même la victime, car le psychopathe s’entendra à désorganiser les relations entre malades, ou entre malades et soignants. » 3

L’abord thérapeutique du psychopathe se pose en trois lieux différents : la prison, l’hôpital, et en ville.

Il n’est pas inutile d’envisager que l’obligation judiciaire de soin pourrait s’exercer dans ces différents endroits même si pour deux d’entre eux, l’idée peut sembler superflue.

L’hôpital n’a pas les moyens de recourir à la prison, sauf à le laisser commettre un délit. Les places en UMD sont rares et la sortie pure et simple est le pis-aller auquel on se plie.

En prison, la contrainte de soin s’exerce fréquemment sur le psychopathe. Elle est influencée par l’administration pénitentiaire qui voudrait éviter tout effet de comportement anarchique et s’en remet au psychiatre. La contrainte médicamenteuse est explicitement demandée, voire imposée au praticien. Elle peut être facilitée par la demande du détenu, toxicophile, comme c’est souvent le cas.

Peut-être serait-t-il bon de judiciariser la pratique médicamenteuse en prison, d’organiser une obligation de soin, légiférée cette fois. Un juge de la détention est peut-être aussi nécessaire qu’un juge des libertés.

A l’heure actuelle, la contrainte de soin judiciaire chez le psychopathe est réalisée dans un cas : lorsqu’un détenu est transféré de la prison vers l’hôpital quand il est en proie à des manifestations psychotiques que l’on ne peut canaliser en prison, quand il faut initier un traitement contre sa volonté.

Certes les dispositions de l’article D398 du code de procédure pénale laisse toute liberté au psychiatre de prison pour organiser ce transfert et l’autorité judiciaire est seulement prévenue de cette décision. Il n’empêche qu’elle maintient sa mainmise et que le détenu n’est en aucun cas considéré comme libéré mais placé à la garde de l’institution psychiatrique sous HO.

Le plus souvent le psychiatre hospitalier tolère mal cette arrivée d’autant que le tableau clinique se dégonfle soudainement à l’arrivée à l’hôpital 4.

Cette opposition entre deux psychiatres : l’un « carcéral », l’autre hospitalier, montre bien les difficultés que suscite le psychopathe qui se conduit comme un fou en prison et comme normal à l’hôpital 5.

LES CRITERES

Le projet d’une obligation judiciaire de soin impose deux perspectives, celle de l’indication et celle des moyens.

Si on prend pour base le suivi socio-judiciaire de la loi du 17 juin 1998, des différences fondamentales doivent êtres soulignées.

En matière de psychopathie, le diagnostic ne peut être établi par la nature de l’infraction. Les passages à l’acte sont variables et polymorphes. Ils recouvrent une large part du Code Pénal.

Un premier critère peut être leur réitération. Mais combien en faudra-t-il attendre ? Gageure pour une politique de prévention. La contrainte psychiatrique viendrait-elle remplacer l’ancienne tutelle pénale, héritière de l’antique relégation ?

L’expertise psychiatrique pourrait-elle venir remplacer le critère lié à la nature de l’infraction ? La chose est difficilement envisageable : le juge ne peut remettre son pouvoir aux mains de l’expert.

Plutôt que de se limiter à la réitération des infractions, l’alternance de séjour en prison et à l’hôpital psychiatrique est plus proche de la réalité clinique.

L’expertise psychiatrique sera sans nul doute interrogée mais elle ne peut l’être qu’au terme d’une évaluation de critères concrets administratifs et judiciaires.

LES MOYENS

Reste le problème des moyens de pression. Pourrait-on envisager un supplément de peine comme dans la loi de juin 1998 ? On en reviendrait alors à une tutelle pénale sur un temps limité, plus ou moins long.

Peut-être faudrait-il ajouter la carotte au bâton et proposer une alternative à l’incarcération, dans les cas où le délit est peu grave, par l’association d’un travail d’intérêt général et d’une obligation de soin.

Ce marchandage peu en vogue dans le système judiciaire français a l’avantage de toute relation marchande : elle pacifie.

Une obligation judiciaire de soin spécifiquement destinée à la psychopathie ne peut voir le jour que dans le cadre d’une évolution des lois et des institutions qui régissent la psychiatrie et l’articule à la justice.

Une évolution de la loi de 1990 6 qui imposerait des consultations régulières au décours d’une HDT ou d’une HO chez un patient qui présenterait des manifestations violentes, et qui seraient imposées par un juge pénal, permettrait de lever nombre de situations critiques et ambiguës pour les soignants et les familles de malade.

Cela permettrait d’éviter de nouvelles hospitalisations sous contrainte pour imposer un traitement ou bien des sorties d’essai de HO ou de HDT qui ne sont que des surveillances masquées.

Une telle obligation de soin ambulatoire pourrait être également envisagée à partir de centres d’urgence dépendants de l’autorité préfectorale (IPPP pour Paris).

Une telle obligation pourrait encore être décidée au décours d’une détention pendant laquelle un détenu aurait présenté des troubles mentaux avérés avec passage en SMPR ou transfert en hôpital psychiatrique.

Plutôt qu’une tutelle pénale remodelée, il serait important de créer la fonction de tuteur judiciaire 7 pour les plus jeunes. L’expérience clinique montre que dès l’adolescence et même parfois avant, l’attitude psycho-pathique est déjà active chez un jeune garçon. Un tuteur judiciaire, c’est-à-dire un éducateur agréé par les services judiciaires, qui aurait pour mission de se maintenir plusieurs années auprès de l’individu concerné et qui aurait pour pouvoir de l’accompagner devant les tribunaux et dans les services de soin deviendrait un étayage identificatoire utile et solide. Ce trait d’union entre le judiciaire et le médical serait éminemment positif.

« En quoi consiste le plan général de l’entreprise thérapeutique, qu’elle soit individuelle ou, surtout, collective ? Tous les auteurs déjà cités paraissent en accord pour indiquer la nécessité d’une relation personnalisée, rassurante par sa fermeté et sa permanence, capable de fournir un « idéal du Moi externe » et de restaurer les capacités d’échanges avec le monde extérieur sur des bases concrètes, pratiques, dans la vie quoti-dienne. Ainsi pourra être obtenue une certaine « orthopédie» du Moi, et peut-être, dans un second temps, une psychothérapie vraie pourra-t-elle être envisagée. » 8

CONCLUSION

Une obligation judiciaire de soin en matière de psychopathie trouverait plus son indication à l’issue d’un passage institutionnel, carcéral ou hospitalier qu’en fonction de l’infraction commise. A l’inverse des transgressions sexuelles, la non-spécificité des délits ne permet pas au juge une appréciation sur le seul critère légal.

Le critère institutionnel, les débuts de prise en charge à l’hôpital ou en prison, les difficultés qu’elles ont suscitées, les craintes des soignants lors de la mise en liberté sont des critères bien plus fiables qui pour-raient faire solliciter un juge pénal, garant de l’obligation ultérieure.

L’expertise psychiatrique, reprenant ces critères, repérant l’unité psychologique qui préside à ce parcours, apporterait une synthèse utile à la décision.

Un tuteur judiciaire, constant, représenterait le risque de la sanction encourue et l’accompagnement au soin.

La peine encourue, en cas de rupture de soins, est laissée à l’appréciation du Législateur. Cayenne est fermé, la tutelle pénale a été abandonnée.

1 Michel Dubec. Réalités quotidiennes des rapports délinquants psychiatrie. Thèse. Paris 1978.

2 JL Senon, Soins ambulatoires sous contrainte : une mise en place indispensable pour préserver une psychiatrie publique moderne. L’information Psychiatrique 2005 ; 81 : 627-34

3 Henry Ey, P. Bernard Ch. Brisset. Manuel de psychiatrie. Masson 1974

4 Michèle Levy. La prison de l’intérieur. L’information psychiatrique 2005 ; 81 : 599-608 5 E. Trillat. Les déséquilibrés. Encyclopédie Médicochirurgicale, TII, Paris 1955 6 JL Senon. Ibid.

7 Tony Lainé, Bernard Zeiller, Morbidité psychopathologique des enfants et adolescents criminels, rapport de l’INSERM 1991 8 Henry Ey. Ibid.

Dans le document Prise en chargede la psychopathie (Page 120-123)