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SANCTIONS ADMINISTRATIVES ET MESURES DE POLICE Pour comprendre la révision conceptuelle à laquelle conduit le développement actuel

CHAPITRE III. MODES DE RÉPRESSION ET ACTION ADMINISTRATIVE

II. SANCTIONS ADMINISTRATIVES ET MESURES DE POLICE Pour comprendre la révision conceptuelle à laquelle conduit le développement actuel

de la répression administrative, il est nécessaire de revenir aux sources de la notion de police administrative.

Le code des délits et des peines du 3 Brumaire an IV (art.16 à 20) donne la première formulation de la distinction devenue classique entre police administrative et police

155 A. de Moor – van Vugt (2013), « Administrative sanctions in EU law », pp.607 et suiv., dans : O. Jansen (ed.), op. cit. 156 G. Marcou (2012), « Les actes administratifs et les procédures administratives en Europe occidentale et en Russie.

Protection de l’intérêt public et garantie des droits », pp.87 et suiv. dans : G. Marcou / T. Ia. Khabrieva (dir.), Les procédures administratives et le contrôle à la lumière de l’expérience européenne, Paris, Société de Législation Comparée.

judiciaire : « La police est instituée pour maintenir l’ordre public, la liberté, la propriété, la

sûreté individuelle (…) ; elle se divise en police administrative et police judiciaire ; la police administrative a pour objet le maintien de l’ordre public dans chaque lieu et dans chaque partie de l’administration générale ; elle tend principalement à prévenir les délits. La police judiciaire recherche les délits que la police administrative n’a pu empêcher de commettre, en rassemble les preuves et en livre les auteurs aux tribunaux chargés par la loi de les punir ».

Mais on a oublié, aujourd’hui, la première disposition, contenue dans l’article 16, laquelle exprime l’unité de la fonction de police. C’est le principe de la séparation des pouvoirs, sans lequel « un pays n’a point de constitution », selon la Déclaration de 1789, qui détermine son éclatement entre police administrative et police judiciaire : la première relève du pouvoir exécutif, tandis que la seconde est rattachée, formellement, au pouvoir judiciaire. On en connaît les limites : le même agent peut, d’un instant à l’autre, passer de la fonction de police administrative (prévention des désordres) à la fonction de police judiciaire (constatation d’une infraction et interpellation de son auteur) et c’est le cas, par exemple pour les inspecteurs de l’environnement. Mais le plus important est que seul un tribunal peut punir la violation de la loi ; l’autorité administrative ne peut ni juger ni punir, fût-elle autorité de police.

Cependant, la logique de la séparation des pouvoirs n’a jamais été poussée à son terme. Bien que l’abondante législation économique et sociale de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle ait généralement défini des infractions pénales pour garantir son application, les sanctions administratives n’ont jamais disparu. Celles-ci ont durablement conservé leur importance dans la législation fiscale et douanière, à côté des infractions pénales qu’elle définissait. De plus, le droit disciplinaire a, dans des domaines variés, développé un type de répression particulier visant à garantir le respect d’obligations professionnelles, indépendamment de la sanction pénale des infractions auxquelles le manquement aux obligations professionnelles a pu donner lieu. Le droit disciplinaire s’est développé, non seulement dans la fonction publique, mais également dans les professions réglementées, où il est mis en œuvre par des ordres professionnels lorsqu’ils existent, et dans le domaine du contrôle des banques, notamment.

C’est la source d’une autre ambiguïté : il n’est pas très cohérent de ranger dans la même catégorie la répression disciplinaire associée au pouvoir hiérarchique dans l’administration, le régime de sanction par lequel la loi habilite les organes d’une profession à sanctionner un ensemble de règles professionnelles et celui applicable aux établissements de crédit et aux assurances ou aux mutuelles, par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, en cas de violations des règles imposées par loi, cette autorité elle-même et des règles de conduite établies par ces entreprises mais reconnues par l’ACPR. Dans ce dernier cas, la finalité n’est pas le maintien de la discipline professionnelle mais la protection des épargnants et des assurés et la sécurité systémique du système financier.

L’incertaine distinction qui en résulte entre contrôle et poursuites, et entre mesure de police et sanction s’est accentuée dans la législation récente. Le contrôle est une opération qui rapproche un acte ou un comportement d’une norme, quelle qu’en soit la nature, et constate un écart ou au contraire l’adéquation de l’acte ou du comportement à la norme. Selon les cas, l’agent verbalisateur décide des suites du contrôle (il inflige une amende) ou au contraire transmet les constatations à une autorité qui décidera des suites à donner (poursuites et/ou sanction). Dans les cas les plus bénins ou les plus nombreux, c’est la première solution qui prévaut : ainsi l’officier de police constate l’infraction au Code de la route, inflige et perçoit l’amende selon la classification de l’infraction sur l’échelle des peines contraventionnelles (par ex. C. route : art. R.413-14 à 16 ; C. pénal : art. 131-12 et suiv.). Mais très souvent la phase du contrôle du respect de la loi mêle inspection, à finalité administrative, et constatation d’infractions ou de manquements, ces derniers pouvant donner lieu à des sanctions administratives mais non à des sanctions pénales.

L’ordonnance du 11 janvier 2012 qui a réorganisé le système des sanctions du code de l’environnement maintient la distinction entre ce qui relève du pouvoir exécutif et ce qui conduit à la mise en mouvement de l’autorité judiciaire. Le code de l’environnement, malgré l’augmentation des cas de sanctions administratives, fait une place importante à la définition des infractions pénales pour réprimer les atteintes à l’environnement. Dans le titre VII du livre Ier, relatif aux dispositions communes « relatives aux contrôles et aux sanctions », le chapitre 1er est consacré aux contrôles administratifs et aux mesures de police administrative, le chapitre 2 à la recherche et la constatation des infractions, et le chapitre 3 aux sanctions pénales. Mais certaines des investigations menées au titre des « contrôles administratifs » sont soumises à l’autorisation et sont placées sous le contrôle de l’autorité judiciaire, et l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui autorise la pénétration dans des lieux accueillant les activités ou dispositifs soumis aux dispositions du code de l’environnement, peut faire l’objet d’un recours auprès du président de la cour d’appel selon les règles du code de procédure civile (art. L.171-2, dans la rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016). De plus, d’importants pouvoirs de police administrative se trouvent dans le titre précédent (art. L.163-1 et suiv.) et dans d’autres parties du Code ; par exemple, l’autorité administrative peut, « en cas d’urgence ou de danger grave », faire réaliser les mesures de prévention et de réparation aux frais de l’exploitant (art. L.163-16). L’article 170-1 assume cette dispersion, qui intéresse aussi d’autres parties du code, en précisant que les pouvoirs de police et les sanctions administratives qui y sont prévues dérogent et complètent celles du livre I. Enfin, les mesures prévues aux articles L.171-6 et suivants sont, indistinctement, des mesures de police et des sanctions administratives. L’autorité ayant mis l’exploitant en demeure de se conformer à la réglementation, en raison d’un danger grave, elle peut, en cas d’inaction de sa part, et sans préjudice de poursuites pénales, prendre des mesures conservatoires, procéder à la suspension de l’activité, ou même à la fermeture de l’établissement, ou ordonner la cessation des travaux, ou ordonner des travaux de prévention ou de réparation. À la lettre du texte, il est bien difficile de discerner ce qui devrait être considéré comme une sanction et non comme une mesure de police, alors que l’article L.171-11 prévoit que la décision de sanction (mais non la mesure de police) peut faire l’objet d’un recours de pleine juridiction.

En revanche le code de la consommation, tel que modifié par la loi du 17 mars 2014 et l’ordonnance du 14 mars 2016, adopte une approche plus cohérente. Il distingue bien dans son livre V, d’une part « la recherche et la constatation » (titre I), et d’autre part « les mesures consécutives aux contrôles » (titre II). Les mesures consécutives aux contrôles peuvent être des mesures de police administrative, des sanctions administratives ou des sanctions pénales ; l’autorité administrative peut aussi saisir dans certains cas la juridiction civile ou la juridiction administrative, ou recourir à la transaction, en matière pénale, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement et avec l’accord du procureur, y compris pour des délits qui ne sont pas punis d’une peine d’emprisonnement (C. conso. : art. L.523-1). Par conséquent, les contrôles effectués en amont de ces mesures répondent indistinctement à trois finalités distinctes ; c’est en fonction des constatations réalisées que l’autorité administrative s’orientera vers des mesures de police, des sanctions administratives ou des poursuites pénales. Les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes « sont habilités à rechercher et constater les infractions ou les manquements » mentionnés à la section qui définit leurs pouvoirs (art. L.511-3 ; voir également art. L.511-5 à L.511-9), ce qui vise à la fois des manquements à la réglementation pouvant donner lieu à des mesures administratives (mesures de police ou sanctions administratives) et des constatations qui seront adressées au parquet en vue de poursuites pénales. Ils exercent donc à la fois des pouvoirs administratifs de contrôle et d’inspection et des pouvoirs d’officier de police judiciaire. Ces dispositions invitent l’autorité administrative à définir une stratégie visant à assurer le respect de la loi à partir des contrôles effectués en combinant les ressources de la

police administrative, des sanctions administratives et des poursuites pénales, comme le préconisait au Royaume-Uni le Rapport Macrory.

L’incertitude de la distinction entre mesures de police administrative et sanctions administratives est accentuée par les dispositions récentes. Par définition, les mesures de police administrative visent à la protection de l’ordre du public en assurant la sécurité des personnes et des biens dans un cadre juridique qui reconnaît la liberté de tous les sujets de droit157. Elles s’appliquent donc aux activités ou aux agissements susceptibles de porter atteinte aux personnes ou aux biens. La distinction avec les sanctions administratives est donc claire lorsque celles-ci ont le caractère d’une punition : celles-ci visent alors la personne coupable des manquements constatés, non l’activité. Mais de nombreuses sanctions administratives visent l’activité, et certaines visent la personne et l’activité. Les dispositions précitées du code de l’environnement illustrent parfaitement cette ambiguïté. Dans le code de la consommation, diverses dispositions permettent à l’autorité administrative d’enjoindre, à la suite d’un contrôle, à un professionnel de se conformer à ses obligations, et d’informer le consommateur de l’injonction ainsi que des biens ou services visés (art. L.521-3 ; voir de même art. L.521-7, L.521-22). Il est évident que cette mesure de publicité est de nature à affecter l’activité du professionnel ; là encore, mesure de police et sanction sont indissociables.

Il ressort également de cette évolution de la législation que le renouveau des sanctions administratives est étroitement lié au développement des polices spéciales, dont les objectifs et les pouvoirs y afférents se trouvent aujourd’hui repris dans les différents codes en fonction de leur objet. Les polices spéciales, comme la police générale, ont toujours pour fonction la protection de l’ordre public. Elles forment un ensemble hétérogène qui n’a guère été étudié de manière transversale. Pourtant, elles ont pour point commun de leurs régimes juridiques des dispositions plus restrictives que le régime de police générale au regard de l’exercice des libertés dans le domaine concerné et l’organisation de procédures administratives spécifiques. Les sanctions administratives s’inscrivent alors dans le prolongement des pouvoirs de police, si bien que, dans ces domaines, les pouvoirs de l’autorité administrative s’étendent de la prévention à la répression sans rupture de compétence. On retrouve cette structure dans le code des transports pour les transports publics routiers (art. L.1451-1 à L.1452-4) et les pouvoirs d’enquête sont placés sous le contrôle de l’autorité judiciaire en cas de refus d’accès aux locaux ou si l’enquête doit s’étendre à des locaux d’habitation (art. L.1711-5).

Il existe, certes, une grande diversité de régimes juridiques et de conception des sanctions appropriées par rapport au but poursuivi. Ainsi, le nouveau code rural et des pêches maritimes fonde le respect de ses dispositions essentiellement sur la répression pénale ; comparativement, le recours aux sanctions administratives est assez limité. Dans d’autres cas, on note une tendance à assimiler mesures de police administrative et sanctions administratives, comme c’est le cas dans le code l’environnement (art. L.171-6) ou dans le code de la santé publique, dans lequel différentes dispositions intitulées « sanctions administratives » ne contiennent en fait que des mesures de police administrative, dans la mesure où elles répondent d’abord à un objectif de prévention et de protection (art. L.1152-1 : activités « à visée esthétique », exercées en dehors des règles prescrites par le code de la santé publique, cependant le directeur de l’ARS peut prononcer une amende administrative — art. L.1152-2 ; art. L.1337-1 A : prévention des risques sanitaires). Cette évolution est assez réaliste si on admet que la mesure de police administrative visant l’activité peut être plus grave pour l’exploitant que l’amende administrative (par exemple l’interdiction pour 5 ans de l’activité « à visée esthétique », ou la radiation du registre des commissionnaires de transport

157 G. Marcou, « L’ordre public économique aujourd’hui. Un essai de redéfinition », Annales de la Régulation 2009, Institut

prévue à l’article L.1452-1 du code des transports). Mais elle remet en cause la distinction classique prévention-répression sur laquelle repose la conception classique du droit pénal libéral. Elle se reflète dans la difficulté de certains services de l’État à assumer la fonction répressive. Cela justifierait que le régime des recours juridictionnels (recours pour excès de pouvoir ou recours de pleine juridiction) prenne en compte, plutôt que la finalité supposée de la mesure, l’intensité de l’atteinte aux droits du destinataire de la mesure.

Il existe cependant des domaines dans lesquels la sanction administrative, comme la sanction pénale, apparaît indépendante des mesures de police. C’est le cas lorsqu’elle n’a aucun lien avec la sécurité des personnes ou des biens. Le développement des sanctions administratives pour lutter contre la fraude en matière de prestations sociales répond à l’intérêt de la société, comme la répression pénale, mais aussi plus particulièrement à un objectif de protection des finances sociales. Mais, justement à raison de ces finalités, la répression administrative doit être comprise dans le cycle complet de l’action administrative et ne peut pas être envisagée seulement sous l’angle de la punition.

III. CONTRÔLES ET SANCTIONS DANS L’ACTION ADMINISTRATIVE

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