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VERS UNE APPROCHE INTÉGRÉE DES CONTRÔLES, DE LA POLICE ET DE LA RÉPRESSION

CHAPITRE III. MODES DE RÉPRESSION ET ACTION ADMINISTRATIVE

IV. VERS UNE APPROCHE INTÉGRÉE DES CONTRÔLES, DE LA POLICE ET DE LA RÉPRESSION

Les observations réunies sur tous les secteurs étudiés permettent de formuler certaines conclusions de portée générale en ce qui concerne les polices et les sanctions.

a) Tout d’abord, il n’y a pas, globalement, dépénalisation. Les sanctions administratives ont, en général, ont été ajoutées, et non substituées, aux sanctions pénales, pour atteindre des manquements mineurs à la législation, mais dont le nombre ou la répétition est de nature à avoir un coût significatif pour la collectivité, que ce soit sur le plan budgétaire (en matière de prestations sociales), pour les individus (en matière de consommation) ou pour

173 IGF / IGA, Les services de l’administration territoriale de l’État en charge de la concurrence, de la consommation et de la

répression des fraudes, Rapport établi par MM. F. Auvigné, Inspecteur général des finances, et H. Masurel, Inspecteur général de l’administration, décembre 2015.

l’environnement. Il y a là une différence notable de ce qu’on a appelé par convention les « contentieux techniques » par rapport aux contentieux traités par les autorités administratives ou publiques indépendantes. Celles-ci sont généralement dotées du pouvoir de prononcer des sanctions administratives, un pouvoir qu’elles exercent d’ailleurs de manière très inégale. Mais le fait est qu’en droit de la concurrence la répression administrative exercée par l’Autorité de la concurrence a pratiquement évincé l’application des sanctions pénales par les tribunaux. Il en va de même, quoique dans une moindre mesure, pour l’Autorité des marchés financiers et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. En ce qui concerne les contentieux techniques, cela pose en revanche avec une acuité nouvelle la question des rapports entre la répression pénale et la répression administrative et rend nécessaire une coopération plus étroite entre l’administration et les parquets.

b) Tout part des contrôles. Le type de mesures à prendre en cas de constat de non- conformité suppose une appréciation de l’autorité administrative et du parquet, chacun à partir des missions qui sont les siennes. Selon la nature et la gravité des faits, il faudra prendre de simples mesures de police administrative, des sanctions administratives ou engager des poursuites pénales. Mais les constatations faites lors des contrôles dépendent des priorités définies par l’autorité administrative pour l’exercice de ces contrôles. En cas de poursuites pénales les suites données dépendent non seulement de la décision du parquet de poursuivre ou de classer, au vu des faits établis par les procès-verbaux auxquels force probante est reconnue par la loi dans la plupart des cas étudiés ici, mais encore et in fine de la décision du juge pénal. Cela justifie que le recours aux poursuites pénales concerne les cas les plus graves et les mieux établis, c’est-à-dire ceux pour lesquels, en cas de poursuites, une condamnation est presque certaine.

c) Si l’on compare les différents secteurs étudiés, du point de vue des rapports entre contrôle, mesures de police administrative et sanctions administratives ou pénales, on peut distinguer quatre modèles.

1. Le modèle hiérarchique : c’est le cas le plus simple et le plus évident. Les sanctions administratives permettent de sanctionner les manquements là où les poursuites pénales étaient impuissantes pour des infractions qualifiant les mêmes faits, car trop rarement exercées. L’administration peut alors décider de sanctionner, et escompter un effet dissuasif de ce pouvoir de sanction. Cela correspond notamment au développement des sanctions administratives en matière sociale et dans les matières régies par le code de la consommation et de même pour la plupart des polices environnementales. C’est à la fois l’efficience et le principe de proportionnalité qui régissent ici les rapports entre répression pénale et répression administrative.

2. Le modèle de la complémentarité : la loi articule mesures de police, sanctions administratives et sanctions pénales, les unes étant utilisées pour donner effet aux autres. Ainsi, en matière de protection de l’environnement, le fait de ne pas se conformer à la mise en demeure prononcée par l’autorité administrative, ou à une mesure de suspension ou de fermeture d’une installation, en application des articles L.171-7 ou L.171-8 du code de l’environnement constitue un délit pénal sanctionné par des peines d’amende alourdies ou par une peine d’emprisonnement (art. L.173-1 à L.173-3). Complémentarité en sens inverse dans le secteur des TPRM, où c’est la répétition des infractions pénales, c’est-à-dire le comportement infractionniste du sujet, qui justifie des sanctions administratives frappant l’activité de l’entreprise.

3. Le modèle du cumul de sanctions : pour les mêmes faits, mais en fonction de finalités différentes, et devant des ordres de juridiction différents. De tels cas sont fréquents dans le domaine de la santé et dans les domaines relevant du code de l’environnement, par exemple pour sanctionner l’atteinte à la sécurité des personnes par la sanction pénale, et le manquement à des obligations professionnelles par des sanctions administratives.

4. Le modèle de l’exclusivité fonctionnelle : il ne s’agit pas ici d’une exclusivité juridique mais résultant de la pratique des pouvoirs de police et de sanction. Dans les cas où le manquement n’a pas provoqué de trouble à l’ordre public ou de dommage, l’administration utilise de préférence la mise en demeure ou la demande de mise en conformité pour obtenir la régularisation sans aller jusqu’à une sanction administrative ou pénale. Au contraire, dans le cas où le trouble ou le dommage est consommé, la sanction s’impose. Elle s’impose également dans le cas où l’intention frauduleuse est établie ou en cas récidive, notamment.

d) Mais les contrôles ne sont pas mis en œuvre dans le but premier de punir, mais d’assurer le respect de la loi, soit par l’effet dissuasif des sanctions, soit en incitant les contrevenants à régulariser et à se mettre en conformité avec leurs obligations légales. Compte tenu des moyens humains et matériels des services chargés des contrôles, les priorités sont essentielles et, à cet égard, la coordination des polices de l’environnement et le rôle des Missions interservices environnement et nature jouent un rôle important dans leur détermination. Ils permettent aux préfets de relayer les objectifs définis par les ministres, en particulier par le ministre chargé de l’environnement. De nombreuses circulaires, notamment entre 2009 et 2015, sont venues préciser les priorités au niveau national, en fonction desquelles les plans annuels de contrôle devaient être établis et mis en œuvre au niveau départemental. Il en va de même dans les secteurs de la protection sociale, de la consommation, des transports publics routiers de marchandises. Dans le domaine de la santé, la situation est un peu différente, en raison de la place des ARS et des agences nationales, qui médiatisent le rôle du ministre. Mais, globalement, les préfets ont un rôle clé dans l’ensemble des dispositifs, au stade des suites données aux contrôles, et ce rôle ne peut que s’accroître à l’avenir avec le renforcement des sanctions administratives et des mesures de police. La même fonction est bien présente dans le secteur de la santé ; ce n’est par hasard que l’on a qualifié les directeurs d’ARS de « préfets sanitaires ».

e) En dehors des pouvoirs propres en matière de sanction, qui incombent aux inspecteurs de l’environnement et aux autorités compétentes dans le domaine de la santé, les préfets conservent, par leur vocation interministérielle, la responsabilité d’opérer une certaine pondération entre les différents intérêts publics qui peuvent se heurter. C’est aussi ce qui expose certaines de leurs décisions à la contestation. Mais le préfet n’est pas toujours le maître de cette pondération ; elle peut lui être imposée par le gouvernement, comme dans l’instruction du Premier ministre du 2 avril 2013 leur demandant d’assurer une interprétation « facilitatrice » des normes pour simplifier et accélérer la réalisation des projets publics et privés. Il en va de même de la décision des procureurs de poursuivre ou de classer dans l’exercice de leur pouvoir de décider de l’opportunité des poursuites. Mais une fois les poursuites engagées, la procédure et la sanction échappent à l’administration.

f) Elles lui échappent également, si l’action civile est exercée par une association habilitée (C. conso : art. L.621-1 et suiv. ; C. env. : art. L.142-1 et suiv.). De plus, il ne faut pas l’oublier que dans certains cas une action de groupe peut être exercée, en matière civile pour la réparation des préjudices, sur la base des nouvelles dispositions du code de la consommation introduites par la loi du 17 mars 2014 (art. L.623-1 et suiv.). Les actions habilitées au titre du code de la consommation peuvent aussi agir devant la juridiction civile dans l’intérêt collectif des consommateurs (par ex. pour faire reconnaître le caractère abusif de certaines clauses dans des contrats d’adhésion), et les actions habilitées au titre du code de l’environnement peuvent ester en justice devant la juridiction administrative.

Il conviendra à l’avenir de tenir compte des nouvelles dispositions sur la réparation du préjudice écologique introduites par la loi du 8 août 2016 sur la biodiversité dans le Code civil (art.1246 et suiv. et art.1386-19 et suiv.). L’action en réparation du préjudice écologique est largement ouverte et non limitative, notamment à l’État, aux collectivités territoriales, à l’Agence française de la biodiversité, aux associations de protection de la nature et de défense

de l’environnement. La réparation « s’effectue par priorité en nature » (art. 1249 et 1386-22). Cette nouvelle voie d’action peut faire pression sur les autorités de l’État dans l’exercice de leurs pouvoirs de contrôle, de police et de sanction. Si c’est une personne publique qui est mise en cause, se posera le problème de la juridiction compétente : ce devrait être le juge administratif, mais la décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987 n’a pas intégré la compétence du juge administratif en matière de responsabilité ou en matière contractuelle au principe fondamental reconnu par les lois de la République qu’il a énoncé.

g) De manière générale on pourrait expliquer ainsi que les sanctions couramment utilisées par l’administration sont celles qui lui offrent le plus de possibilités de contrôler les suites et la durée de la procédure. Ainsi, la mise en demeure ou l’injonction de mise en conformité, que l’on peut voir comme des mesures de police plutôt que comme des sanctions, ont l’avantage d’engager l’administration dans un dialogue avec le contrevenant, sur les mesures à prendre et les délais de réalisation. Le recours à une procédure de sanction reste toujours possible en cas d’échec. L’amende forfaitaire, lorsqu’elle est prévue (notamment les contraventions des quatre premières classes, en matière de pêche ou de pêche en eau douce) est appréciée car le procès-verbal déclenche l’obligation de payer. L’astreinte est utilisée aussi bien comme moyen de pression que comme sanction, à partir du moment où le juge peut en prononcer la liquidation.

La transaction pénale est fréquemment utilisée car elle permet à l’administration d’obtenir un résultat rapidement, à condition que l’action publique n’ait pas été mise en mouvement, mais cela autorise un accord entre le préfet et le procureur. En matière environnementale, le préfet est l’autorité compétente pour formuler la proposition de transaction (art. R.173-1), qui doit être acceptée par l’auteur de l’infraction et homologuée par le procureur. La transaction permet de garantir la sanction et d’imposer des obligations de faire (remise en état, formation…), consacrées par l’accord soumis au procureur, lequel garde un contrôle sur le respect des conditions légales de validité de la transaction. La transaction pénale est préférée à l’amende administrative dans le domaine de la police de l’eau. Elle est prévue par le code de la consommation ; c’est alors l’autorité administrative de la concurrence et de la consommation qui doit formuler la proposition de transaction, et non le préfet (art. L.523-1).

h) Les autorités administratives disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans l’initiative et l’orientation des contrôles puis dans la détermination des suites à donner aux constatations faites lors de ces contrôles. Seule la sanction pénale leur échappe à partir du moment où des poursuites ont été engagées par le parquet. En matière pénale, les autorités administratives conservent, le plus souvent, la décision de saisir le parquet ou de recourir à une transaction pénale lorsque l’infraction est constituée. C’est ensuite au juge, administratif ou pénal, de veiller, ensuite, à ce que soient respectés les principes qui s’imposent à toute procédure répressive et de veiller au respect du principe de proportionnalité ou, comme cela a été exprimé par le Conseil constitutionnel à propos du mode de calcul de certaines amendes, à l’absence de disproportion manifeste de la sanction.

CHAPITRE IV. LE CADRE JURIDIQUE DE LA RÉPRESSION

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