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LES CONDITIONS POSÉES AU CUMUL POSSIBLE DES SANCTIONS ADMINISTRATIVES ET PÉNALES

CHAPITRE V. LE CONTRÔLE DU JUGE ADMINISTRATIF SUR LES SANCTIONS ADMINISTRATIVES

III. LES CONDITIONS POSÉES AU CUMUL POSSIBLE DES SANCTIONS ADMINISTRATIVES ET PÉNALES

Le principe du cumul d’une sanction administrative et d’une sanction pénale ou d’une sanction disciplinaire et d’une sanction administrative n’est pas, en lui-même, contraire à l’exigence de proportionnalité des peines posée par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais, concernant les hypothèses de cumul, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont veillé de concert à ce qu’un tel cumul ne conduise pas à infliger des sanctions sans commune mesure avec les faits reprochés. Dans le cas de cumul d’une sanction administrative et d’une sanction pénale, le Conseil constitutionnel a tout d’abord décidé, dans le dernier état de la formulation de la règle, que « lorsqu’une sanction administrative est

susceptible de se cumuler avec une sanction pénale, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues » (DC n° 2014-690, 13

mars 2014, loi sur la consommation, qui censure pour méconnaissance du principe d’égalité devant la loi les sanctions instaurées en cas d’infraction aux règles régissant les délais de paiement : amende administrative de 75 000 euros pour une personne physique et de 375 000 euros pour une personne morale et amende pénale pour les mêmes faits de 15 000 euros, cette différence de traitement n’étant pas justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi). Dans le cas de cumul d’une sanction disciplinaire et d’une sanction pénale, le Conseil d’État a jugé que « le principe de proportionnalité implique… que la durée

cumulée d’exécution des interdictions (d’exercer une profession) n’excède pas le maximum légal le plus élevé » (CE, 21 juin 2013, n° 345500, concernant l’interdiction d’exercer la

pharmacie dont le maximum légal le plus élevé — et par conséquent le cumul — est fixé à cinq ans par le code de la santé publique).

Toutefois, le cumul des sanctions pénale et administrative n’est constitutionnel que si les sanctions sont de nature différente et prises en application d’un « corps de règles distinctes ». Si, au contraire, l’état de la législation tend à sanctionner deux fois le même manquement et au surplus devant le même ordre de juridictions, le juge déclare inconstitutionnel le cumul prévu par les textes. Le Conseil constitutionnel en a décidé ainsi

pour le cumul des sanctions pénale et administrative prévu pour le délit d’initié au pénal et pour le manquement d’initié, poursuivi par l’Autorité des marchés financiers (AMF), car ils sont définis de la même manière par les textes et ils poursuivent une seule et même finalité « de protection du bon fonctionnement et de l’intégrité des marchés financiers ». Or, les sanctions prévues ne sont pas de nature différente et ne sont pas infligées en application d’un corps de règles distinctes devant leur propre ordre de juridictions, puisque les sanctions administratives prononcées par l’AMF relèvent du contentieux judiciaire comme les sanctions pénales (QPC n° 2014— 453/454, n° 2015-462 du 18 mars 2015). Cette décision a été jugée constitutive d’une circonstance de droit nouvelle par le Conseil d’État, qui a renvoyé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité de l’article L. 314-18 du code des juridictions financières, lequel prévoit un cumul de sanctions administrative, pénale et disciplinaire dans les termes suivants : « Les poursuites devant la Cour ne font pas obstacle à l’exercice de l’action pénale et de l’action disciplinaire », la suite de l’article détaillant les conditions de saisine des autorités disciplinaires et pénales par le président de la Cour de discipline budgétaire et financière et son procureur général (CDBF) (CE, 15 avril 2016, n° 396696). La réponse à la question de la constitutionnalité de cet article dépend évidemment de l’interprétation donnée à l’expression « corps de règles distinctes ». La CDBF assure en effet la discipline des ordonnateurs, laquelle peut être considérée comme faisant double emploi avec la discipline assurée par l’autorité hiérarchique ayant pouvoir de discipline sur l’intéressé, et constituant de ce fait un cas de cumul inconstitutionnel.

Il n’en demeure pas moins que, en principe, la nécessité des peines ne fait pas obstacle à ce qu’une personne puisse se voir sanctionner pénalement et disciplinairement, les deux poursuites visant des objectifs différents selon des procédures indépendantes — la répression des infractions pénales et la déontologie des professions concernées. Ainsi, le Conseil d’État a refusé de renvoyer une QPC relative à la constitutionnalité des articles L. 4124-6 et 4126-5 du code de la santé publique qui permettent que des poursuites disciplinaires soient engagées à l’encontre d’un médecin qui a été pénalement condamné à une interdiction d’exercer une profession médicale. Le Conseil d’État confirme que le principe de nécessité des peines ne fait pas obstacle « à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent… faire

l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature disciplinaire ou pénale en application de corps de règles distincts devant leurs propres ordres de juridictions ». Il ajoute

qu’il appartient ensuite aux autorités juridictionnelles et disciplinaires « de veiller au respect

de l’exigence selon laquelle… le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues » (CE, 15 janvier 2016,

n° 394447).

En résumé, il apparaît que le cumul des sanctions pénales, administratives et disciplinaires, ou le cumul de deux seulement de ces sanctions n’est constitutionnel qu’à la triple condition que les sanctions soient prévues par un corps de règles distinct, qu’elles soient poursuivies devant un ordre de juridictions différent et qu’elles ne dépassent pas le montant financier ou la peine de la plus élevée d’entre elles. Ces sanctions ne sont donc pas complémentaires, elles visent simplement à réprimer l’inobservation d’obligations ou de règles prévues par des législations indépendantes, même si les faits reprochés à la personne sanctionnée sont identiques.

Finalement, il apparaît que la prégnance du principe de proportionnalité, quelle que soit la sanction concernée et quels que soient les pouvoirs que se reconnaisse le juge administratif, soit de nature à tempérer la remarque d’un membre de la Haute Assemblée, selon laquelle « l’hétérogénéité du vaste ensemble de la répression administrative se double

donc d’une certaine forme d’imprévisibilité du contrôle auquel son exercice se trouve soumis » (M. Guyomar, préc.).

PARTIE III. LES FINALITÉS DE LA RÉPRESSION

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