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RETOUR SUR DES EXPERIENCES D’USAGE DE E-PORTFOLIOS

Dans le document Actes du Colloque e-Formation 2018 (Page 137-140)

LE E-PORTFOLIO DE COMPETENCES : DE LA DYNAMIQUE DE L’EXPERIENCE A L’APPROPRIATION DE LA COMPETENCE

RETOUR SUR DES EXPERIENCES D’USAGE DE E-PORTFOLIOS

La problématique posée est donc celle de l’appropriation du e-portfolio par les usagers. La compréhension de ce lien entre le sujet et l’objet - un lien plus ou moins distant ou plus ou moins fort - passe par l’analyse de l’usage actuel de l’outil.

Dans le cadre du projet de l’Université de Strasbourg, une enquête préalable a permis de dégager des éléments de compréhension. Les principales données retenues portent sur les contextes de mise en place de l’outil et sur les perceptions de la part des étudiants concernés ; sur le support numérique et la formation proposée et sur les apports de la démarche e-portfolio.

Le contexte de mise en place du e-portfolio pour tous les enquêtés se rapporte à l’accompagnement et à la valorisation d’un stage. Leur portefeuille de compétences a été construit sur différents supports numériques. Les étudiants ont soulevé l’importance de choisir un support numérique adapté à leur besoin et qui leur soit accessible. Ils ont également mentionné la concurrence du e-portfolio avec les réseaux sociaux existants (par exemple : LinkedIn).

Concernant un éventuel module de formation à l’outil, certains étudiants pensent que l’initiation à une démarche e-portfolio peut les aider à prendre des décisions dans l’action au cours du stage, ainsi qu’à mieux saisir les liens entre la théorie et la pratique. D’autres considèrent l’outil numérique comme un avantage à condition qu’il soit associé à une démarche réflexive. Par ailleurs, les étudiants privilégient la simplicité de l’outil. De manière générale, ils estiment que la proposition d’une formation à la démarche e-portfolio doit être suffisamment claire et explicite pour susciter chez eux l’envie de créer un tel outil.

Ces données ont été complétées par une enquête exploratoire menée dans le cadre d’une recherche doctorale. Cette enquête d’étudiants de diverses disciplines vise à approfondir la compréhension du e- portfolio de compétences, la manière dont ils se le représentent et les modalités de son appropriation. Elle s’intéresse également à la cohérence du e-portfolio avec les besoins des étudiants. La méthode retenue est celle des entretiens de type semi-directifs. L’étude concerne les étudiants (usagers) ayant suivi au minimum une séance dédiée au e-portfolio afin d’apprendre à tirer parti de cet outil. Au moment de réaliser un premier bilan des résultats, cinq entretiens ont été réalisés. Les principales thématiques abordées par l’enquête sont les suivantes : la connaissance et la maîtrise technique et cognitive de l’outil e-portfolio ; la conduite d’une analyse réflexive sur ses activités ; les pratiques de présentation professionnelle de soi à travers l’outil et la sociabilité professionnelle. L’analyse des entretiens permet de dégager des sous-thèmes qui portent sur les contextes de mise en place, les conditions d’usage, l’appréciation de l’utilité de l’outil pour la suite du parcours de formation et l’appropriation du dispositif e-portfolio (démarche et outil numérique).

Comme nous allons le voir, les étudiants expriment des avis assez contrastés par rapport aux conditions d’usage et aux représentations du e-portfolio. Cependant, les résultats sont plus homogènes concernant les pratiques de présentation et de sociabilité professionnelles et personnelles.

Les étudiants interrogés ont abordé l’outil e-portfolio dans deux contextes différents, soit dans le cadre d’une unité d’enseignement ayant pour thème le « Projet Professionnel Étudiant » (PPE), soit à l’occasion d’une démarche d’accompagnement et de valorisation du stage de fin d’études. Dans les deux cas, il s’agit de présenter un dispositif avec un but précis : formuler un projet professionnel ou valoriser une période de stage. La formation des étudiants à l’environnement numérique « e-portfolio » prend ainsi en compte les objectifs de court terme, mais l’ambition de la démarche est bien de viser

l’appropriation dans une perspective de long terme – se former tout au long de la vie – afin de permettre à l’usager de devenir davantage autonome en adoptant une posture réflexive.

Cependant, dans les deux cas étudiés, les étudiants n’ont pas complètement saisi cet objectif, en considérant l’exercice selon des normes scolaires. Lorsque le e-portfolio est mis en œuvre dans le cadre d’un cours (travaux dirigés ou autre), il est perçu comme un « devoir » suivant une logique évaluative. Les étudiants se sentent contraints de rendre un produit final afin d’obtenir une validation. C’est ce qu’illustre l’un des enquêtés : « j’aurais aimé prendre le temps de faire ça pendant les grandes vacances, là je sais que

je vais faire un truc un peu brouillon pour mon portfolio parce que (rire) voilà, il faut que je rende quelque chose, ça va être noté et j’ai pas vraiment le choix, après bien sûr je vais m’en servir, je vais partir de là pour continuer après, mais bon voilà... ». Cet étudiant est sensible à l’intérêt de créer son portfolio pour la suite de son parcours, mais le

cadre imposé ne l’incite pas à approfondir ses réflexions.

Concernant l’outil numérique, même si les interviewés ont utilisé des plateformes différentes, ils ont des avis assez proches en ce qui concerne l’ergonomie des environnements. Cela peut s’expliquer par le fait que les étudiants ont aujourd’hui l’habitude de naviguer sur Internet et d’utiliser d’autres espaces numériques d’information et de communication. Les pratiques d’usage se diversifient selon la possibilité de choisir la plateforme numérique ou au contraire de devoir travailler avec la plateforme imposée, Mahara.

Un étudiant exprime les avantages d’avoir le choix : « alors, l’outil... c’est ça qui est bien, c’est vrai que... bah oui,

c’est un site web en fait, c’est le principe, c’est qu’on a un site web mais au lieu de le programmer soi-même, on fait comme sur le PowerPoint, sur une présentation… on décale les cases, on change les lettres et disons, c’est très intuitif ; donc a priori il n’y a pas de limites avec ce truc-là, on peut faire ce qu’on veut et c’est pas compliqué, en fait, il suffit de... je trouve ça facile à utiliser... ».

Dans le cas où l’outil numérique est imposé pour le temps de la formation, une des étudiantes reconnaît ne plus avoir utilisé ni l’outil ni les informations recueillies dans son e-portfolio par la suite. Elle privilégie d’autres plateformes existantes et se justifie ainsi : « j’utilise d’autres réseaux, j’ai un compte

LinkedIn et je pense que ça suffit, là j’évite de... vraiment de créer plusieurs comptes de CV en ligne, que je dois mettre à jour tout ça, du coup mon choix c’est utilisé LinkedIn, que je modifie plus régulièrement... ».

Par ailleurs, les étudiants ont retenu des utilisations significatives de l’outil tels que le travail sur le CV, l’élaboration d’une lettre de motivation et la réflexion sur leur parcours professionnel. Toutefois, il leur manque une vision plus approfondie car, pour la plupart d’entre eux, le rôle du dispositif e-portfolio dans la démarche de construction du parcours n’est pas perçu dans sa globalité. Par exemple, les étudiants en Licence en Sciences physiques ont manifesté des difficultés à se projeter dans l’avenir, l’un des enquêtés étant particulièrement gêné par ce point pour poursuivre son portfolio. Ils affirment être plus centrés sur des sollicitations à court terme, ce qui limite selon eux leur approche globale et leur vision à moyen et long terme.

Les deux étudiantes interrogées ont jugé l’exercice inutile soit parce qu’elles préféraient utiliser d’autres outils pour la recherche de stage ou d’emploi et pour la constitution d’un réseau, soit parce qu’elles avaient déjà eu des expériences professionnelles avant leurs études (ou reprise d’études) et donc estimaient n’avoir plus à se poser la question d’un projet professionnel à clarifier et à préciser.

Pour résumer, aussi bien dans le contexte du « Projet Professionnel Etudiant » (PPE) que dans l’accompagnement à la valorisation du stage, l’appropriation du e-portfolio paraît encore très limitée. Cependant, ce constat doit être mis en regard de l’objectif et de la démarche qui leur sont proposés dans ces deux contextes particuliers. Les étudiants n’ont pas exprimé le besoin de consulter ou de mettre à jour leur e-portfolio régulièrement. Certains envisagent toutefois de réutiliser les informations

collectées lors de la construction du support personnalisé, mais sans pour l’instant envisager de lui donner une continuité.

Ces premiers résultats montrent que la démarche e-portfolio n’est pas encore associée à l’autonomisation des étudiants. Les personnes enquêtées ont le sentiment de n’avoir bénéficié que d’une sensibilisation à la démarche. Ils ne sont toutefois pas indifférents à ce type d’approche, leur investissement pourrait être accru à condition de bien en visualiser la finalité et d’en percevoir l’utilité et la cohérence avec leur parcours personnel et professionnel.

Après avoir problématisé la question de l’usage du (e-)portfolio, il nous faut prendre un peu de recul et envisager à quelles conditions l’outil pourrait devenir un véritable instrument au service d’un projet de développement personnel et professionnel.

COMMENT FAIRE USAGE DU E-PORTFOLIO POUR S’APPROPRIER SES

COMPETENCES ?

Entretenir un dossier personnel « portfolio », c’est d’abord une habitude à prendre : je suis réactif, j’enregistre tout ce qui atteste de ce que je sais faire (certificat, diplôme, attestation de réussite, référence de stage, etc.), au fil de mon parcours de formation ou d’emploi. Toutefois, cet usage limité à la compilation d’attestations académiques ou professionnelles risque de ne pas suffire à créer une dynamique autour de l’outil, une véritable appropriation. Le portfolio représente à la fois un produit, un processus et un usage (Gauthier & Pollet, 2013) et la dimension réflexive se situe au cœur du processus lui-même. A la dimension de compilation s’ajoute une dimension de création. Comme le rappelle J. Layec en référence à Senge et Gauthier (1991, p.30) à propos de la démarche portfolio, « le vrai apprentissage est au coeur de ce qui fait de nous des êtres humains. En apprenant, nous nous recréons. [...] Nous modifions notre manière de voir le monde et nos relations avec ce dernier. Nous augmentons notre capacité à créer [...] ». Nous pouvons rapprocher ces propos portant sur la création avec la question de l’employabilité.

En effet, en donnant au portfolio une ambition supplémentaire, on parlera également d’une démarche non seulement anticipatrice mais aussi proactive (en adoptant un positionnement d’auteur de sa propre vie) : je relève régulièrement dans mon expérience vécue ce qui est susceptible d’être reconnu ultérieurement par un établissement d’enseignement ou par un employeur. Je me pose là en auteur de mon parcours, sujet créatif et responsable ; je n’attends pas que les circonstances servent mon projet ou m’incitent à analyser mon vécu afin d’y trouver les arguments dont j’ai besoin pour avancer. Je garde a priori des traces de mes expériences et je les mobiliserai au moment opportun. Ce sera d’autant plus faisable que je dispose d’un outil numérique, construit pour gérer et valoriser ce que je sais et ce que je sais faire. C’est tout l’intérêt du e-portfolio, à même de gérer les flux d’information (DGESIP, 2013). Comment qualifier alors ce que je sélectionne systématiquement dans mon vécu ? Ce sont des faits que je tiens pour significatifs : je fais l’hypothèse qu’ils démontrent ma maîtrise de certaines situations dans la vie sociale en général, notamment en formation ou au travail. Il est cependant trop tôt pour parler de « preuves » car il manque deux choses le plus souvent. D’abord, il faut une référence : ce que j’expose spontanément n’apparaît comme une preuve qu’à condition d’être confronté à une exigence définie par ailleurs (par exemple, un référentiel de formation ou d’emploi). Ensuite, il faut un tiers : nul n’est fondé à se porter témoin de lui-même, pour déclarer qu’il répond à des attendus et pour finalement s’autoproclamer « compétent ».

Cependant, je peux trouver des raisons d’engranger des faits significatifs de mon vécu afin de les utiliser au bon moment, lorsque je suis confronté à une exigence externe : lors d’une embauche ou bien d’une entrée en formation, afin de répondre aux critères d’une sélection quelconque. Dans ces cas-là, le tiers sera bien présent pour rapprocher deux séries de faits : d’une part, les faits qui sont retenus a priori comme critères dans le référentiel d’emploi ou de formation dont il est question ; d’autre part, les faits que je suis effectivement capable de mettre en avant afin d’argumenter mon adéquation au profil attendu.

C’est alors que je peux parler d’une compétence au sens étymologique : « ce qui correspond à » car la compétence est bien un rapport et non une chose, une qualité définitivement acquise. Je suis jugé, reconnu compétent - ou non - toujours par rapport à une exigence formulée par ailleurs. Pour une même série de faits, je peux être regardé comme compétent par les uns, incompétent par les autres, selon le référentiel qu’ils utilisent.

Le portfolio est donc un outil précieux pour ceux qui ont décidé, pour tout ce qui les concerne, d’agir en amont de toute reconnaissance : ils ont adopté un point de vue nouveau sur eux-mêmes en se considérant comme des « êtres d’activité ». Un petit détour théorique s’impose ici.

L’APPROCHE ERGOLOGIQUE POUR UNE RELECTURE DYNAMIQUE DU VECU

Dans le document Actes du Colloque e-Formation 2018 (Page 137-140)