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MIEUX COMPRENDRE LA MOTIVATION

Dans le document Actes du Colloque e-Formation 2018 (Page 52-56)

ANALYSE DES DETERMINANTS DE LA MOTIVATION DES APPRENANTS

MIEUX COMPRENDRE LA MOTIVATION

Les étudiants de Médecine ont une charge de travail très importante. Ils ont plusieurs concours à passer et peu de temps pour s’y préparer. Ils font un tri et choisissent sur quoi ils investissent du temps, en fonction de l’importance et de la « rentabilité », du « retour sur investissement » qu’ils peuvent attendre. Cela ressemble à une stratégie économique de la gestion du temps. Le temps investi, la rentabilité ressemblent fort à des variables qui déterminent leur implication.

Pour nous aider à comprendre le manque de motivation chez nos étudiants, nous nous sommes penchés sur les théories de la motivation. Campbell et al. (1970) ont classé les théories de la motivation en deux catégories, celles des processus et celles du contenu (des besoins). Les théories les plus connues dans la catégorie des processus sont la théorie de l’équité d’Adams (1963) et la théorie des attentes de Vroom (1964). La théorie de l’équité d’Adams s’inspire de la théorie de Festinger sur la dissonance (1957) dans laquelle, très synthétiquement, l’individu veut être traité avec justice par rapport aux autres. Sans trop détailler, pour Vroom la motivation est le résultat d’une multiplication entre trois variables, l’expectation, l’instrumentalité et la valence. L’expectation est la probabilité que l’on estime d’atteindre son objectif en fonction de ses capacités. L’instrumentalité représente ce que l’on pense obtenir en fonction des moyens que l’on a déployé (« tout ça pour ça »). La valence représente la valeur que l’on attribue au résultat. Nous avons questionné nos étudiants de multiples fois et ce qui revenait le plus souvent était « Ca ne sert à rien pour les études médicales », « ça prend trop de temps », « de toutes les façons, je suis nul(le) en informatique » (la probabilité d’y arriver est faible), des propos que l’on peut rapprocher des variables citées précédemment. On peut associer « Ca ne sert à rien pour les études médicales » avec la valence, « ça prend trop de temps » avec l’instrumentalité et « de toutes les façons, je suis nul(le) en informatique » avec l’expectation. Affectées de cette manière, la multiplication de ces variables donne un résultat proche de zéro, ce qui aboutit une motivation très faible que nous avons généralement constatée d’année en année.

La théorie des attentes de Vroom a commencé à nous apporter une explication, mais nous pensons qu’il serait difficile de l’exploiter de manière opérationnelle pour améliorer la motivation. Nous nous sommes donc orientés vers l’autre catégorie des théories de la motivation, celle des théories des besoins. Cette catégorie cherche à identifier, à classer les besoins, les manques ou encore les forces qui peuvent pousser les individus à agir, à adopter un comportement.

La théorie de Maslow est l’une des théories des besoins les plus connues, l’une des plus célèbres. Maslow pense que le comportement humain est commandé par la recherche de la satisfaction de ses besoins. Autour de 1950, Maslow et d’autres psychologues (C. Rogers, R. May, G. Allport ...) ont créé une école de pensée, un courant de la psychologie orienté principalement vers le développement du potentiel humain. Ils développent le concept d’accomplissement de soi, "What a man can be, he must be". L’Homme a un désir de réussite personnelle, mais il n’y accède qu’après avoir satisfait d’autres besoins (plus) fondamentaux. Maslow a donc hiérarchisé les besoins, à partir d’observations cliniques (Maslow, 1943). Dans l’ordre (Cf. figure 1), en premier lieu on trouve les besoins physiologiques en rapport avec la survie, l’état de santé. En deuxième lieu, vient le besoin de sécurité, le besoin de ne pas se sentir menacé, la protection physique et psychologique. En troisième lieu, viennent les besoins sociaux, les besoins d’appartenance, d’affection, l’acceptation par les autres. En quatrième lieu, vient le besoin d’estime, d’être respecté, pour développer une valeur personnelle, de l’assurance. Enfin en dernier lieu, vient le besoin d’auto-accomplissement (défini par de multiples caractéristiques) mais besoin qui n’est jamais complètement satisfait, toujours à rechercher. Maslow a beaucoup insisté sur le développement personnel.

Figure 1 : La hiérarchie des besoins de Maslow

On voit que les besoins physiologiques élémentaires se trouvent à la base et les besoins affectifs et psychologiques au sommet, certains besoins sont « supérieurs ». Tant que les besoins ne sont pas satisfaits, ils créent une tension, qui pousse à agir.

Herzberg pense lui aussi que la non-satisfaction d’un besoin est une source de motivation. Frederik Herzberg, Professeur de psychologie industrielle, de management, est devenu célèbre après son livre "Work and Nature of Man" (Le travail et la nature de l’Homme) et son article "one more time: how do you motivate employees" (1968) dans la Harvard Business Review. Herzberg est l’auteur de la théorie des deux facteurs (Herzberg, 1966) dans laquelle il distingue deux catégories de facteurs, les facteurs d’hygiène et les facteurs de satisfaction. Les facteurs d’hygiène sont des besoins communs aux vivants, des besoins animaux. Ils sont relatifs à l’environnement de travail. Il s’agit de besoins de sécurité, de relations professionnelles, de rémunération ; ils sont relatifs aux conditions de travail, à la rudesse du quotidien. Lorsqu’ils sont satisfaits, la tension se réduit et ils cessent de pousser à l’action. Ils ne sont pas source de motivation pour l’individu. Seconds facteurs, les facteurs de satisfaction sont des besoins propres aux humains. Ils sont relatifs au contenu du travail. Il s’agit de l’intérêt au travail, des responsabilités, de la reconnaissance, de la possibilité d’accomplissement, de la sphère spirituelle. Ces besoins sont source de motivation pour l’individu, ils sont stimulants et insatiables.

Les observations d’Herzberg lui ont appris que les facteurs qui influent sur la motivation sont en rapport avec le contenu des tâches. Au début du XXème siècle, le travail a été rationalisé (Taylor, 1914) et on pense que l’individu n’est motivé que par l’argent. L’Organisation Scientifique de Travail (O.S.T.) se généralise dans l’industrie. Dans les usines Ford, elle a été mise en pratique avec le travail à la chaîne et en 1925, Ford produit en 1 jour ce qu’il produisait en 1 an en 1914. Herzberg en observe les performances mais il observe également la séparation conception-exécution, la division excessive du travail, les tâches répétitives. L’Homme en est réduit à l’état de machine sur une chaîne de montage.

toute la complexité du facteur humain. (...) Plus on cherchait à organiser le travail et l’entreprise, plus on débouchait sur une série de manifestations individuelles et collectives qui ne pouvaient rentrer dans l’organisation scientifique prévue : mauvais moral, conflits, communications insuffisantes, groupes, classes arrivistes ou critiques ... » (Sainsaulieu, 1987).

Herzberg est convaincu que le travail peut être une source de motivation mais pour cela l’organisation du travail doit apporter une réponse aux deux catégories de besoin, il ne faut pas négliger l’environnement du travail. Concernant le contenu des tâches, il a l’idée de « l’enrichissement au travail » ("job enrichment"), donner un travail qui offre la possibilité de faire une expérience enrichissante (variée, assez difficile, importante) pour être souvent stimulé. Il émet des recommandations, par exemple accorder plus d’autonomie et de responsabilités, introduire de la nouveauté, proposer d’acquérir une expertise, réaliser des tâches qui constituent un ensemble cohérent d’opérations plutôt qu’une partie. Herzberg est très attaché à la notion de sens : « La fonction première de tout groupement social devrait consister à mettre en œuvre les moyens permettant à l’Homme de jouir d’une vie ayant du sens. » (1971).

Dans sa publication sur les théories du contenu motivationnel, Louart (2002) détaille les théories de Maslow et celle d’Herzberg, et il y adjoint celle d’Alderfer, un psychologue américain. Louart, Professeur des Université en Sciences de Gestion reste dans le monde du travail avec Alderfer qui est l’auteur de la théorie ERG (en anglais Existence, Relatedness, Growth) (Alderfer, 1972). Dans cette théorie, proche de celle de Maslow mais sans hiérarchie, la motivation est issue de trois besoins. Du plus concret au plus abstrait, il s’agit du besoin d’Existence qui correspond aux besoins à satisfaire pour se maintenir en vie (physiologiques). Le besoin de sociabilité (Relatedness) fait référence aux relations sociales et aux interactions (famille, amis, travail), il inclut la reconnaissance, l’influence. Le besoin « de croissance » (Growth) est le besoin de développement personnel, le besoin de s’épanouir, de se mobiliser pour réaliser de nouvelles choses. La motivation serait dépendante de l’intensité d’un besoin. Cette intensité serait variable d’une personne à l’autre et dans le temps. La motivation fonctionnerait alors par progression et régression d’un besoin à l’autre. Les besoins peuvent se manifester simultanément. Louart met en rapport les théories de Maslow, d’Herzberg et celle d’Alderfer dans un tableau que nous reproduisons ci-dessous (Cf. tableau 1).

Tableau 1 : Les similitudes entre les théories de Maslow, d’Alderfer et d’Herzberg.

Maslow Alderfer Herzberg

Actualisation de soi

Besoins de croissance

Facteurs de motivation Estime de soi

Besoins sociaux et d’appartenance Besoins de sociabilité Besoins de sécurité

Besoins d’existence Facteurs d’hygiène Besoins Physiologiques

Les théories s’accordent pour classer les besoins en deux catégories. D’après Maslow, « L’homme a une nature supérieure qui est tout aussi instinctive que sa nature inférieure ; elle implique des besoins de sens du travail, de responsabilité, de créativité, le besoin d’être honnête et juste, de faire ce qui en vaut la peine et de vouloir le faire bien » dans "Toward a psychology of being" (Maslow, 1968). D’après Herzberg, l’Homme éprouve « deux genres de besoins fondamentaux, ses besoins instinctifs ou animaux en rapport avec le milieu et ses besoins "spécifiquement humains", concernant les devoirs qui lui sont propres » (1971). Les besoins fondamentaux ne sont que des étapes. Une fois ces étapes franchies, « les forces de la personne trouvent leur unité d’une manière particulièrement efficace, intense et agréable. L’individu est alors plus expansif, plus spontané, plus créateur, plus enclin à l’amour, moins centré sur lui-même, plus indépendant de ses besoins de base, etc. » dans "Toward a psychology of being", Maslow, p. 111 (1968).

Les théories du besoin, bien que critiquées, nous ont donné quelques clefs. Pour renverser les choses et inciter nos étudiants à s’impliquer, nous devons solliciter surtout les besoins « spécifiquement humains ».

Les travaux de Deci et Ryan sont très complets, ils ont inspiré de nombreux travaux de recherche, et bien que particulièrement intéressants, ils peuvent être longs à décrire, aussi nous les présenterons très synthétiquement.

La théorie de l’autodétermination étudie les différentes motivations, comme la motivation intrinsèque et les motivations extrinsèques. Deci et Ryan exposent que « comparativement à ceux (dont la motivation) est contrôlée par l’environnement externe, les personnes dont la motivation est "authentique", c’est-à- dire autodéterminée ou assumée, ont plus d’intérêt, d’excitation, de confiance. Cela se traduit par plus de performance, de persévérance et de créativité (Deci & Ryan, 1991 ; Sheldon, Ryan, Rawsthome, & Ilardi, 1997) ; cela rehausse leur vitalité (Nix, Ryan, Manly, & Deci, 1999), leur estime d’eux-mêmes (Deci & Ryan, 1995) et leur bien-être au sens général (Ryan, Deci, & Grolnick, 1995). Ceci, même quand les gens se perçoivent du même niveau de compétence ou ont le même sentiment d’efficacité personnelle pour l’objectif à atteindre. » (Deci & Ryan, 2000).

La théorie de l’évaluation cognitive (CEG) présentée en 1985 est un « sous-ensemble » de la théorie de l’autodétermination, qui étudie la variabilité de la motivation intrinsèque. Elle soutient que des environnements, des contextes sociaux, peuvent faciliter la motivation intrinsèque en favorisant des besoins psychologiques innés qui sont la compétence, l’autonomie et les relations sociales. Lorsque ces besoins sont satisfaits, l’individu est motivé, productif et heureux. Le besoin de compétence est le besoin de développer ses capacités à interagir efficacement avec son environnement. Ce qui confère un sentiment de compétence augmente la motivation intrinsèque, tandis que des retours négatifs la réduisent (Deci, 1975). L’autonomie, pouvoir avoir le choix, se sentir être à l’origine de nos actes, contribue également à renforcer la motivation intrinsèque (Deci & Ryan, 1985). Enfin, la motivation intrinsèque s’épanouira plus facilement dans des contextes caractérisés par la sécurité et les relations sociales, les échanges (Baumeister et Leary, 1995 ; Ryan, 1995). La théorie de l’évaluation cognitive a aussi été formulée pour tester et étudier les effets des récompenses extrinsèques sur la motivation intrinsèque. Une méta-analyse de cent vingt huit expérimentations confirme qu’elles sapent la motivation intrinsèque (Deci, Koestner et Ryan, 1999). Deci et Ryan ajoutent que malgré tout, les gens ne seront motivés intrinsèquement que par ce qui les intéressent, pour d’autres activités il faut se pencher sur la motivation extrinsèque.

La théorie de l’intégration organismique (OIT) est un « sous-ensemble » de la théorie de l’autodétermination qui détaille les différentes formes de motivations extrinsèques et leurs régulations. Elles sont représentées classées sur un Continuum (Cf. figure 2), entre l’Amotivation et la Motivation intrinsèque. Sur le continuum, de gauche à droite, du moins autodéterminé au plus autodéterminé, on trouve :

L’amotivation : A ce stade, soit les gens n’agissent pas, soit ils le font sans intention (manque de compétence, action perçue comme sans valeur, etc.).

La motivation extrinsèque par régulation externe. Le comportement se limite à répondre à une demande, en échange d’une récompense ou pour éviter une punition.

La motivation extrinsèque par régulation introjectée. Elle est comparable à la précédente, mais elle est plus autodéterminée. Dans un sens, c’est une régulation par l’estime, pour (se) prouver quelque chose ou répondre à des provocations par exemple (« chiche que ... , pas capable de ... ») . Le comportement n’est pas réellement voulu.

La motivation extrinsèque par régulation identifiée. Le comportement est accepté et choisi, pour atteindre un but important.

La motivation extrinsèque par régulation intégrée. C’est la forme la plus autodéterminée de motivation extrinsèque. Les régulations d’origine externe ont été adoptées, elles sont en accord avec les valeurs et les buts de l’individu. Proche de la motivation intrinsèque, cette motivation s’en distingue par l’absence de plaisir.

La motivation intrinsèque. L’individu s’engage de la manière la plus autodéterminée. Les dimensions d’intérêt, de plaisir, de curiosité, de défi sont présentes.

Pour renforcer l’intégration et donc renforcer la motivation, la théorie de l’intégration organismique suggère de s’appuyer sur les besoins de relations sociales, de compétence et d’autonomie mais à condition, précisent-ils, que la signification de l’action, du comportement, soit comprise pour pouvoir la mettre en conformité avec leurs valeurs. A distance d’une influence extérieure excessive, d’une pression, l’autonomie permet de prendre les valeurs à intégrer à son compte (Deci & Ryan, 2000).

Figure 2 : Le continuum d’autodétermination, montrant les différentes motivations et régulations.

Dans le document Actes du Colloque e-Formation 2018 (Page 52-56)