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LA PROBLEMATIQUE : L’USAGE DURABLE DU PORTFOLIO DE COMPÉTENCES

Dans le document Actes du Colloque e-Formation 2018 (Page 135-137)

LE E-PORTFOLIO DE COMPETENCES : DE LA DYNAMIQUE DE L’EXPERIENCE A L’APPROPRIATION DE LA COMPETENCE

LA PROBLEMATIQUE : L’USAGE DURABLE DU PORTFOLIO DE COMPÉTENCES

Sans l’étape intermédiaire d’une préparation à la démarche, l’usage du portfolio peut poser problème car, pour ceux qui le considèrent directement prêt à l’emploi, l’outil risque de rester un fichier d’information ordinaire au lieu de devenir un instrument au service de la formation et de l’insertion professionnelle. En effet, comme le montrent les enquêtes auprès d’étudiants censés tenir à jour leur portfolio et qui finissent par le délaisser, l’outil pris isolément ne suffit pas à convaincre. Une technologie suppose d’étudier à la fois l’objet et son usage : c’est le processus d’appropriation par le sujet qui fera de l’outil un instrument au service d’un projet.

Nous analysons la difficulté de s’approprier le portfolio comme la déclinaison d’une difficulté plus large, celle d’appréhender les notions d’activité, de travail et de compétence. L’activité est un terme générique qui renvoie à tout ce que fait l’individu avec ou sans les autres. Le travail est une des configurations de l’activité, celle où le sujet agit en fonction de la demande d’autrui : on parlera ainsi de travail scolaire, de travail domestique, de travail salarié. La compétence est une manière de parler de la réponse reliée à cette demande, en termes d’évaluation de ce qui a été réalisé ou bien en termes prédictifs, afin d’envisager de nouvelles missions.

Le portfolio, également désigné par la locution « portefeuille de compétences », appartient au même champ sémantique. Compte tenu de ce que nous venons de dire, nous pourrions reformuler la définition ainsi : c’est une collection de preuves à propos des réponses apportées par l’auteur du recueil à diverses demandes qui lui ont été adressées. En toute rigueur, le sujet de l’action peut retracer dans chaque cas les réponses qu’il a effectivement données mais il doit distinguer les faits de leur interprétation par autrui : en l’occurrence, le jugement de compétence a-t-il été prononcé ? Il convient de disposer du témoignage d’un tiers (un jury, un professionnel, un expert…) car nul n’est légitime à s’autoproclamer compétent.

Nous voyons ainsi se dessiner les contours de la problématique :

- Le portfolio peut parfois être regardé comme un simple aide-mémoire, une sorte de carnet de notes pour consigner ses acquis, issus de la formation ou de l’expérience. Un acquis veut dire qu’il s’agit d’un fait sur lequel on ne reviendra plus : incontestablement, l’intéressé possède tel savoir-faire ou telle connaissance. Cependant, si nous nous représentons le portfolio comme un mémo ordinaire, ce n’est pas enthousiasmant et cela n’encourage pas son auteur à le renseigner dans la durée.

- De plus, la notion d’acquis ne convient pas pour évaluer tous les aspects d’une expérience. Ainsi, la compétence, à strictement parler, n’est jamais acquise. Sinon, cela voudrait dire que les situations de référence sont standardisées, ce qui n’est jamais le cas. Nous dirons plutôt d’une compétence qu’elle est « maîtrisée » puisqu’elle correspond à des familles de situations que l’on a su gérer et dont on est en mesure de présenter l’évaluation par un tiers. Maîtriser une situation signifie que l’on a pris le dessus, que l’on est davantage actif que passif, que ce que l’on maîtrise est plus déterminant que ce que l’on ne maîtrise pas, dans la situation au présent.

Par exemple, le permis de conduire atteste d’une compétence via un tiers. C’est la maîtrise d’un véhicule dans les situations de conduite en zone urbaine ou rurale, malgré le fait qu’on ne contrôle jamais tout ce qui se passe simultanément dans le trafic routier. Le jugement de compétence est posé par inférence, c’est-à-dire sur la base des faits constatés et interprétés par un regard expert, permettant de conclure au « pari raisonnable » que l’intéressé sera capable de faire face à cette famille de situations à l’avenir (celui-ci n’étant pas joué d’avance, ce ne sera jamais une certitude).

- La compétence est donc inséparable du jugement d’autrui. Et en même temps, elle ne peut être séparée du sujet qui agit. Contrairement à la qualification qui porte uniquement sur l’objet à maîtriser et sur les actes professionnels considérés isolément, la compétence concerne le couple sujet et objet. Deux personnes qui bénéficient de la même reconnaissance en termes de qualification seront par la suite distinguées selon leurs compétences respectives, ce qui veut dire selon leur engagement dans les situations qu’il s’agit de gérer concrètement. C’est tout l’intérêt du portfolio. En effet, tandis que le CV se contente généralement de lister les qualifications, le portefeuille de compétences doit permettre de faire le lien entre ce qu’il faut faire et la personne qui le fait. Les actes professionnels ne sont plus simplement listés, ils sont contextualisés et personnalisés.

Nous avons là une piste pour se donner des raisons de tenir à jour un portfolio, durablement. Dans le but d’inspirer davantage la confiance et susciter la reconnaissance, on cherchera avec un portfolio les moyens de sortir de l’anonymat des parcours professionnels, de mettre en évidence son originalité, son style, ses qualités humaines à travers les actes dont on veut rendre compte.

- Finalement, la difficulté de se représenter l’usage du portfolio vient sans doute de la complexité d’un raisonnement qui vise le pronostic. On cherche à dire quelque chose de soi-même qui ait une valeur prédictive : se fonder sur l’évaluation du passé afin d’envisager une aptitude à gérer des situations à venir. Ce qui compte, c’est de pouvoir se placer au plan de l’action, non pas de rester au plan des savoirs ; et pas n’importe quelle action, celle dont on peut revendiquer la responsabilité même si elle a une dimension collective et qui est suffisamment significative pour autoriser une inférence, un jugement par autrui concernant l’avenir. Au vu de ce qui a été accompli, on estime qu’il ou elle sera capable d’assumer telle tâche, telle mission.

- En résumé, à quoi bon tenir à jour un portfolio, dans la perspective d’une formation tout au long de la vie ? Trois raisons essentielles. C’est d’abord la prudente conservation des traces de son parcours en termes de compétences attestées : les types de situations que l’on a su gérer, associés à des reconnaissances d’experts de toute sorte. C’est aussi la présentation détaillée de ses acquis. Il faut entendre par là des constats indéniables de maîtrise de savoirs ou de savoir- faire : certes, ce ne sont pas des actions, mais ce sont des ressources pour agir (une langue étrangère, un logiciel, une habileté manuelle, etc.). Enfin, il existe une raison d’utiliser un portfolio qui vaut d’abord pour soi-même, c’est de rendre compte de son expérience au fil de l’eau. Si l’on a appris à se regarder comme un être d’activité (n’agissant jamais comme un automate mais toujours en reprenant l’initiative, y compris dans les épreuves les plus modestes de la vie) alors, on peut s’entraîner à retracer régulièrement des séquences vécues et dégager par la suite de ces conditions conjoncturelles un enseignement à valeur prédictive. L’auteur du portfolio écrit alors pour un ou des interlocuteurs qu’il ne connaît pas encore, à qui il donnera les éléments pour généraliser, inférer (être capable de répondre aux conditions structurelles de tel ou tel emploi, avoir l’envergure pour occuper tel poste, par exemple) en fonction de leurs référentiels.

Il s’agit au fond de mettre en perspective le portfolio en passant de l’expérience comme vécu singulier à l’expérience au sens fort, comprise comme l’existence d’une personnalité, d’une subjectivité en devenir : se reconnaître en activité pour mieux faire reconnaître ses activités. C’est à cette condition que nous pouvons parier sur un usage durable du (e-)portfolio de compétences.

Or, dans les pratiques, il semble que nous soyons encore éloignés de cette perspective. Les premiers résultats d’une étude préliminaire sur l’usage de la démarche (e-)portfolio par les étudiants ainsi que d’une enquête exploratoire conduite dans le cadre d’une recherche doctorale ont révélé que les

expériences d’usage du (e-)portfolio étaient peu concluantes si nous considérons le fait que l’intérêt du (e-)portfolio de compétences est d’en faire un usage tout au long de la vie.

Dans le document Actes du Colloque e-Formation 2018 (Page 135-137)