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CHAPITRE II : Le parcours littéraire de Jòrgi Reboul

B) LE RETOUR VERS LA REVUE OC ET LE DÉBUT D’UNE COLLABORATION

L’ARMANA PROUVENÇAU

Suit alors une pause de huit ans dans les publications de Reboul. L’année 1954 est marquée par un coup d’éclat du poète puisqu’il refuse — dans la suite logique de sa démission du Félibrige — de voir son nom associé aux publications destinées à célébrer le centenaire de l’association mistralienne. Reboul adresse notamment le 14 février 1954 une lettre aux divers organismes impliqués dans cette commémoration (la revue portugaise Neo, la revue Arts et Livres de Provence, le journal Cave canem, la revue Rouge

et noir, l’association Lou Pichoun Bousquet, le Comité du centenaire du Félibrige) afin de

leur faire part de cette décision216 :

Vous avez bien voulu, très sympathiquement, faire appel à mon Œuvre ou à mon Action, pour célébrer, sous des formes diverses, le Centenaire du Félibrige. […]

Mais j’ai le regret de NE PAS VOUS AUTORISER à vous servir de mon nom, à publier mes écrits, à cette occasion, pour vous.

Ce que je pense n’a d’ailleurs rien avoir avec le FÉLIBRIGE dont vous vous réclamez. […] Mon REFUS actuel, pour VOUS, continue celui d’hier pour d’autres. Il n’a pas d’autre but que la VIE !

En 1955, Reboul refuse pareillement à René Jouveau de figurer dans l’anthologie

Pouèto prouvençau de vuei que prépare ce dernier217. Dans un article publié aux Lettres

françaises, Charles Camproux explique cette décision de Reboul par « l’horreur du poète

marseillais pour tout conformisme quel qu’il soit »218.

Vers la fin des années 1950, Louis Bayle propose à Reboul de participer à d’autres anthologies à paraı̂tre en Italie, en Catalogne et au Mexique, sous couvert de l’Université de Mexico219. Toutefois, là encore, Reboul refuse de donner son accord, même s’il le fait semble-t-il d’une façon indirecte et non explicite, comme l’indique la lettre en réponse que Bayle adresse à Reboul220 :

Supause qu’aquéli « coupié pèr Louis Bayle » soun, dins soun biais indirèit, un refus à figura

{Je suppose que ces « copies pour Louis Bayle » sont, dans leur tournure indirecte,

216 Jòrgi Reboul, lettre du 14 avril 1954, Archives du CIRDOC, CP 352/36 (54 lettres envoyées à Josèp Salvat). 217 Groupement d’études provençales, Pouèto prouvençau de vuei, Aix-en-Provence, Groupamen d’estudi prouvençau, 1957, 256 p. Lettre à René Jouveau, 21 mai 1955, Archives du CIRDOC, LAF.0/67, Jòrgi Reboul, 1955-1958.

218 Charles Camproux, « La poésie d’oc moderne. Il y a vingt-cinq ans », Les Lettres Françaises, n°663, 21 au 27 mars 1957, Archives du CIRDOC, Dossier auteur R-Reboul (Dos-A/R).

219 Lettre de Louis Bayle à Reboul, 10 décembre 1958, Archives municipales de Toulon, Série S - Dons, legs, achats. Sous-Série 33S - Fonds Var et poésie. 33S104 REBOUL Jorgi 1925-1991.

220 Lettre de Louis Bayle à Reboul, 21 décembre 1958, Archives municipales de Toulon, Série S - Dons, legs, achats. Sous-Série 33S - Fonds Var et poésie. 33S104 REBOUL Jorgi 1925-1991.

Biographie de Jòrgi Reboul

dins mis antoulougìo. Auriéu preferi un NOUN categouri. Mai me countentarai de ço que me mandes. Que regrète toun atitudo, ai pas besoun de te lou redire.

D’uno : ana sèmpre à contro-courrènt, dire nàni à tout e à tóuti, se faire ansin uno meno d’óuriginalita, à la fin finalo acò fai sourrire. De dos : i’a toujour, pèr l’autour d’uno antoulougìo, un mejan de faire counèisse à si legèire aquéli meme qu’an refusa de coulaboura. Es de parla d’éli, e de li cita dins sa prefàci, soun entrouducioun, si noto, sis apendice. E tant pis pèr éli se pèr esplica soun absènci dóu soumàri, l’autour es fourça de parla de soun caractère, de si pichòti manìo, etc…

un refus à figurer dans mes anthologies. J’aurais préféré un NON catégorique. Mais je me contenterai de ce que tu m’envoies. Que je regrette ton attitude, je n’ai pas besoin de te le redire.

Premièrement : aller toujours à contre- courant, dire non à tout et à tous, se faire ainsi une sorte d’originalité, à la fin cela prête à sourire.

Deuxièmement : il y a toujours, pour l’auteur d’une anthologie, un moyen de faire connaître à ses lecteurs ceux-là mêmes qui ont refusé de collaborer. C’est de parler d’eux, et de les citer dans sa préface, son introduction, ses notes, ses appendices. Et tant pis pour eux si pour expliquer leur absence du sommaire, l’auteur est forcé de parler de leur caractère, de leurs petites manies, etc.}

Si ce refus de collaboration s’inscrit dans la logique habituelle de Reboul précédemment évoquée, elle trouve aussi très certainement pour partie son explication dans les relations conflictuelles que les deux hommes entretiennent à l’époque. De fait, comme l’indique Gilberte Reboul dans une lettre adressée à Jean-Luc Pouliquen en 1998, alors qu’une amitié profonde liait son époux et Louis Bayle depuis la création en 1926 de l’Amistanço dei Joueine à laquelle ils avaient tous les deux œuvré, leurs relations se seraient profondément détériorées, selon elle, depuis le « jour que je ne sais pas dater où Louis Bayle a fait paraı̂tre sur Jòrgi un article virulent et inamical qui l’a profondément blessé. Il ne lui a jamais pardonné. »221 Mes recherches personnelles n’ont pas permis de retrouver avec certitude l’article incriminé mais peut-être pourrait-il s’agir du texte paru dans le n°257 de la revue Marsyas en novembre-décembre 1947222. Si cet écrit se montre globalement élogieux sur l’œuvre de Reboul, il n’en égratigne pas moins le poète à plusieurs reprises et de façon assez virulente, comme on a pu le voir dans les extraits cités lors de l’étude de la réception des recueils Sènso relàmbi et de Terraire nòu (voir p. 123- 124 et 136-137).

Dernier grand refus de collaboration à signaler, Reboul décline en 1973 une proposition de figurer dans une anthologie de poètes marseillais, Chausido deis escrivan

marsihés e dóu relarg de Marsiho, publiée par l’association Lou prouvençau à l’escolo223. L’ouvrage était destiné à compléter le manuel éponyme, édité par l’association.

221 Gilberte Reboul, lettre à Jean-Luc Pouliquen, 22 septembre 1998, Archives municipales de Toulon, Série S - Dons, legs, achats. Sous-Série 33S - Fonds Var et poésie. 33S104 REBOUL Jorgi 1925-1991.

222 Louis Bayle, « Nouvelles lettres à Joseph Sol sur le félibrige », Marsyas, n°257, novembre-décembre 1947, p. 1376-1379.

223 Chausido deis escrivan marsihés e dóu relarg de Marsiho. Lou Prouvençau à l’escolo : coumplemen dialeitau, préf. Charles Rostaing, Saint-Rémy de Provence, Association pédagogique “Lou Prouvençau à l’escolo”,

Biographie de Jòrgi Reboul

Ce n’est finalement qu’en 1960 que Reboul reprend la plume pour faire paraı̂tre deux textes confiés à la revue Oc, dans laquelle il n’avait plus écrit depuis 1932. Il s’agit des poèmes « La sèrp-volanta » et « Imne a la fluèlha (sic) blanca »224. Ces deux textes marquent un retour de Reboul à la graphie classique qu’il n’avait plus utilisée depuis la fin de sa collaboration avec la revue. On peut également noter que ces textes ne sont pas accompagnés de traduction française.

La même année, à l’occasion d’une collaboration à un numéro spécial de la revue Arts

et Livres de Provence consacré à Mistral, on note une réédition du poème « Eu », inspiré du

poète maillanais225.

Reboul renoue pour de bon avec l’édition de poèmes à partir de 1962. Cette année- là est d’abord marquée par la sortie d’une importante Anthologie de la poésie occitane composée par Andrée-Paule Lafont où sont repris, en graphie mistralienne et avec traduction, trois poèmes de Reboul, « Marignano », « Lou pus bèu de mei pouèmo » et « Terraire nòu »226. Sous son pseudonyme de Jan Montanha, Claude Barsotti rédige une courte présentation de ce livre dans ses Crounico óucitano du journal La Marseillaise. A# propos du chapitre « Terraire nòu » où apparaissent les poèmes de Reboul, il écrit227 :

Terraire Nou es l’epoco mounte la pouesio oucitano fa peta lei cadenos que la paralison e si mando dins lei mouvements qu’an boulegat la literatura universalo entre 1930 e 1940. Lei pouètos de Terraire Nou soun neissuts gaire avans la proumiero guèrro moundialo.

Es aqueleis omes qu’an ourganisat lou mouvement oucitan de vuei. Es elei qu’an alestit la reneissènço que s’alargo aro souto nouto nouestreis uelhs. Eici, rescoutram lei Marsilhés Jorgi Reboul, Carle Camproux e Piarre Rouquette, lei Lengadoucians Renié Nelly e Mas Rouquette, lou Limousin Jan Mouzat.

{Terraire Nòu c’est l’époque où la poésie occitane fait exploser les chaînes qui la paralysent et se lance dans les mouvements qui ont secoué la littérature universelle entre 1930 et 1940. Les poètes de Terraire Nòu sont nés peu de temps avant la Première Guerre mondiale.

Ce sont ces hommes qui ont organisé le mouvement occitan d’aujourd’hui. Ce sont eux qui ont préparé la renaissance qui se déploie maintenant sous nos yeux. Ici, nous rencontrons les Marseillais Jòrgi Reboul, Charles Camproux et Pierre Rouquette, les Languedociens René Nelli et Max Rouquette, le Limousin Jean Mouzat.}

1973, 141 p. Information donnée par Claude Barsotti, « Jòrgi Reboul, testimòni de Marselha », Occitans !, n°57, septembre-octobre 1993, p. 19.

224 Oc, n°216, avril-juin 1960, p. 23-25.

225 Arts et livres de Provence, n°45, IV, 1960, p. 82-83. Poème précédemment paru dans Marsyas, n°295, juillet-août 1952, p. 1799.

226 Andrée-Paule Lafont, Anthologie de la poésie occitane, Paris, Éditeurs français réunis, 1962, p. 204-207. « Marignano » est une réédition sous un nouveau titre du poème « Siéu na longtèms après ma neissenço… », paru dans le recueil Sènso relàmbi en 1932 ; « Lou pus bèu de mei pouèmo… » a précédemment été publié en 1931 dans la revue Marsyas (n°125, 1931, p. 593-594) et en 1932 dans le recueil Sènso relàmbi ; enfin, « Terraire nòu » est une reprise de « Grapaud, vihaire de la nuechado… », initialement paru en 1937 dans la revue Marsyas (n°195-196, mars-avril 1937, p. 927) et dans le recueil Terraire nòu.

227 Jan Montanha, « Crounico óucitano », La Marseillaise, 30 octobre 1962, Archives du CIRDOC, MS 680 Cronicas occitanas, Glaudi Barsòtti (La Marseillaise). Dans le texte d’origine, Terraire nòu était simplement écrit entre guillemets, sans italique. J’ai laissé en l’état la graphie d’époque.

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L’année 1962 marque aussi le début de la collaboration de Reboul avec L’Armana

prouvençau dans lequel il publie régulièrement des textes, en parallèle à la revue Oc. Le

premier d’entre eux sera une nouvelle réédition du poème « E+u »228. Suivront plusieurs autres textes durant cette même décennie : trois inédits, « Encuei »229, « Julieto d’Issel »230 et « A# moun fraire »231 ; ainsi que le poème « Coua-Roso »232, réédition en graphie mistralienne sous un autre titre d’un texte d’abord paru dans la revue Oc en graphie classique sous le titre « Pròsa geografica » en 1963233. S’agissant de la revue Oc, on peut aussi relever pour la même année 1963 la parution du poème « Saume dei set ans », également inédit234.